
Quelques arguments de Drew DeVault pour expliquer la mort en cours de la FSF
Après plus de 40 ans d’existence, Drew DeVault estime que la FSF se meurt. Si le blogueur reconnaît que la FSF a contribué jusqu'à un moment donné à faire avancer le mouvement du logiciel libre, il soutient néanmoins que la fondation a échoué sur sa mission principale qui est de :
- diffuser la philosophie du logiciel libre ;
- développer, publier et promouvoir des licences de copyleft ;
- surveiller la santé du mouvement du logiciel libre.
Et selon DeVault, vu que la fondation a échoué dans sa mission principale, elle investit maintenant ses ressources dans des distractions. Pour mieux se faire comprendre, il explique par exemple que dans son rôle de leader d’opinion de la philosophie du logiciel libre, le message de la FSF a une portée étroite. Les messages de l’organisation sont sourds, inefficaces et myopes. Les pages d’essais philosophiques denses et les FAQ mal organisées ne fournissent pas un point d’entrée ou une référence utile pour la communauté. Pour DeVault, le message ne peut pas se propager ainsi.
Des notions comme copyleft et logiciel sont mal appréhendées par le public. La famille des licences GPL qui est essentielle pour le mouvement du logiciel libre est mal comprise du public, malgré la FAQ de 16 000 mots qui la complète. DeVault avance également que la FSF ne comprend pas sa place dans le monde dans son ensemble ni sa relation avec les mouvements progressistes qui se déroulent dans l’écosystème et au-delà. Pour lui, la fondation ne s’adresse pas aux nouveaux dirigeants de la communauté (comme ceux de la communauté Free Open Source Software), les laissant former des institutions insulaires et faibles entre elles, sans direction centrale, et nous laissant vulnérables à l’exploitation de mouvements croissants comme le noyau ouvert et les attaques commerciales contre la marque du logiciel libre et open source.
Quelques solutions proposées par Drew DeVault pour sortir la FSF de sa léthargie
Pour éviter la mort imminente de la fondation FSF, DeVault suggère les changements suivants :
- réformer la direction : il est temps pour Richard Stallman de partir. Sa rhétorique polémique rivalise même avec la mienne, et la démographie qu’il représente devient minoritaire au sein du mouvement du logiciel libre. Nous avons besoin de plus de leaders de couleur, de femmes, de représentation LGBTQ et d’autres encore. La direction actuelle, en particulier celle de RMS, crée un environnement d’exclusion dans un lieu où l’inclusion et la représentation sont importantes pour le succès du mouvement ;
- réformer l’institution : La FSF doit corriger sa vision myope de l’écosystème, tendre la main aux leaders émergents dans le monde des logiciels libres et leur demander de prendre en charge la mission de la FSF. Ce sont ces leaders qui tiennent les rênes du mouvement du logiciel libre aujourd’hui — pas la FSF. Si la FSF veut toujours être impliquée dans le mouvement, elle doit reconnaître et responsabiliser les leaders qui font avancer la cause ;
- reformuler le message : les gens dépendent de la FSF pour établir une solide expérience dans la philosophie et les pratiques du logiciel libre au sein de la communauté, et la FSF ne fournit pas cela. Le message doit être rendu beaucoup plus accessible et uniforme dans le ton, et la relation entre le logiciel libre et l’open source doit être réformée afin que la FSF et l’OSI soient ensemble comme les piliers à la base de notre écosystème ;
- découpler la FSF du projet GNU : la FSF et GNU ont travaillé main dans la main pendant des décennies pour construire le mouvement à partir de zéro, mais leur relation privilégiée est devenue obsolète. Le projet GNU représente une fraction infime de l’écosystème du logiciel libre aujourd’hui, et il est nécessaire que la Free Software Foundation soit indépendante de tout projet particulier et se concentre sur la santé de l’écosystème dans son ensemble ;
- développer de nouvelles licences copyleft : la famille de licences GPL nous a bien servi, mais nous devons faire mieux. La meilleure licence copyleft aujourd’hui est la MPL, dont la forme concise et le langage accessible surpassent la GPL à bien des égards. Cependant, il n’apporte pas de réponse complète aux besoins du copyleft, et de nouvelles licences sont nécessaires pour occuper d’autres niches du marché — la FSF devrait rédiger ces licences. De plus, la FSF devrait présenter à la communauté une perspective de logiciel libre sur les licences en tant que ressource sur laquelle les chefs de projet peuvent compter pour comprendre l’importance de leur choix de licence afin qu’ils comprennent l’attrait des licences copyleft sans se sentir éloignés des approches permissives ;
- le mouvement du logiciel libre a besoin d’une force forte pour l’unir : nous sommes confrontés à des défis de plusieurs côtés, et la Free Software Foundation d’aujourd’hui n’est pas à la hauteur de la tâche. L’écosystème FOSS est en plein essor, et il est temps pour la FSF de prendre le volant et de diriger ses succès à venir au nom de la liberté du logiciel.
Un rappel des faits qui ont secoué la FSF et Richard M. Stallman, pour mieux comprendre le contexte des propositions de Drew DeVault
Pour bien comprendre certains aspects des suggestions de DeVault, il convient de rappeler certains faits survenus depuis quelques années. Depuis la création en 1985, la FSF fut dirigée par Stallman qui occupa les postes de président et membre du conseil d’administration. Mais le 16 septembre 2019, il a dû démissionner de ces deux postes. En cause de la démission, la publication d’un e-mail envoyé par Stallman une semaine avant dans une conversation tenue au sein du MIT, dans une boucle de discussion consacrée aux répercussions de l’affaire Epstein dans la grande université américaine, où il explique au sujet de Virginia Giuffre, l’une des victimes du réseau de prostitution de mineurs du milliardaire Epstein, qu’« il est possible d’imaginer de nombreux scénarios, mais le plus plausible est qu’elle s’est présentée comme entièrement consentante ». Il ajouta qu’il est « moralement absurde de définir le viol d’une façon qui dépend de détails mineurs comme le pays où cela s’est produit ou le fait que la victime ait 18 ou 17 ans. ». À propos d’une femme ayant des relations sexuelles avec un mineur, il déclara : « J’aurais aimé qu’une femme attirante m’ait » abusé « de cette façon quand j’avais 14 ans. » Ces propos qui ont choqué les internautes ont suscité de vives réactions qui l’ont poussé à la démission de son poste de président de la Free Software Foundation et de son conseil d’administration ainsi que celui de son poste au sein du CSAIL, le laboratoire d’informatique et d’intelligence artificielle du MIT.
Plus d’un an plus tard après sa démission, c’est-à-dire en mars 2021, Richard M. Stallman annonce son retour au conseil d’administration de la FSF. Bien évidemment, cela a provoqué une vague de réactions aussi bien en faveur qu’en défaveur de la figure de proue du logiciel libre. Quelques jours après avoir annoncé son retour à la tête de la FSF, l’Open Source Initiative a annoncé ne plus vouloir collaborer avec la FSF tant que RMS sera à la tête de la fondation. Presque au même moment où l’OSI dénonçait la réintégration de RMS, des centaines de défenseurs du logiciel libre ont écrit une lettre ouverte pour demander sa démission, et celle de tous les autres du conseil d’administration de la FSF pour leur passivité. Parmi les signataires de la lettre, on retrouve des développeurs, contributeurs et hauts responsables d’organisations et projets du libre et de l’open source, y compris la GNOME Foundation, l’Open Source Initiative, la Software Freedom Conservancy, l’Apache Software Foundation, la Wikimedia Foundation, l’EFF, ainsi que Mozilla et Tor et bien d’autres encore. De leur côté, les partisans de Richard M. Stallaman ont également écrit une lettre ouverte qui aurait reçu plus de 6000 signatures pour marquer leur soutien au fondateur de la FSF. Malgré la pression des acteurs du monde libre, qui a même poussé l’équipe de direction de la FSF à démissionner, RMS est resté dans le conseil d’administration de la FSF et la figure emblématique du mouvement du logiciel libre. Mais depuis lors, il s’est fait beaucoup d’ennemis qui souhaitent ne plus le voir au-devant de la FSF et du mouvement du logiciel libre.
Quelques réactions des internautes à la suite de l’analyse de DeVault
À la suite des critiques de DeVault contre la FSF et Stallman, plusieurs internautes ont réagi pour approuver ou contester ses positions. Kronyb, un internaute qui a également réagi sur ce sujet, souligne que la première chose qui l’a été interpellé dans les propositions de DeVault est le fait qu’il demande à Richard Stallman de partir. « Je m’attendais à voir ça », soutient l’internaute, qui ajoute « qu’il n’y a rien de plus que les entreprises aimeraient plus que de le voir partir. Ensuite, elles pourront prendre le contrôle total de la FSF. Elles y ont déjà la main ». Il convient de souligner que la diversité que prône DeVault pour remplacer Stallman a été déjà demandée par Red Hat. Concernant la position de Stallman à la tête de la FSF, Dale_Glass, un autre intervenant, pense par contre que Stallman a fait un travail excellent et précieux en général. Mais il ne fait tout simplement pas un leader efficace. Pour lui, Stallman ferait un bien meilleur « gourou ». La FSF devrait le mettre de côté dans une sorte de rôle de consultant et donner le rôle de visage public à quelqu’un qui peut communiquer plus efficacement. Et de terminer en précisant que « dans tous les cas, cela va être nécessaire dans un laps de temps assez court, puisque l’homme est juste vieux. Il ne peut pas faire cela éternellement, il doit donc exister un digne successeur ».
Dradley de son côté se montre plus virulent envers Stallman. Pour lui, le leader du logiciel n’a pas vraiment fait avancer la cause ces 15 dernières années. Il soutient qu’avant même ses déclarations qui lui ont valu sa démission :
- il a contribué activement au déclin de GCC et a abandonné le monde des outils basés sur le compilateur et de la recherche sur le compilateur à LLVM en insistant pour rendre impossible l’utilisation de GCC en tant que bibliothèque. Il a énervé les mainteneurs d’Emacs dans le processus ;
- il a énervé les responsables de la glibc en essayant d’opposer son veto à la suppression d’une blague sur l’avortement du manuel, même s’il n’a pas été impliqué dans la glibc depuis des années. Sur cette base, beaucoup d’autres responsables se sont énervés du niveau de contrôle qu’il exigeait sur des détails qui n’ont rien à voir avec la liberté du logiciel ;
- il n’a absolument rien fait pour faire face à toute menace pesant sur les logiciels libres depuis 2005, ou s’adapter autrement aux besoins changeants des développeurs pour que la FSF/GNU reste pertinente. RMS n’a même aucune idée de ce que sont ces besoins parce que l’homme lit son e-mail avec cURL.
Et maintenant, il est de retour depuis un certain temps, et rien ne continue de se produire. Et la FSF est de moins en moins pertinente d’année en année.
Amno toutefois prend le contrepied des choses et trouve malséant de vouloir se débarrasser de Stallman comme une vieille chaussette usagée dont on n’a plus besoin. « Vous croyez que vous ne vieillirez jamais ? Souhaitez-vous que votre famille et vos amis se retournent contre vous parce que vous êtes vieux et que vous n’avez plus la même énergie que lorsque vous aviez 20 ans ? La question est de savoir à quoi ressemblerait le paysage aujourd’hui et s’il n’y avait pas eu l’open source au sens large tel que nous le voyons aujourd’hui avec des licences permissives » ? Il ajoute que « vous ne pouvez regarder les erreurs d’une personne, mais vous pouvez aussi regarder tout le bien qu’une personne a fait. Ne faites-vous pas des erreurs ? N’avez-vous jamais pris de mauvaises décisions de toute votre vie ? L’erreur est humaine. À quoi ressemblerait le monde si tout le monde était expulsé de son travail et de la société lorsqu’il commettait une erreur, et si tout dans le monde était jugé sur ses erreurs et non sur la valeur qu’il ajoute ? Réfléchissez d’abord à vous-même, êtes-vous sûr d’être qualifié pour lancer une pierre ? »
Roenxi, quant à lui, « trouve fascinant à quel point les appels peuvent être sans fondement ». Il fait remarquer qu’« il n’y a pas d’alternative concrète proposée. Les gens sont sûrs que le FSF est en train de mourir, mais ne semblent pas avoir le charisme ou la gravité sociale pour l’en détourner ». Pour lui, « Stallman est bien mieux que rien — honnêtement, il est plutôt bon, nous allons probablement le voir remplacé par quelqu’un de moins capable — et comme vous le soulignez, les alternatives seront probablement des compromis qui diluent la liberté pour servir les intérêts des entreprises ».
Source : Blog de Drew DeVault
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