Comme nous l’avons rapporté plusieurs fois sur ce site, la Commission européenne essaie de faire passer une réforme des droits d’auteur sur Internet, dans le cadre du marché numérique unique. Deux articles dans le texte de l’UE ont particulièrement provoqué pas mal de remous. Le premier, l’article 11, traite du droit de reproduction des publications de presse et de les rendre accessibles au public. Le second, l’article 13, préconise d’obliger les services d’hébergement d’œuvres à surveiller les téléversements (upload) de leurs utilisateurs, en mettant par exemple en place des technologies de filtrage des contenus.
Quoi qu’il en soit, l’EU est déterminée à mettre en place cette réforme, et pendant le déroulement des débats, elle a commandité plusieurs études afin de montrer la nécessité de réformer le copyright. Mais il semble que les conclusions de bon nombre de ces études n’allaient pas dans la direction souhaitée par la Commission européenne. Pour cette raison, ces études n’ont jamais été publiées, ou ne l’ont été que partiellement. C’est le cas par exemple d’une étude relayée en septembre par Julia Reda, le seul membre du Parti Pirate au Parlement de l'UE. Rappelons au passage que le Parti Pirate lutte pour la protection des droits et libertés fondamentales, aussi bien dans le domaine numérique qu'en dehors.
En janvier 2014, la Commission européenne a payé 360 000 euros à un cabinet-conseil pour étudier la relation entre les téléchargements illégaux sur les ventes légales d'œuvres protégées par le droit d'auteur. Le rapport final a été remis en mai 2015 à la Commission européenne, mais après plus de deux ans, les résultats n'ont jamais été publiés, pour une raison quelconque. Julia Reda a donc déposé une requête auprès du Secrétaire général de la Commission européenne pour accéder au rapport de l'étude. Et grande a été sa surprise lorsqu'elle a découvert que le rapport de plus de 300 pages semble suggérer qu'il n'y a pas de preuve pour soutenir l'idée selon laquelle le piratage a un effet négatif sur les ventes de contenu protégé.
En résumé, le rapport de l’étude indique qu’en général, « les résultats ne montrent pas de preuve statistique solide d'une réduction des ventes par les infractions de droit d'auteur en ligne. Cela ne signifie pas nécessairement que le piratage n'a aucun effet, mais seulement que l'analyse statistique ne prouve pas avec une fiabilité suffisante qu'il y a un effet. » Au contraire, dans le cas des jeux vidéo, l'étude a trouvé le lien opposé, indiquant une influence positive des téléchargements illégaux de jeux sur les ventes légales. L’étude a-t-elle vraiment été oubliée par la Commission ? S’est alors interrogée l'eurodéputé.
Suite à cet épisode, Julia Reda a déposé, auprès de la Commission européenne, une nouvelle requête d'accès à toutes les études sur le droit d'auteur (publiées ou non) depuis 2013. Et cela lui a permis de découvrir que la Commission européenne avait proscrit son propre centre de recherche (JCR) de publier une étude qui pourrait ruiner ses plans de réforme du droit d’auteur sur Internet.
L’étude intitulée « L'économie de l'agrégation de nouvelles en ligne et les droits voisins pour les éditeurs » est une analyse sobre du paysage de la presse et du rôle des agrégateurs de nouvelles. Elle note que les preuves empiriques disponibles montrent que les journaux bénéficient réellement des plateformes d'agrégation de nouvelles ; ce qui est également soutenu par les efforts déployés par les éditeurs pour apparaître dans ces agrégateurs en premier lieu.
L'article analyse ensuite les effets des changements de droits d'auteur espagnol et allemand que la Commission européenne veut si désespérément reproduire au niveau européen. L'Espagne et l'Allemagne ont en effet introduit un droit à rémunération pour les éditeurs de nouvelles pour la réutilisation de leur contenu d'actualités par des plateformes en ligne. Mais l’étude note que contrairement à ce que l'Espagne et l'Allemagne ont essayé de réaliser, la « valeur marchande » du droit à rémunération pour les éditeurs de nouvelles, dans le cas de ces pays, « reste jusqu'à présent nulle. » Le centre de recherche de la Commission européenne suggère par contre que les revenus des éditeurs de presse pourraient plutôt être augmentés par plus de coopération entre ces derniers et les agrégateurs de nouvelles, ce qui ne nécessite donc pas de changement de droit d'auteur.
« Si plusieurs facteurs ont contribué à la baisse des revenus des éditeurs de presse et du nombre de journaux traditionnels, l'agrégation des nouvelles a un effet inverse », peut-on lire dans le rapport du centre de recherche de la Commission. Dans une autre partie du rapport, on peut encore lire que « les risques qui peuvent être créés par les plateformes d'agrégation de nouvelles pour la pluralité des médias dans la consommation d'informations ne peuvent pas être traités par le droit d'auteur. » Cela dit, le rapport montre qu’il n’est pas nécessaire de mettre en œuvre cette réforme du droit d’auteur.
Julia Reda obtient également la preuve que le rapport a effectivement été banni par la Commission européenne. Cette preuve est contenue dans des parties d'une conversation par courrier électronique dans laquelle la DG CNECT (Direction générale des réseaux de communication, du contenu et des technologies) de la Commission européenne ordonne au JCR de ne pas publier l'étude.
D’après Julia Reda, le JCR avait pourtant prévu de publier l'étude en novembre 2016 ; ce qui aurait été une contribution très utile aux débats politiques autour des plans de droit d'auteur de la Commission, mais pas le type de contribution que la Commission aurait espéré. Pour la membre du Parti Pirate au Parlement européen, cette nouvelle découverte montre également la manière dont la Commission européenne traite les preuves académiques. « On ne peut s'empêcher d'avoir l'impression que la Commission ne publiera que de manière proactive des études qui correspondent à son propre récit politique, et qu'elle essaiera de minimiser le fait qu'elle retient les études quand quelqu'un commence à creuser », a-t-elle conclu.
Elle a donc écrit une lettre au président de la Commission européenne ainsi qu'au vice-président chargé du marché unique numérique et au commissaire en charge de la DG CNECT, les exhortant à mettre fin à cet obscurcissement des études universitaires et à poursuivre leur objectif déclaré, qui est l'élaboration de politiques fondées sur des données probantes, également dans le débat hautement politisé sur le droit d'auteur.
Source : Julia Reda
Et vous ?
Qu’en pensez-vous de dissimulation de cette nouvelle étude ?
Croyez-vous que la Commission européenne finira à tout prix à mettre en œuvre sa réforme du droit d’auteur sur Internet ?
Voir aussi :
UE : la France et deux autres pays militent pour le filtrage automatique des contenus mis en ligne dans le cadre de la réforme sur le droit d'auteur
L'UE a dissimulé un rapport montrant que le piratage n'a pas d'effet négatif sur la vente de contenu protégé après avoir payé 360 000 € pour l'étude
Ce que l'UE prépare à propos des liens et téléchargements de fichiers sur internet : des actions courantes sur le Web pourraient devenir illégales
Copyright sur Internet : la Commission européenne proscrit son propre centre de recherche de publier une étude
Qui pourrait ruiner ses plans
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Qui pourrait ruiner ses plans
Le , par Michael Guilloux
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