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L'OCDE rend publiques ses propositions sur une taxe GAFA transfrontalière

Qui seront examinées par les ministres des Finances du G20 lors de leur prochaine réunion le 17 octobre à Washington

Le 2019-10-11 11:51:20, par Stéphane le calme, Chroniqueur Actualités
À l'ère numérique, l'attribution de droits d'imposition ne peut plus être exclusivement circonscrite par référence à la présence physique. Les règles en vigueur depuis les années 1920 ne suffisent plus pour garantir une répartition équitable des droits d'imposition à une période de mondialisation (phénomène d'ouverture des économies nationales sur un marché mondial, entraînant une interdépendance croissante des pays). Aussi, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a proposé mercredi une réforme en profondeur de la fiscalité transfrontalière qui devrait donner aux États davantage de marges de manœuvre pour taxer les grandes entreprises internationales, notamment les grandes enseignes du numérique comme Google ou Facebook.

Contexte

Voici le contexte dans lequel ce document d'une vingtaine de pages a été produit :

Les défis en matière fiscale apportés par la numérisation de l'économie ont été identifiés comme l'un des principaux domaines d'action du plan d'action BEPS (Base Erosion and Profit Shifting), ce qui a conduit au rapport 2015 BEPS Action 1. Le débat politique sur ces défis reste une partie importante de l'agenda international. À la suite d'un mandat des ministres des Finances du G20 en mars 2017, l'Inclusive Framework, mené par l'intermédiaire de son groupe de travail sur l'économie numérique, a publié un rapport intermédiaire en mars 2018 : Les défis fiscaux liés à la numérisation - Rapport intermédiaire 2018.

Ce groupe de travail sur l'économie numérique a encore intensifié ses travaux après la publication du rapport intermédiaire. Sur la base de l'analyse incluse dans les deux rapports cités plus haut ainsi que sur la base des discussions tenues lors des réunions du groupe de travail en juillet 2018 et en décembre 2018, un certain nombre de propositions ont été présentées par les délégués au groupe de travail. Ces propositions, ainsi que les discussions récentes et les commentaires des membres de l'Inclusive Framework OCDE / G20, ont posé les bases d'un accord sur la voie à suivre pour parvenir à une solution consensuelle en 2020.


En janvier 2019, l'Inclusive Framework a publié une note succincte regroupant les propositions étudiées en deux piliers. Le premier pilier, qui concerne le document en source, est axé sur l'attribution de droits d'imposition ainsi que sur la réalisation d'un examen cohérent et simultané de la répartition des bénéfices et des règles de nexus (c'est-à-dire le lien unissant une entreprise et un État qui la taxe). Le premier pilier comprend les propositions « participation des utilisateurs », « actifs incorporels du marketing » et « présence économique significative ». Le second pilier concerne les problèmes restants liés au BEPS

Dans le cadre des travaux en cours, un document de consultation publique a été publié le 13 février 2019, qui sollicitait les contributions des parties prenantes externes.

Le 28 mai 2019, l'Inclusive Framework a adopté un programme de travail visant à élaborer une solution consensuelle aux problèmes fiscaux posés par la numérisation de l'économie. Cela a ensuite été approuvé par les ministres des Finances du G20 lors de leur réunion à Fukuoka les 8 et 9 juin 2019, et par les dirigeants du G20 à Osaka les 28 et 29 juin 2019. Le programme de travail est une étape cruciale pour répondre à la demande du G20 de trouver et convenir d'une solution consensuelle d'ici la fin de 2020.

Une approche unifiée

Les trois alternatives présentées dans le programme de travail sous le premier pilier présentent un certain nombre de points communs:
  • bien que les propositions abordent différemment le problème posé par la numérisation, dans la mesure où les entreprises hautement numérisées sont en mesure de fonctionner à distance, et/ou ou sont très rentables, toutes les propositions réaffecteraient des droits d’imposition en faveur de la juridiction de l’utilisateur ou du marché ;
  • toutes les propositions envisagent une nouvelle règle de nexus qui ne dépendrait pas de la présence physique dans la juridiction de l’utilisateur ou du marché;
  • elles vont toutes au-delà du principe de pleine concurrence et s’écartent du principe d’entité séparée; et
  • elles recherchent tous la simplicité, la stabilisation du système fiscal et une certitude fiscale accrue lors de la mise en œuvre.


Bien entendu, le rapport a également noté des écarts entre les propositions. Par exemple, l'accent mis sur les entreprises numériques varie, la nature de la réaffectation des droits d’imposition diffère également entre les propositions, etc.

Le Secrétariat a cherché à élaborer une nouvelle approche possible sur la base des points communs entre les trois propositions, en tenant compte de l'objectif ultime de ces propositions, des points de vue exprimés au cours des consultations, ainsi que de la nécessité de fournir une solution aussi simple que possible.


Portée (entreprises concernées)

Dans un premier temps, il faut identifier les entreprises qui seront concernées. Il s'agit notamment d'entreprises qui se projettent dans la vie quotidienne des consommateurs (y compris des utilisateurs) interagissent avec leurs bases de données consommateurs et créent une valeur significative sans présence physique traditionnelle sur le marché. Si le document note que cela pourrait s'appliquer à n'importe quelle entreprise, il précise que cela concerne « les entreprises centrées sur le numérique qui interagissent à distance avec des utilisateurs, qu'ils soient ou non leurs clients principaux, et pour les autres entreprises en contact avec le consommateur pour lesquelles les interactions des consommateurs, la collecte et l'exploitation des données, le marketing et le branding sont importants et peuvent plus facilement être réalisés à distance. Cela inclut les entreprises hautement numérisées qui interagissent à distance avec les utilisateurs, qu'ils soient ou non leurs principaux clients, ainsi que les autres entreprises qui commercialisent leurs produits auprès des consommateurs et peuvent utiliser la technologie numérique pour développer une base de consommateurs ».

Toutes les entreprises bénéficiant de revenus via une activité internet, que ce soit par la vente et la distribution de ses produits ou par la vente de publicité, sont concernées. Sont exclues du champ d'application les entreprises industrielles telles que Valéo, par exemple, et les industries extractives (entreprises minières).

« Une discussion plus approfondie devrait également avoir lieu pour déterminer si d’autres secteurs (services financiers, par exemple) devraient également être exclus, en tenant compte de la logique de la politique fiscale ainsi que d’autres aspects pratiques. Cette discussion devrait également prendre en compte les limitations de taille, telles que, par exemple, le seuil de revenus de 750 millions d'euros utilisé pour les obligations de déclaration pays par pays ».

Concernant le seuil de chiffre d'affaires qui sera imposable, Richard Collier, conseiller fiscal à l'OCDE, a indiqué mercredi lors d'un Webcast de l'Organisation que « la décision reste à trancher ».


La création d'un nouveau nexus (dans le cas d'espèce, lien unissant une entreprise et un État qui la taxe)

Actuellement, dans une juridiction, une société non résidente n'est imposable sur ses bénéfices commerciaux que si elle y possède un établissement stable. Cela implique donc avoir une certaine forme de présence physique. La numérisation a mis à rude épreuve l'applicabilité de cette règle, car les entreprises peuvent de plus en plus faire affaire avec des clients situés dans une juridiction sans y être physiquement présentes. Cela est particulièrement vrai pour les ventes à distance d'entreprises hautement numérisées, dont les activités ont remis en question la pertinence des règles de présence physique existantes - notamment dans l'esprit du public et des politiciens.

« La nouvelle règle de lien permettrait de résoudre ce problème en s'appliquant dans tous les cas où une entreprise a une implication durable et significative dans l'économie d'une juridiction de marché, par exemple par le biais d'une interaction et d'un engagement du consommateur, quel que soit son niveau de présence physique dans cette juridiction. Le moyen le plus simple d’appliquer la nouvelle règle consisterait à définir un seuil de revenu sur le marché (dont le montant pourrait être adapté à la taille du marché) comme indicateur principal d’une implication durable et significative dans ce pays. Le seuil de revenus prendrait également en compte certaines activités, telles que les services de publicité en ligne, qui s'adressent à des utilisateurs non payants dans des emplacements différents de ceux dans lesquels les revenus correspondants sont comptabilisés. Ce nouveau lien serait introduit par le biais d'une règle autonome - en plus de la règle d'établissement stable - afin de limiter tout effet d'entraînement non intentionnel sur les autres règles existantes ».

En clair, dès l'instant ou une multinationale exercera une activité à distance sur un territoire, via la toile, cet État sera susceptible de la taxer sur ces activités.

Une fois qu'il est établi qu'un pays a le droit d'imposer les bénéfices d'une entreprise non résidente, la question suivante est de savoir quel bénéfice les règles attribuent à cette juridiction. « Nous donnons le droit d'imposer une entreprise à une juridiction dès l'instant que cette entreprise génère un montant de chiffre d'affaires sur ce territoire », explique Pascal Saint Amans, directeur du centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE.

Reste à déterminer quel sera le profit soumis à cette nouvelle taxation dans la mesure où elle cohabitera avec l'ancienne. L’État en question ne pourra pas prélever des impôts sur la totalité du profit généré par cette entreprise, mais seulement une partie. Ne serait-ce que pour éviter un phénomène de double imposition. L'approche consiste à réallouer une partie des profits résiduels pour qu'ils soient taxés là où ils sont réalisés.

Dans ce but, l'OCDE propose de dissocier les profits dits routiniers générés par les activités classiques des entreprises (production, distribution, recherche et développement…) des profits résiduels importants générés, par exemple, par des revenus de licence ou de marque. Reste à déterminer quelle sera la proportion de ce profit résiduel qui sera redistribuée aux différentes juridictions dans lesquelles l'entreprise réalise son activité. Le pourcentage reste à déterminer. Les discussions promettent d'être ardues.

Conclusion

Le document note que « le programme de travail a mis en évidence les points communs des trois propositions présentées au groupe de travail sur l'économie numérique afin de faciliter une solution consensuelle sur le premier pilier. Il a également identifié diverses questions techniques à résoudre et attribué ce travail à différents groupes de travail. Toutefois, le programme de travail a souligné la nécessité de convenir des grandes lignes de l'architecture d'une approche unifiée d'ici à janvier 2020, étant donné l'objectif de parvenir à une solution consensuelle d'ici la fin de 2020. Il a également noté que, sans réduire les écarts entre les trois propositions, il ne serait pas possible de parvenir à une telle solution, ce qui encouragera davantage de juridictions à adopter des mesures fiscales unilatérales non coordonnées, y compris des mesures qui taxent les revenus bruts. Un tel événement compromettrait la pertinence et la durabilité du cadre fiscal international et porterait préjudice à l'investissement mondial ainsi qu'à la croissance ».

Néanmoins, à Paris, on juge que les propositions de l’OCDE constituent « une base de travail prometteuse », a déclaré mercredi une source de Reuters à Bercy.

Les ministres des Finances du G20 devraient examiner ces propositions lors de leur prochaine réunion le 17 octobre à Washington. Si un consensus se dégage, l’OCDE ouvrira des négociations parmi les 134 pays favorables à une réécriture des règles, avec l’objectif de définir un accord-cadre en janvier, de parvenir à s’entendre sur les détails d’ici juin et de conclure un accord définitif d’ici fin 2020.

Source : document

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