Toutefois, cette situation n’a pas empêché la plateforme de continuer à se projeter dans le futur. Après le développement de plusieurs services et produits, Facebook s'est intéressée à la cryptomonnaie. Le but est de permettre l’envoi d’argent en ligne via ses applications de messagerie instantanée (Messenger, WhatsApp et Instagram) qui sont susceptibles d'être bientôt unifiées pour fournir une expérience de type iMessage. Avec ses milliards d’utilisateurs, le calcul était vite fait : une opportunité de 19 milliards de dollars supplémentaires pour Facebook d'ici 2021 si ses plans fonctionnent bien. Les paiements pourraient alors aider Facebook à développer une toute nouvelle source de revenus en dehors de la publicité, quelque chose « dont l'entreprise a grandement besoin à ce stade de son histoire ».
Calibra, le porte-monnaie numérique pour gérer des Libra, sera opérationnel en 2020
Il a fallu attendre la mi-juin pour que Libra soit officiellement lancée. Libra doit offrir à partir du premier semestre 2020 un nouveau moyen de paiement en dehors des circuits bancaires traditionnels : elle se veut la pierre angulaire d'un tout nouvel écosystème financier sans la barrière des différentes devises. Les responsables du projet ont expliqué que les usagers disposeront sur leur smartphone d'un porte-monnaie numérique pour faire leurs achats, envoyer ou recevoir de l'argent. À cet effet, comme Alphabet, Facebook a décidé d’ouvrir une nouvelle filiale qui va s’occuper de fournir les différents services financiers autour de Libra. D'ailleurs, cette filiale a donné son nom au porte-monnaie numérique : Calibra.
« Nous partageons aujourd’hui les plans de Calibra, une nouvelle filiale de Facebook dont l’objectif est de fournir des services financiers qui permettront aux gens d’accéder au réseau Libra et de participer à ses activités. Le premier produit que Calibra introduira est un porte-monnaie numérique pour Libra, une nouvelle monnaie mondiale reposant sur la technologie blockchain. Le portefeuille sera disponible dans Messenger, WhatsApp et en tant qu'application autonome - et nous prévoyons le lancer en 2020.
« Dès le début, avec Calibra, vous pourrez envoyer Libra à quasiment tout le monde avec un smartphone, aussi facilement et instantanément que vous pourriez envoyer un message texte, sans frais. Et, avec le temps, nous espérons offrir des services supplémentaires aux particuliers et aux entreprises, comme payer des factures en appuyant sur un bouton, acheter une tasse de café avec le code d'un scanneur ou utiliser le transport en commun sans avoir à transporter du cash ou une carte de transport ».
Voici un aperçu de l’utilisation de Calibra:
Des dirigeants qui ne cachent pas leur inquiétude
Après l'annonce de Facebook, la France a manifesté son intention de veiller à ce que la communauté internationale fixe un cadre pour que la future cryptomonnaie de Facebook ne reste qu’un instrument de transaction sans devenir une monnaie souveraine par le biais du ministre des Finances.
« Que Facebook crée un instrument de transaction, pourquoi pas. En revanche, que ça devienne une monnaie souveraine, il ne peut pas en être question », a déclaré Bruno Le Maire sur Europe 1. Pour éviter une telle issue, « nous allons demander des garanties », notamment pour s’assurer que « cet instrument de transaction ne puisse être détourné par exemple pour du financement du terrorisme (...) pour le financement d’activités illicites », a-t-il ajouté.
Deux jours seulement après la présentation officielle mi-juin, la commission sénatoriale sur la souveraineté numérique s'était saisie de Libra, car cette cryptomonnaie « pourrait bouleverser les conditions d’exercice de la souveraineté des États bien au-delà du domaine monétaire ».
Quelques jours après, c'était au tour de la Banque de France de monter au créneau, par l'intermédiaire de son gouverneur François Villeroy de Galhau, pour rappeler les règles du jeu au nouveau venu : « Si l’ambition du projet est vaste, il ne pourra exister qu’en respectant les règles qui valent pour tous ».
Début juillet, des députés demandaient ainsi à Facebook de « cesser immédiatement ses plans de mise en œuvre » à cause « de sérieuses préoccupations en matière de vie privée, de commerce, de sécurité nationale et de politique monétaire ».
Le même mois, les démocrates au Congrès ont étudié un nouveau projet de loi qui mettrait un terme aux ambitions de Facebook dans l’univers des cryptomonnaies. Le nouveau projet de loi, baptisé « ;Keep Big Tech Out of Finance Act ;» (ou loi pour tenir les géants de la Tech à l’écart de la finance), interdirait explicitement aux grandes entreprises d’Internet de fonctionner comme des institutions bancaires ou d’émettre des monnaies numériques. Cette proposition de loi viserait directement la firme de Menlo Park et son projet Libra.
En septembre, Bruno le Maire a déclaré : « Libra soulève aussi un risque systémique à partir du moment ou il y a deux milliards de consommateurs. Toute défaillance dans le fonctionnement de cette monnaie, dans la gestion de ses réserves pourraient créer des désordres financiers considérables ». Pour le ministre de l’Économie et des Finances, les griefs sont nombreux : risques d’abus de position et de souveraineté, aussi bien pour les consommateurs que les entreprises. « Toutes ces préoccupations sur Libra sont sérieuses, je veux dire donc avec beaucoup de clarté [que] dans ces conditions nous ne pouvons pas autoriser le développement de Libra sur le sol européen ».
Une pression énorme qui provoque des départs
Les effets de la pression se sont d'abord fait ressentir fin septembre par l'intermédiaire de Bertrand Perez, le directeur général de l’association Libra. En effet, alors que la date de lancement était prévue pour juin 2020, il indiquait qu'elle « pourrait glisser sans problème d’un ou deux trimestres », le temps de dialoguer avec les organismes. « L’important, c’est de nous conformer aux (exigences) des organes de tutelle [...] Nous savions qu’il allait falloir répondre à de nombreuses questions de la part des régulateurs des deux côtés de l’Atlantique et d’autres parties du monde », expliquait-il.
Mais un virage a eu lieu lorsque PayPal, la société américaine de traitement de paiements, a décidé de se retirer de la liste des entreprises qui soutenaient ce projet.
Ce retrait de PayPal a fait de la société le premier membre ayant quitté l’association Libra de Facebook. La société n’a pas donné de raisons particulières pouvant expliquer son retrait de ce projet. Mais d’après certains médias, PayPal avait déjà commencé à prendre ses distances avec ce projet à cause de certains points d’ordre règlementaire sur lesquels la société avait des inquiétudes. Notamment la manière dont la plateforme luttera contre le blanchiment d’argent, et la requête qu’elle a reçue du Trésor américain à ce sujet, a sans doute précipité sa décision.
Toutefois, la société PayPal a fait savoir que Facebook reste pour elle un partenaire stratégique et qu’à ce titre, elle continuera à le soutenir à divers titres. En réponse à tout ceci, Dante Disparte, responsable des politiques et des communications de l’Association Libra, a tout simplement fait savoir que l’association était consciente des défis qui l’attendent dans son projet de reconfiguration du système financier : « Le voyage sera long et difficile. Le type de changement qui reconfigurera le système financier en fonction des personnes, et non des institutions qui les servent, sera difficile. L'engagement dans cette mission est plus important pour nous que toute autre chose. Il vaut mieux connaître ce manque d'engagement maintenant plutôt que plus tard ».
D'autres ont suivi PayPal, notamment MasterCard, Visa, eBay, Stripe, Mercado Pago et enfin Booking. Soit un quart tout de même de l'ensemble des membres initiaux (7 sur 28). L'association Libra compte désormais 21 membres : Anchorage, Mercy Corps, Andreessen Horowitz, PayU, Bison Trails, Ribbit Capital, Breakthrough Initiatives, Spotify, Calibra, Thrive Capital, Coinbase, Uber, Creative Destruction Lab, Union Square Ventures, Farfetch UK, Vodafone, Iliad, Women's World Banking, Kiva Microfunds, Xapo Holdings et Lyft.
Il faut noter qu'une lettre a été envoyée par les sénateurs Brian Schatz et Sherrod Brown à Stripe, Visa et MasterCard pour les « mettre en garde » sur le projet Libra. « Vous devriez être inquiet que toute faiblesse dans le système de gestion des risques de Facebook devienne une faiblesse dans vos propres systèmes et que vous ne puissiez peut-être pas l'atténuer efficacement », indiquent les deux sénateurs. La missive est datée du 8 octobre, les défections ont été annoncées officiellement le 11.
Brian Armstrong, patron et cofondateur de Coinbase (qui fait partie des 21 membres restants de Libra), n'a pas apprécié cette lettre, évoquant une position « très antiaméricaine » : « Peu importe ce que vous pensez de Libra. Si ce n'est pas un outil ou une innovation utiles, les gens ne l'utiliseront pas. Pourquoi passer par la tactique de l'intimidation ? Cela s'appellerait un comportement anticoncurrentiel/monopolistique si une entreprise privée le faisait ».
Une première réunion dans un climat tendu
C'est dans ce contexte que s'est tenue lundi la première réunion des membres de l'association, ainsi que la première réunion du conseil de direction de Libra qui comprend cinq personnes élues : Matthew Davie (Kiva Microfunds), Patrick Ellis (PayU), Katie Haun (Andreessen Horowitz), David Marcus (Calibra/Facebook) et Wences Casares (Xapo Holdings Limited). Bertrand Perez (ancien de chez PayPal et directeur général de Libra depuis juin 2019) a de son côté été nommé secrétaire général du conseil des membres et du conseil de direction. Il est secondé par Dante Disparte dans les deux cas.
Représentée par Patrick Ellis, PayU est la seule entreprise de paiement conventionnelle à rester dans l’Association Libra après le départ de fournisseurs de paiement plus connus tels que Visa et Mastercard. Libra va devoir interagir avec le système financier traditionnel, ce qui sera beaucoup plus facile avec l’aide active des sociétés financières conventionnelles. Les entreprises de paiement conventionnelles sont dépendantes des régulateurs financiers. Elles ont donc une raison particulière d'éviter de participer à un projet qui risquerait d’irriter les décideurs politiques.
Officiellement, Facebook, via sa filiale de cryptomonnaie Calibra, n’est que l’un des 21 membres de l’association, chacun disposant du même droit de vote. Facebook a déclaré qu'il espérait élargir le nombre de membres de l'organisation à plus de 100 organisations d'ici le lancement du réseau de paiement Libra en 2020.
En France, Iliad est la seule société partenaire de Libra pour ce lancement. Face aux réticences des régulateurs, Xavier Niel a estimé que « Libra existera comme les 1 600 autres monnaies virtuelles d'ores et déjà disponibles en France, c'est inéluctable, avec ou sans nous, que les États le souhaitent ou pas ».
Et de préciser que « Libra est simplement une proxi-monnaie, c'est-à-dire une monnaie qui repose sur des devises déjà existantes au prorata de leur usage dans le commerce mondial. Ce système est structurellement plus stable, une valeur refuge dans de nombreux pays en cas d'instabilité monétaire ». S'il reconnaît que les inquiétudes sont légitimes, « il faut y apporter des réponses, sans tenter de l'interdire, sans même en mesurer les avantages pour tous. La prudence ne signifie pas la défiance ».
Enfin, il affirme que « Libra est un projet fiable, constructif, exigeant et conforme aux intérêts de notre pays. Ce n'est pas la monnaie de Facebook, mais la monnaie d'acteurs qui se sont réunis autour d'une grande idée ».
Lundi, l'association Libra a affirmé que 1 500 organisations avaient manifesté leur intérêt pour l'adhésion. Le groupe affirme qu'environ 180 de ces sociétés répondent aux critères d'adhésion de la Libra Association. Ces critères varient en fonction du type d'organisation, mais ils incluent la capitalisation boursière (pour les entreprises), le montant des dépôts financiers (pour les institutions financières) et le budget annuel (pour les organisations à but non lucratif).
Les membres devraient chacun contribuer 10 millions de dollars pour soutenir le développement de Libra. Il n'est pas clair si les organisations ont apporté leurs contributions à la réunion de lundi ou si cela se produira à une date ultérieure.
Sources : Libra, Brian Armstrong
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