L’une des raisons qui ont été à l’origine de la croissance rapide du nombre d’utilisateurs de Facebook, c’est l’ouverture du réseau social avec la possibilité d’appartenir à de grands groupes qui s’étendent à l’échelle mondiale. Mais dans les prochaines années, les choses devraient changer, à en croire un billet de blog publié le mercredi par le PDG de Facebook, Mark Zuckerberg. Zuckerberg promet de faire passer Facebook d’un réseau social qui depuis une génération a encouragé des milliards de personnes à partager largement les mises à jour et les photos de leur vie à un réseau social où les communications sont éphémères et chiffrées sur l’ensemble de ses applications de messagerie.
Dans un long billet de blog, le PDG de Facebook a annoncé le mercredi une réorientation radicale vers la protection de la vie privée sur ces quatre applications – Facebook, Messenger, Whatsapp et Instagram –, c'est-à-dire qu’au cours des années à venir, les données sur les quatre applications seront chiffrées pour que les personnes extérieures, et même Facebook, ne puissent pas les lire. Nous attendons de voir comment cela va se traduire dans les faits, toutefois, M. Zuckerberg a annoncé que l'entreprise passerait d'un réseau social où les gens diffusent de l'information à de grands groupes à un service où les gens communiquent avec des groupes plus petits et fiables.
« Quand je pense à l'avenir d'Internet, je crois qu'une plateforme de communication axée sur la protection de la vie privée deviendra encore plus importante que les plateformes ouvertes d'aujourd'hui », a écrit Zuckerberg. « Aujourd'hui, nous voyons déjà que la messagerie privée, les histoires éphémères et les petits groupes sont de loin les domaines de communication en ligne qui connaissent la croissance la plus rapide. », a-t-il ajouté. « La vie privée donne aux gens la liberté d'être eux-mêmes et de se connecter plus naturellement, c'est pourquoi nous construisons des réseaux sociaux. »
Selon M. Zuckerberg, les réseaux sociaux publics ont toujours leur place, mais il entrevoit une grande opportunité pour l'avenir, fondée sur « une plateforme plus simple, axée d'abord sur la vie privée ». « Je crois que l'avenir de la communication passera de plus en plus à des services privés et chiffrés où les gens peuvent être sûrs que ce qu'ils se disent entre eux reste sécurisé et que leurs messages et leur contenu ne resteront pas éternellement en place », dit M. Zuckerberg. « C'est l'avenir que j'espère que nous aiderons à réaliser. »
Toutefois, ce revirement brutal ne sera pas sans conséquence pour Facebook, qui est devenue l'une des entreprises les plus riches du monde en collectant des données personnelles des utilisateurs en contrepartie d’une meilleure expérience utilisateur ou très souvent sans leur consentement, qu’il vend aux marques qui, à leur tour, ciblent les utilisateurs avec de la publicité. Ce modèle d'affaires, qui pourrait être bouleversé par la décision de Zuckerbeg, a conduit aujourd’hui l’entreprise dans une position où son avenir est marqué par la méfiance des consommateurs, le déclin de la croissance sur son réseau social de base et les luttes constantes avec les organismes de réglementation à travers le monde.
Mais cette décision, qui pourrait être bénéfique dans un contexte de crise de confidentialité, a suscité des réactions sceptiques, Facebook étant capable de dire une chose et faire une autre. Facebook s’est toujours défendu de ne pas vendre les données des utilisateurs, mais le contraire a été prouvé.
En effet, les défenseurs de la protection de la vie privée ont déclaré que M. Zuckerberg doit aller au-delà de la promotion du chiffrement pour fournir des renseignements concrets sur la question de savoir si moins de données seront recueillies et utilisées pour les profits de Facebook. « Pourquoi a-t-on toujours l'impression d'assister à une version numérique de la Journée de la marmotte alors que Facebook promet une fois de plus - en période de crise - qu'il fera mieux », a déclaré Jeff Chester, directeur exécutif du Center for Digital Democracy, un groupe sans but lucratif à Washington. « Apportera-t-il réellement un changement dans la façon dont Facebook recueille continuellement des données sur ses utilisateurs afin de générer de gros profits ? »
La décision de M. Zuckerberg de rendre privées les communications sur ses médias sociaux intervient à un moment où les organismes de réglementation du monde entier, y compris les États-Unis, poursuivent leurs efforts pour élaborer de nouvelles règles visant la façon dont les entreprises recueillent et monétisent les données de leurs utilisateurs. Ces organismes pensent que les plateformes numériques détiennent trop d’informations sur leurs utilisateurs.
La FCC (Federal Trade Commission) est en train de préparer une amende record de plusieurs milliards de dollars contre l'entreprise le géant des réseaux sociaux. Facebook est également prêt à se défendre contre une poursuite intentée mercredi par le procureur général de D.C., qui a allégué que l'entreprise avait trompé ses utilisateurs au sujet de ses pratiques de collecte de données. Les députés britanniques ont rendu public leur rapport d’enquête sur les fausses nouvelles et la désinformation qui préconise la mise en place d’un superviseur de Facebook et des autres entreprises du numérique.
Le passage promis à des communications plus sécurisées, bien que bénéfique pour les utilisateurs, pourrait comporter des risques majeurs pour la position mondiale de Facebook.
Les risques inhérents à la décision de M. Zuckerberg
L’un des risques est que de nombreux gouvernements s'opposent au chiffrage et pourraient bloquer Facebook sur leur territoire, mais Facebook a déclaré publiquement que malgré tout, il mettra l'accent sur la protection de la vie privée de façon concrète à l’avenir, et qu'il était prêt à être bloqué dans de nombreux pays en conséquence. Un autre risque est qu’il sera difficile pour Facebook de lutter contre les agents de désinformation et autres mauvais acteurs sur sa plateforme, qui nécessite la capacité de lire le contenu que les gens affichent.
« Ce qui n'est pas clair, c'est comment ils vont faire cette transition en toute sécurité. Nous avons déjà vu les risques associés à WhatsApp et au chiffrage privé en Inde, par exemple, où la désinformation a entraîné des foules et la perte de vies humaines », a-t-elle déclaré Jennifer Grygiel, professeure adjointe en communications à l'Université de Syracuse, qui croit que les changements promis par M. Zuckerberg réduiraient considérablement la capacité de l’entreprise de modérer le contenu.
Facebook pourrait également être confronté, dans sa nouvelle décision aux responsables européens qui déjà ont critiqué Facebook pour son projet de fusion des services de communication après avoir initialement promis de garder l’application WhatsApp séparée des autres. Une plus grande intégration entre les applications de Facebook – Zuckerberg a parlé de l' « interopérabilité » entre les applications – pourrait conduire à des critiques encore plus sévères, voire même des accusations antitrust, a rapporté The Washington Post.
La décision de Zuckerberg pourrait cacher une motivation d'ordre commercial
En effet, depuis un certain temps Facebook subit un manque de confiance de ces utilisateurs à cause des controverses sur la protection de la vie privée de l'an dernier. Dans une étude du Pew Research Center publié en septembre, un quart des utilisateurs de Facebook interrogés ont déclaré avoir supprimé l'application de leur smartphone l'année dernière et plus de la moitié ont déclaré avoir modifié leurs paramètres de confidentialité. Il semble même que l'utilisation de Facebook et de Messenger aux États-Unis ait diminué d'environ 10 % par personne entre 2017 et 2018, selon Brian Wieser, analyste chez Pivotal Research Group.
Zuckerberg, lui-même, a écrit hier que « Je comprends que beaucoup de gens ne pensent pas que Facebook puisse ou veuille construire ce genre de plateforme axée sur la protection de la vie privée, parce que, franchement, nous n'avons pas actuellement la réputation d'établir des services de protection de la vie privée, et nous nous sommes toujours concentrés sur les outils pour un partage plus ouvert ».
Aussi, selon un autre rapport de l'industrie publié l’an dernier, WhatsApp aurait dépassé Facebook en nombre de personnes qui l'utilisent sur une base mensuelle et Zuckerberg a récemment commencé à mettre l'accent sur le nombre de personnes qui utilisent au moins un de ses produits une fois par mois. Les utilisateurs se connectent plus fréquemment aux applications de messagerie que le réseau social central, dont la croissance s'est stagnée aux États-Unis et en Europe, selon The Washington Post. En effet, la tendance est inquiétante pour Facebook qui tente de faire de Facebook l’application dominante.
« Il s'agit là d'une démarche entièrement stratégique qui vise à utiliser la protection de la vie privée comme un avantage concurrentiel et à faire de Facebook la plateforme de messagerie dominante », a déclaré sur Twitter Ashkan Soltani, un ancien fonctionnaire de la FCC et chercheur en matière de protection de la vie privée.
Facebook a aussi écrit vouloir construire davantage de moyens pour que les gens interagissent après avoir rendu publique sa messagerie, « y compris …, les paiements, le commerce, et finalement une plateforme pour de nombreux autres types de services privés », qui pourrait faire référence à une autre façon de gagner de l’argent sur les utilisateurs.
Source : Billet de blog, The Washington Post
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Le , par Stan Adkens
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