Le piratage a-t-il vraiment un effet négatif sur la vente des œuvres protégées par le droit d'auteur ? Les études qui se succèdent nous rendent de plus en plus réticents à répondre par l'affirmative. Parmi ces études, il y en a même une qui a été financée par la Commission européenne, l'institution de l'UE à l'origine de la réforme en cours sur les droits d'auteur sur Internet.
En janvier 2014, la Commission européenne a en effet payé 360 000 euros à un cabinet-conseil pour étudier la relation entre les téléchargements illégaux sur les ventes légales d'œuvres protégées par le droit d'auteur. Le rapport final a été remis en mai 2015 à la Commission européenne, mais les résultats n'ont jamais été publiés. La raison, comme la révélée l'eurodéputée du Parti Pirate Julia Reda, est que l'étude n'a trouvé aucune preuve pour soutenir l'idée selon laquelle le piratage a un effet négatif sur les ventes de contenu protégé.
En résumé, le rapport de l’étude indique qu’en général, « les résultats ne montrent pas de preuve statistique solide d'une réduction des ventes par les infractions de droit d'auteur en ligne. Cela ne signifie pas nécessairement que le piratage n'a aucun effet, mais seulement que l'analyse statistique ne prouve pas avec une fiabilité suffisante qu'il y ait un effet. » Au contraire, dans le cas des jeux vidéo, l'étude a trouvé le lien opposé, indiquant une influence positive des téléchargements illégaux de jeux sur les ventes légales. La Commission européenne aurait donc dissimulé le rapport pour ne pas compromettre son projet de réforme du droit d'auteur sur Internet.
Une nouvelle étude vient encore montrer que le piratage peut ne pas être mauvais, mais au contraire bénéfique pour les entreprises impliquées dans la chaine d'approvisionnement de contenus protégés par droits d'auteur. L'étude menée par des professeurs de la Kelley School of Business de l’Université d’Indiana et de deux autres écoles a en effet révélé qu’un niveau modéré de piratage pouvait avoir un impact positif sur le résultat net du fabricant et du distributeur d'un contenu protégé, et non aux dépens des consommateurs.
« Lorsque des produits d'information sont vendus aux consommateurs par l'intermédiaire d'un détaillant, dans certaines situations, un niveau modéré de piratage semble avoir un impact étonnamment positif sur les bénéfices du fabricant et du détaillant, tout en améliorant le bien-être des consommateurs », a écrit Antino Kim, professeur à la Kelley School of Business, avec les co-auteurs de l'étude. « Une telle situation gagnant-gagnant-gagnant est non seulement bénéfique pour la chaîne d'approvisionnement, mais également pour l'ensemble de l'économie. »
À titre d'exemple, l'étude indique que Game Of Thrones, une émission à succès de HBO, bat régulièrement des records de piratage à cause du partage de fichiers intensif sur BitTorrent. Mais l'entreprise n'a pas adopté une approche plus agressive pour lutter contre les services de streaming et téléchargements illégaux. C'est peut-être parce que cela lui est avantageux...
Les chercheurs indiquent également que le piratage peut agir comme une main invisible qui permet de maintenir le marché dans une situation optimale pour tous. Alors qu'ils ne toléraient pas le piratage, Kim et ses collègues ont en effet été surpris de constater que cela pouvait effectivement réduire, voire éliminer complètement, l’effet néfaste de la double marginalisation, un concept économique dans lequel les fabricants et les détaillants d’une même chaîne d’approvisionnement augmentent leur marge, ce qui conduit à un prix élevé qui sera supporté par les consommateurs. Les chercheurs ont constaté que le piratage pouvait affecter le pouvoir de fixation des prix du fabricant et du détaillant. Le piratage introduisait donc une concurrence fictive sur un marché qui serait autrement monopolistique. En effet, si les prix sont trop élevés, les utilisateurs vont tous se tourner vers le piratage, ce qui entraînera des pertes encore plus importantes.
Comme dans d'autres études, les chercheurs ont constaté que lorsque le piratage est généralisé, les fabricants et les détaillants en souffrent. Mais au vu des autres résultats de leur étude, ils déconseillent d'être trop agressif dans la lutte contre le piratage, car cela pourrait nuire au marché.
Les chercheurs précisent toutefois que leurs conclusions avaient leurs limites et qu'ils ne préconisaient pas ouvertement que les entreprises adhèrent pleinement au piratage. « Nos résultats ne signifient pas que le canal légal [de distribution de contenu protégé] devrait tout d'un coup commencer à encourager activement le piratage. Cela signifie simplement que, situés dans un contexte réel, nos fabricants et nos détaillants devraient reconnaître qu'un certain niveau de piratage ou sa menace pourraient en réalité être bénéfiques et devraient donc faire preuve d'une certaine modération dans leurs efforts de lutte contre le piratage », disent-ils. « Cela pourrait se manifester en tolérant le piratage à un certain niveau, peut-être en fermant les yeux dessus... Une telle stratégie serait en effet cohérente avec la façon dont d'autres ont décrit l'attitude de HBO à l'égard du piratage de ses produits », ont-ils ajouté.
Sources : Université de l'Indiana, Rapport de l'étude
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Un niveau modéré de piratage des contenus protégés peut avoir un effet positif sur les ventes légales de ces œuvres
D'après des chercheurs
Un niveau modéré de piratage des contenus protégés peut avoir un effet positif sur les ventes légales de ces œuvres
D'après des chercheurs
Le , par Michael Guilloux
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