Alors que le Conseil de l’UE s’est prononcé en adoptant fin mai un texte qui force les plateformes d’Internet à implémenter des machines de censure, le parlement européen s’apprête à son tour à passer au vote la dernière proposition dans le cadre de la réforme de l’UE sur le droit d’auteur. Il va décider plus spécifiquement si la nouvelle directive va inclure les articles controversés 11 et 13. Pour rappel, le premier article traite du droit de reproduction des publications de presse et de les rendre accessibles au public. Le second (relatif au filtrage automatique de contenu en ligne) préconise d’obliger les services d’hébergement d’œuvres à surveiller les téléversements (uploads) de leurs utilisateurs, en mettant par exemple en place des technologies de filtrage des contenus.
C’est cet article 13 de la réforme qui est le plus contesté, et pour cause, il préconise de laisser à des machines le soin de décider ce qui pourra être publié ou non en ligne. Ces filtres n’existent pas encore, mais l’exemple le plus proche que nous avons est le système Content ID utilisé par YouTube. Mais ce système que Google a créé volontairement est notoire pour sa censure injustifiée et des actes arbitraires malgré le fait qu’il a coûté la bagatelle somme de 60 millions de dollars.
Les défenseurs des libertés numériques estiment que cette loi va poser peu d'obstacles aux plus grandes plateformes telles que YouTube, mais elle va créer une barrière coûteuse à l'entrée pour les petites plateformes et startups ; ces dernières pourront alors choisir de s'établir ou de déplacer leurs opérations à l'étranger afin d'éviter la loi européenne. Cela pourrait donc renforcer la position dominante des plus grandes plateformes en Europe.
De plus, le filtrage automatique des contenus mis en ligne veut dire que les contributions des utilisateurs seront soumises à la surveillance et potentiellement censurées si le système automatisé détecte ce qu'il pense être une violation du droit d'auteur. Pire encore, en raison du manque de fiabilité des systèmes automatisés, des erreurs vont inévitablement se produire et de nombreuses utilisations « inoffensives » d'œuvres protégées dont les mèmes Internet ou remix par exemple seront techniquement illégales.
En dépit de la mobilisation de plusieurs personnalités de l’Internet et la condamnation de cette réforme par des organisations comme Mozilla et la Free Software Foundation, les parties d’extrême droite européens ont affiché leur soutien à cette proposition. Les forums de droite ont été les premiers à souffrir de la censure de plus en plus accablante des grandes plateformes en ligne pour contrôler le discours de leurs utilisateurs, poussant certaines parties alignées à droite à lancer leurs propres versions de Twitter, Reddit, etc. pour pouvoir s’exprimer librement. Ils ont été en mesure de le faire en grande partie en raison de l’absence de barrières d’entrée (comme la non nécessité de mettre sur la table 60 000 000 de $ pour filtrer les contenus).
Dans ce qui peut être considéré comme une coïncidence qui tombe à point nommé, le Front national a protesté contre la fermeture de la chaîne YouTube “TVLibertés” (fondée par des anciens cadres FN) à cause notamment du système Content ID pour atteinte aux droits d’auteur. Une décision contestée par la leader du FN Marine Le Pen estimant qu’elle a été « arbitraire, politique et unilatérale. » de ce fait, la droite crie à la censure et s'inquiète pour la liberté d'expression.
Cet incident arrive à quelques jours seulement avant le vote programmé au sein du Parlement européen. Si jamais les députés du FN décident de changer leur position à la dernière minute (ils sont Marie-Christine Boutonnet @MCBoutonnetFN et Gilles Lebreton @Gilles_Lebreto), alors la réforme sera sûrement bloquée. S’ils décident de voter pour le même système qui vient juste de supprimer la chaîne YouTube "TVLibertés", alors la proposition sera retenue au détriment de centaines de millions d’internautes au sein de l’Union européenne.
Vers une guerre de l’asymétrie d'information
La nouvelle réforme, si jamais elle est votée, devrait imposer davantage l’hégémonie de sociétés américaines comme Google et Facebook en tant que rois de la censure sur Internet. En effet, les géants d’internet américains seront en mesure de négocier favorablement les taux et développer convenablement leur infrastructure pour se conformer à la nouvelle législation, mais personne d’autre. Les autres entreprises européennes à succès n’ont pas 60 à 100 millions d’euros à mettre sur la table pour développer des filtres de contenu, et n’ont certainement pas la possibilité de contracter les sites d’actualités pour acquérir des licences.
Si jamais les articles 11 et 13 passent, les sociétés américaines seront en charge des conversations en Europe, elles pourront décider quelles photos et tweets peuvent être partagés avec le public et qui peut prendre la parole ou non.
Julia Reda, eurodéputée membre du Parti Pirate (PP), a publié un état des lieux sur le vote et la situation s’annonce mal. Les parties de gauche comme de droite soutiennent la proposition, y compris le Front national qui vient de condamner la fermeture de la chaine YouTube "TVLibertés" (média alternatif fondé par des anciens du Front national), supprimée par un filtre de droit d’auteur, le même qui devrait être généralisé si le vote passe.
Jusque-là, le débat s’est focalisé sur le conséquences des propositions : l’idée qu’une certaine partie de la liberté d’expression et la compétition doit être sacrifiée pour permettre aux détenteurs de droits de forcer Google et Facebook à partager leurs profits.
Mais les autres conséquences imprévues sont plus importantes. L’article 11 (taxe sur les liens Internet) va donner aux sites d’actualités le pouvoir de décider qui pourra inclure des liens menant vers leurs sites, ce qui veut dire qu’ils peuvent exclure leurs critiques. Dans un contexte de fake news, ceci peut être interprété comme avoir carte blanche pour mentir et duper.
L’article 13 est plus contesté du fait qu’il ouvre la voie à la publication de millions d’œuvres pour réclamer leurs droits d’auteur et empêcher toute autre personne de les publier. En effet, la proposition ne contient pas de pénalités pour les fausses réclamations de détention de droits d’auteur, mais elle indique que les filtres doivent accepter les réclamations de droits d’auteur en masse.
Si jamais le vote passe, on pourrait imaginer des scénarios où des manipulateurs d’actions pourraient utiliser des bots pour réclamer les droits d’auteur sur une news à propos d’une société, empêchant son partage sur les réseaux sociaux ; les acteurs politiques pourraient être amenés à supprimer des articles clés durant les référendums ou les élections, les gouvernements corrompus pourraient utiliser des trolls pour réclamer à tort les droits d’auteur de vidéos montrant des abus de droits de l’Homme.
C’est une guerre d'asymétrie d’information, qui facilitera le processus de réclamation à tort de droits d’auteur. Pour supprimer une fausse réclamation, un humain devra sûrement être impliqué pour y jeter un coup d’œil, chercher le détenteur réel de l’œuvre et ajuster par la suite la base de données. Or, avec des millions de réclamations, les bots seront en mesure de polluer plus rapidement les bases de données de droits d’auteur, un rythme que les employés humains ne pourront pas suivre.
Source : Boing Boing - Boing Boing - Marianne
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Voir aussi :
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Le FN qui soutient la nouvelle loi sur le filtrage automatique de contenu en ligne
Proteste contre la fermeture de la chaine YouTube "TVLibertés"
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Le , par Coriolan
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