La semaine dernière, l’administration Trump a pris des mesures extrêmes et sans précédent contre Huawei, mettant sous embargo le géant technologique chinois au risque d’une rupture à long terme des relations commerciales entre Washington et Pékin. Ces mesures incluent l’ajout du géant des télécoms chinois, comme la société russe de cybersécurité Kaspersky avant elle, dans une liste noire qui contraint les entreprises étasuniennes à ne plus faire affaire avec Huawei, à moins d’avoir une autorisation officielle préalable. Cette action a poussé de nombreuses entreprises technologiques américaines (Microsoft, Intel, ARM, Google…) à mettre un terme à leurs relations commerciales avec le second fabricant mondial de smartphones qui occupe près du quart du marché dans la zone EMEA.
Pour justifier sa décision, l’administration Trump a expliqué que le matériel Huawei expose les États-Unis à un risque accru d’espionnage. D’après elle, « ;les adversaires étrangers créent et exploitent de plus en plus de vulnérabilités dans les technologies et services d’information et de communication ;». Elle est persuadée que « ;l’acquisition ou l’utilisation sans restriction ;» d’équipements conçus par des adversaires étrangers aggrave ces vulnérabilités au point de constituer « ;une menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale ;».
Si cette manœuvre avait pour but de restreindre Huawei dans le domaine de l’infrastructure réseau, ça pourrait se comprendre. Mais quel est le rapport avec le matériel exporté et surtout destiné à des marchés autres que celui des États-Unis : pourquoi les puces Intel, AMD et Qualcomm ou la mémoire flash de Micron ne devraient-elles pas être vendues à Huawei pour être utilisées sur des produits (PC ou smartphones et autres) destinés à l’Europe ;? Huawei ne vend pas de smartphones aux États-Unis et malgré le fait que la Chine a des antécédents de violation de la propriété intellectuelle et de vol de secrets commerciaux, pourquoi d’autres groupes chinois comme Lenovo, OnePlus ou DJI ne sont pas inquiétés ;?
Les États-Unis et la Chine se livrent une intense guerre commerciale depuis l’an dernier, un conflit dans lequel la surenchère verbale, l’arrestation de hauts responsables de multinationales de part et d’autre et la manipulation des tarifs douaniers font partie des principaux instruments de cette confrontation économique. Certains pourraient voir les mesures contre Huawei comme faisant partie d’une stratégie visant à augmenter la pression sur l’économie chinoise afin d’obtenir des concessions à l’avenir. Mais invoquer des raisons liées à la sécurité nationale dans l’affaire Huawei comme le font les USA actuellement ne pourrait-il pas nuire durablement à la crédibilité des USA en cas d’apparition d’une menace réelle pour la sécurité ;?
Récemment, le président Trump s’est adressé à la presse après un événement au cours duquel a été abordée la question de l’appui aux agriculteurs étasuniens impactés par la guerre commerciale entre Washington et Pékin. Lorsqu’un journaliste a interrogé Donald Trump au sujet des actions menées à l’encontre de Huawei, la réponse du président a été troublante : « ;Huawei est quelque chose de très dangereux. Si vous regardez ce qu’ils ont fait du point de vue de la sécurité, du point de vue militaire, c’est très dangereux. Il est donc possible que Huawei soit même inclus dans une sorte d’accord commercial. Si nous parvenions à un accord, j’imagine que Huawei pourrait être inclus dans un accord commercial sous une forme ou une autre ;».
Trump semble indiquer qu’un embargo a été imposé à Huawei parce que cette entreprise constitue une menace pour la sécurité nationale des USA. Mais il précise aussi que ces restrictions pourraient être levées dans le cadre d’un accord commercial entre les États-Unis et la Chine, ce qui à première vue ne parait pas logique : comment pourriez-vous négocier une menace à la sécurité dans le cadre d’un accord commercial sachant que votre partenaire ne peut pas promettre de façon crédible qu’il n’essayera pas de vous espionner ;?
Ces allégations apparemment incompatibles pourraient tout de même trouver un sens en admettant que la menace pour la sécurité nationale brandie par le camp étasunien était du bluff à la base. Quel que soit l’accord que Trump signe, les agences d’espionnage chinoises continueront leurs activités et si Huawei était une menace avant l’accord, elle le sera tout autant par la suite. Bien sûr, si la société technologique n’était pas vraiment une menace pour la sécurité et que l’administration Trump s’en est servi comme excuse pour intensifier la guerre commerciale, ce serait encore pire, car n’importe quelle autre entreprise technologique pourrait servir de bouc émissaire à l’avenir.
Le monde de la sécurité nationale repose sur des renseignements confidentiels et les opérations de vie ou de mort doivent souvent être entreprises pour des raisons qui ne peuvent être rendues publiques. Dans ces cas-là, le président et les autres chefs de gouvernement ne peuvent raconter qu’une partie de l’histoire, et au-delà de cela, ils ont besoin que le public ait confiance dans le fait qu’il existe une préoccupation de sécurité nationale valable pour dissimuler le reste. Cette confiance a été ébranlée ces dernières années, souvent pour de bonnes raisons, mais c’est une part importante de ce que signifie avoir un service de renseignement fonctionnel. Faire reculer des restrictions massives à la suite d’un accord commercial serait catastrophique pour cette crédibilité et la confiance dans cette institution est la principale raison pour laquelle nous devons croire que Huawei est une menace en premier lieu.
Il se pourrait que les propos de Trump aient été mal interprétés. Mais, quels que soient les faits, c’est au président de justifier ses actions auprès du public et de présenter clairement ces mesures contre Huawei dans le cadre d’un plan plus large entrepris pour le bien des États-Unis, ne serait-ce que pour préserver la crédibilité du gouvernement en place. La décision de Trump a causé un immense chaos et de l’inquiétude à l’échelle mondiale dans l’industrie technologique. Il doit au moins aux différents acteurs de ce milieu une explication honnête sur les raisons qui l’ont poussé à agir de la sorte.
Et vous ?
Que pensez-vous de l’embargo américain imposé à Huawei et des justifications avancés avancées par le président américain ?
Est-il, selon vous, possible de négocier une menace à la sécurité dans le cadre d’un accord commercial sachant qu’aucun des partenaires impliqués ne peut pas promettre de façon crédible qu’il n’essayera pas de vous espionner ;?
Invoquer des raisons liées à la sécurité nationale dans l’affaire Huawei comme le font les USA actuellement ne pourrait-il pas nuire durablement à la crédibilité des USA en cas d'apparition d'une menace « réelle » pour la sécurité ?
Est-il admissible que des puces Intel, AMD et Qualcomm ou la mémoire flash de Micron ne puissent pas être vendues à Huawei pour être utilisées sur des produits (PC ou smartphones et autres) destinés à des marchés autres que celui des USA ;?
Les USA auraient-ils bluffé depuis le début ?
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