Le vote de la loi controversée par les députés russes a eu lieu en deuxième lecture jeudi dernier. Elle a fait l’objet d’adoption à 320 voix pour et 15 contre. Il reste désormais un passage en troisième lecture puis la formalité de la Chambre haute avant la promulgation par Vladimir Poutine.
Début mars, le président russe en avait souligné l’importance capitale en déclarant : « Ils sont assis là, c’est leur invention, et tout le monde écoute, voit et lit ce que vous dites », avant d’ajouter : « plus nous aurons de souveraineté, y compris dans le domaine numérique, mieux ce sera. »
L’une des idées derrière le projet de loi est de permettre à Moscou de se doter d’un poste de commandement unique à partir duquel les autorités pourraient gérer les flux d’informations dans le cyberespace russe (alias Runet) ; cela inclut la surveillance, la limitation ou le blocage de ces flux sur toute ou partie de l’étendue du cyberespace russe. En sus, il y a que le pays prévoit de créer son propre système de noms de domaine qui permettrait à l'Internet de continuer à fonctionner, ce, même s'il était coupé du web mondial. L'objectif du projet de loi, selon ses auteurs, est de « garantir un Internet stable, sûr et transparent. »
D’un point de vue technique, il s’agira pour les autorités russes d’installer des dispositifs spéciaux intégrant un logiciel de surveillance des milliers de points d’échange entre la Russie et le Web au sens large. Ce sont ces derniers qui seront chargés d’alimenter le centre névralgique d’analyse en temps réel des volumes et les types de trafic installé au sein du Roskomnadzor – le régulateur russe en matière de télécommunications.
Vladimir Poutine a présenté cette initiative comme une réponse défensive à la nouvelle cyberstratégie de l’administration Trump. En effet, il ne faut pas perdre de vue qu’à mi-parcours du mois d’août de l’année précédente, le président américain a signé un décret qui assouplit des contraintes quant à la possibilité pour les États-Unis de déployer des armes cybernétiques contre des adversaires dans le monde. Un responsable de l’administration Trump avait décrit lesdites mesures comme un « pas offensif » destiné à soutenir les opérations militaires des USA, à dissuader l'influence électorale étrangère et à contrecarrer le vol de propriété intellectuelle en faisant face à de telles menaces avec une réponse plus énergique.
« Si nous voyons que d'autres ont les capacités techniques pour mener des attaques sur l'Internet russe, nous devons avoir les capacités techniques pour résister à ces attaques », rapporte la Deutsche Welle des propos d’Andrei Klishas – l’un des auteurs du projet de loi. « Nous ne doutons pas que les Etats-Unis soient techniquement capables d'éteindre Internet là où ils le jugent nécessaire », souligne à nouveau le média allemand des propos du membre du Conseil de la Fédération russe.
En parallèle à la mise sur pieds de textes, les autorités russes évoluent sur le terrain. À mi-parcours du mois de février, elles ont lancé un test de déconnexion d’Internet en vue de s’assurer que les données transmises entre citoyens et organisations restent à l'intérieur du pays plutôt que d'être acheminées à l'étranger. Maintenir les données russes sur le sol russe : il s’agit là de l’une des idées de base derrière le projet de loi, mais des groupes de défense des droits préviennent que la manœuvre du gouvernement russe vise beaucoup plus les critiques du Kremlin que des adversaires internationaux.
En effet, l'idée du gouvernement russe d'accroître son contrôle sur Internet s'inscrit dans une tendance politique inscrite sur le long terme. En 2017, les responsables ont déclaré qu'ils voulaient que 95 % du trafic Internet soit acheminé de façon locale d'ici 2020. Depuis 2016, une loi oblige les réseaux sociaux à stocker des données sur les utilisateurs russes sur les serveurs du pays. La loi a été officiellement présentée comme une mesure antiterroriste, mais beaucoup l'ont critiquée comme une tentative de contrôler les plateformes en ligne qui peuvent être utilisées pour organiser des manifestations antigouvernementales.
Alors qu’on amorçait le mois de mars, des milliers de personnes sont descendues dans les rues en Russie pour protester contre ce projet de loi qu’elles qualifient de « censure » et de tentative d'« isolement » du pays du reste du monde. Toutefois, d’après Andrei Klishas, « la manœuvre en cours ne vise en aucune façon à isoler la Russie ou à la couper des sources extérieures. » Il ajoute néanmoins que « l’Internet russe doit être protégé des influences extérieures parce que son importance en tant qu’espace public va grandissant dans un pays où de nombreuses infrastructures sont désormais connectées. »
Le projet de loi devrait être approuvé de façon définitive à la fin de ce mois et entrer en vigueur dès le premier novembre une fois que le président Poutine l’aura promulgué. L'Internet russe devrait dès lors s'aligner sur le chinois, mais les autorités russes se refusent à toute comparaison à ce niveau.
Sources : NYT , DW
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Le , par Patrick Ruiz
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