
Libra est le couronnement d’un projet que le géant des réseaux sociaux a démarré en mai 2018 avec la nomination de David Marcus, ancien responsable de Messenger et du groupe PayPal, à la tête de sa nouvelle division blockchain. Ce projet a par la suite pris une nouvelle envergure après l’annonce de l’acquisition en février 2019 du spécialiste de la blockchain Chainspace, une startup londonienne, par l’entreprise de Zuckerberg. Moins de six mois après le rachat de Chainspace, Facebook a publié son plan détaillé pour la Libra, mais son produit fait déjà l’objet de vives critiques sur la toile. Libra a été décrite sur Twitter par des experts du milieu tels que Peter Todd, un consultant en cryptographie appliquée, comme un projet présenté de manière trompeuse.
La technologie blockchain sur laquelle s’appuie Libra est un maillon essentiel de l’univers de toutes les monnaies cryptographiques. Elle peut être assimilée à un pipeline numérique au sein duquel les cryptomonnaies et les autres actifs cryptographiques sont échangés. Elle est dite décentralisée, car les transactions qui y ont cours sont traitées et vérifiées par un essaim d’ordinateurs indépendants plutôt que par un centre unique tel qu’une banque centrale. Cette décentralisation rend le système moins vulnérable aux actes de piratages ou aux tentatives de blocage, mais elle induit une pénalité de temps : la blockchain du Bitcoin, par exemple, ne peut traiter que sept transactions par seconde, tandis que celle d’Ethereum gère environ le double. À titre de comparaison, le réseau de paiement centralisé Visa atteint facilement les 24 ;000 transactions par seconde.
Chainspace était sur le point de surmonter ce problème en exploitant le « ;sharding ;», une technique exploitant un réseau de blockchains interconnectés, et un système de vérification des transactions, appelé Blockmania, qui en théorie pouvait traiter jusqu’à 400 ;000 transactions par seconde. La même société est à l’origine de Coconut, un protocole de confidentialité censé considérablement améliorer la confidentialité des utilisateurs de la blockchain. Aujourd’hui, certaines technologies de Chainspace sont déjà exploitées par d’autres entreprises. Nym Technologies, par exemple, s’appuie sur Coconut pour créer un « ;réseau mixte ;» - sorte une plateforme alimentée par une blockchain pour les paiements, la messagerie et la navigation Web anonymes en monnaie cryptographique. Le projet de Nym est né de Panoramix, une initiative de l’Union européenne lancée en 2015, visant à développer une alternative à Tor, le navigateur Internet axé sur la vie privée. Il faut en outre souligner que le projet de recherche open source que poursuivait Chainspace a été financée en partie par Decode, une initiative de l’UE visant à accroître le contrôle des citoyens européens sur leurs données personnelles.
En dépit de tout cet arsenal à sa disposition, il semblerait que Facebook n’ait pas jugé utile d’intégrer les technologies innovantes de Chainspace à Libra. Dans le Livre blanc présenté par la firme de Menlo Park où il est précisé qu’« ;Il n’y a pas de concept de bloc de transactions dans l’historique du registre ;», Blockmania aurait seulement été mentionné de manière furtive dans un rapport qui traite du protocole de consensus de Libra, baptisé HotStuff. Le document ferait également mention du sharding, mais en tant qu’implémentation future plutôt que comme une fonctionnalité présente.
Signalons que les transactions de Libra seront traitées par un groupe de validateurs qui ne comprend à l'heure actuelle que des membres de l’Association Libra incluant d’importantes sociétés telles que Facebook, Uber et eBay. Mais pour être admis en tant que « ;validateur ;», il faudra être une grande entreprise figurant dans la liste Fortune 500 et acheter des Libra Investment Tokens, des jetons spéciaux différents des libras échangés par les internautes lambda. Chaque 10 millions de dollars investis donne droit à 1 vote à la société qui achète ces jetons spéciaux, jusqu’à atteindre un plafond maximum de 1 % de tous les votes du conseil. Cette entreprise obtient aussi le droit d’opérer un nœud validateur, même si elle n’est pas obligée de le faire. Les opérations de validation seront dès lors strictement réservée aux plus riches, ici de grandes entreprises triées sur le volet. Ce mode de validation est une variante dite « ;permissionnée ;» du proof-of-stake : le delegated proof-of-stake (DPoS).
L’ambition affichée par le groupe de Zuckerberg est d’ouvrir progressivement l’adhésion au groupe des validateurs au cours les cinq prochaines années, jusqu’à ce que le réseau de validateurs englobe tous ceux qui détiennent une certaine quantité de Libra. Ensuite, les gros investisseurs en Libra normale devraient être progressivement autorisés à opérer leurs propres nœuds validateurs, comme sur la plupart des cryptomonnaies. Une hypothèse optimiste est que les outils de protection de la vie privée et de décentralisation de Chainspace pourraient être introduits à ce stade. Cependant, rien ne garantit que cela se produira un jour ou que Facebook respectera son délai de cinq ans pour mettre en œuvre sa décentralisation.
À l’instar de la blockchain d'IOTA qui mettait en avant une alternative singulière nommée Tangle, Libra n’est pas la première monnaie virtuelle à jouer la carte de l’originalité. Elle permet l’intégration de contrats intelligents et fonctionne avec un registre « ;jetable ;». Et comme l’a rappelé Facebook, ce rapport précoce a été publié « ;pour avoir des retours de la communauté sur le design initial, les plans pour faire évoluer le système, et les défis de recherche encore non résolus discutés dans la proposition ;». En s’attaquant ainsi au domaine des cryptomonnaies, la firme de Menlo Park s’est lancé un défi immense, tant elle fait elle-même l’objet d’une grave crise de confiance après une série de scandales autour de sa gestion des données personnelles. Y parviendra-t-elle avec Libra ;?
Source : Wired, Twitter, Livre Blanc Libra (PDF), Libra 1,
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