Après le vote en Assemblée en avril dernier, le projet de loi instaurant une taxe nationale qui cible les géants du numérique vient d'être adopté par le Sénat. Mardi soir, au total, 181 sénateurs ont voté pour et 4 contre le projet présenté en mars par Bruno Le Maire, à quelques amendements près. Il y a quand même un grand nombre d'abstentions : 158.
Ce projet de loi vise à imposer les activités numériques qui « créent de la valeur grâce aux internautes français » et cible notamment les entreprises qui font, sur leurs activités numériques, un chiffre d’affaires de 750 millions d’euros dans le monde et de plus de 25 millions d’euros en France. L’idée est de les imposer à hauteur de 3 % du chiffre d’affaires réalisé en France sur la publicité ciblée en ligne, la vente de données à des fins publicitaires et la mise en relation des internautes par les plateformes. En définissant ces critères, une trentaine de groupes, y compris le Français Criteo, tombent sous le coup de cette taxe qui devrait rapporter 400 millions d’euros en 2019, puis 650 millions l'année prochaine.
Comme lors des discussions en Assemblée, certains sénateurs ont cherché à étendre la portée et le fruit de la taxe. Les membres du groupe socialiste et républicain ont par exemple proposé d'augmenter le taux de la taxe sur les services numériques (TSN) de 3 % à 5 %. Ils estiment en effet que « fixer le taux de la TSN à 5 % créerait une concurrence équitable entre les entreprises traditionnelles et les entreprises numériques et permettrait une meilleure contribution à l’impôt de la part du secteur du numérique, qui a été jusqu’ici sous-imposé ». Pour eux, une telle augmentation ne saurait en aucun cas être vue comme confiscatoire ou abusive dans la mesure où le montant de la taxe constituera une charge déductible de l’assiette de l’impôt sur les sociétés pour les entreprises redevables de la taxe qui sont assujetties à l’impôt sur les sociétés en France. Ainsi, en relevant le taux de la taxe, on incite en même temps les entreprises du numérique à déclarer leurs bénéfices en France. Leur amendement a toutefois été rejeté.
Comme la taxe porte sur les services numériques proposés aux utilisateurs en France, la localisation des internautes est essentielle pour déterminer l’assiette de la taxe proposée. Pour cela, le dispositif adopté par l’Assemblée nationale indique uniquement que « l’utilisateur d’une interface numérique est localisé en France s’il la consulte au moyen d’un terminal situé en France ». Il faut donc préciser les éléments qui peuvent être utilisés pour déterminer la localisation de l'utilisateur et donc territorialiser l’assiette. Bruno Le Maire a demandé en Assemblée qu'il soit éventuellement défini d'autres éléments pour compléter l'élément principal qu’est l’adresse IP.
Les membres du groupe socialiste et républicain ont simplement proposé de rajouter un second critère, dans des conditions fixées par décret : la domiciliation de l’interface numérique utilisée. Ils estiment en effet que le trafic internet hébergé par les pages ".fr" est un indicateur plus complet, ou à tout le moins complémentaire, et permettrait de mieux appréhender la part française des services numériques. Mais cet amendement a été rejeté.
Pour cette même question, le rapporteur Albéric de Montgolfier a relevé la nécessité de concilier deux impératifs : l’efficacité de la taxe proposée (donc pouvoir localiser un utilisateur consultant une interface numérique depuis la France), et la protection des données à caractère personnel, qui suppose que la localisation soit réalisée de manière proportionnée aux objectifs poursuivis. L’adresse IP respecte l’équilibre entre ces deux exigences, ce qu'a confirmé la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Cet élément de localisation présente toutefois des faiblesses, qui pourraient s’accentuer à l’avenir. Pour garantir dans la durée le respect du double impératif d’efficacité et de confidentialité, il a donc proposé de renvoyer à un décret en Conseil d’État le soin de fixer les modalités permettant d’apprécier la consultation d’une interface numérique au moyen d’un terminal situé en France. C'est la solution qui a été retenue...
Comme l'a expliqué le ministre des Finances, il s'agit d'une solution temporaire dans l'attente d’un accord dans le cadre de travaux en cours à l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). Exaspéré par les hésitations au niveau de l'UE, Bruno Le Maire ne pouvait en effet pas attendre plus longtemps alors que les « Gilets jaunes » réclament plus de pouvoir d’achat. Il faut trouver de l'argent pour financer la série de mesures d’urgence en faveur du pouvoir d'achat annoncées en décembre dernier, pour un montant de près de dix milliards d’euros.
Cette taxe lui permet donc d'aller chercher « l’argent [qui] est chez les géants du numérique », lesquels font « des profits considérables grâce aux consommateurs français, grâce au marché français, et payent 14 points d’imposition en moins que les autres entreprises, que les PME, que les TPE, que l'industrie française » ; ce qu'il trouve inadmissible. Bruno Le Maire s'est toutefois engagé à abandonner cette taxe lorsque les entreprises du numérique seront taxées à l’échelle internationale.
Les sénateurs ayant approuvé l'idée de taxer les géants du numérique, avec les députés, ils vont à présent tenter, en commission mixte paritaire, de se mettre d'accord sur une version commune. Faute de quoi, une nouvelle lecture sera nécessaire.
Sources : Amendements (N°14, N°15, N° COM-20), Reuters
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Comment garantir dans la durée le respect du double impératif d’efficacité et de confidentialité dans la localisation des internautes pour déterminer l'assiette fiscale ?
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Le , par Michael Guilloux
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