L'UE n'est plus qu'à quelques jours d'un vote crucial qui pourrait transformer de manière fondamentale l'Internet tel qu'on le connait aujourd'hui. Les 20 et 21 juin, le Parlement européen va en effet se prononcer sur la dernière proposition dans le cadre de la réforme de l'UE sur le droit d'auteur. Le Conseil de l'UE s'est déjà prononcé en adoptant fin mai un texte qui force les plateformes d'Internet à implémenter des machines de censure, puisqu'elles devraient filtrer automatiquement le contenu mis en ligne par leurs utilisateurs de peur d'être sanctionné. En plus de cela, les gouvernements des États membres ont adopté une taxe sur les liens Internet qui permettra aux éditeurs de presse d'être rémunérés par les plateformes en ligne pour la reproduire des publications de presse ou les rendre accessibles au public.
L'article 13 de la réforme (relatif au filtrage automatique de contenu en ligne) est le plus contesté. Mais après de nombreux mois de discussions sur la directive européenne sur le copyright, il n'a pas été retiré ou amélioré. Théoriquement, il y a encore de l'espoir pour les défenseurs des libertés numériques. Les 20 et 21 juin, la commission des affaires juridiques du Parlement européen votera sur la proposition. Si elle s'oppose au filtrage des téléchargements, la lutte pourra continuer dans les négociations ultérieures du Parlement avec le Conseil et la Commission européenne. Dans le cas contraire, le filtrage automatique de tous les contenus téléchargés pourra devenir obligatoire pour toutes les plateformes de contenu utilisateur qui desservent les utilisateurs européens.
À une semaine de ce vote crucial, un groupe de plus de 70 sommités de l'Internet et de l'informatique se mobilise contre la disposition exigeant des plateformes Internet qu'elles filtrent automatiquement le contenu mis en ligne par leurs utilisateurs. Ce groupe comprend le pionnier de l'Internet Vint Cerf, l'inventeur du World Wide Web Tim Berners-Lee, le cofondateur de Wikipédia Jimmy Wales, le cofondateur du projet Mozilla Mitchell Baker, le fondateur de l'Internet Archive Brewster Kahle, l'expert en cryptographie Bruce Schneier, et l'expert en neutralité du Net Tim Wu.
« En imposant aux plateformes Internet de filtrer automatiquement tout le contenu téléchargé par leurs utilisateurs, l'article 13 franchit une étape sans précédent vers la transformation d'Internet, d'une plateforme ouverte de partage et d'innovation, en un outil de surveillance et de contrôle automatisé de ses utilisateurs », se sont-ils prononcés dans une lettre conjointe publiée le 12 juin et adressée au président du Parlement européen. « Nous acceptons la considération de mesures qui amélioreraient la rémunération des créateurs pour l'utilisation de leurs œuvres en ligne, mais nous ne pouvons pas soutenir l'article 13, qui obligerait les plateformes Internet à intégrer une infrastructure automatisée de surveillance et de censure. Pour le futur de l'Internet, nous vous demandons de voter pour la suppression de cette proposition », ont-ils ajouté.
Ils estiment que cette loi va poser peu d'obstacles aux plus grandes plateformes telles que YouTube (YouTube utilise déjà son système Content ID pour filtrer le contenu), mais elle va créer une barrière coûteuse à l'entrée pour les petites plateformes et startups ; ces dernières pourront alors choisir de s'établir ou de déplacer leurs opérations à l'étranger afin d'éviter la loi européenne. Cela pourrait donc renforcer la position dominante des plus grandes plateformes en Europe.
Un autre problème qui en découlera est qu'avec le filtrage automatique des contenus mis en ligne, les utilisateurs verront que leurs contributions (vidéo, audio, texte et même code source) seront surveillées et potentiellement bloquées si le système automatisé détecte ce qu'il pense être une violation du droit d'auteur. Or, de manière inévitable, des erreurs vont se produire, puisqu'il n'existe aucun moyen pour un système automatisé de déterminer de manière fiable quand l'utilisation d'une œuvre protégée par le droit d'auteur relève d'une limitation ou d'une exception de droit d'auteur en vertu du droit européen, telle qu'une citation ou une parodie. Bref, de nombreuses utilisations « inoffensives » d'œuvres protégées dans les mèmes Internet ou remix par exemple seront techniquement illégales. Et si un système automatisé doit surveiller et éliminer ces infractions techniques, le champ d'application autorisé de la liberté d'expression en Europe sera radicalement réduit, même en l'absence de toute modification substantielle du droit d'auteur.
Pour éviter qu'on arrive à cette situation, ces pionniers et personnages importants de l'Internet et de l'informatique invitent les Européens à participer à une campagne qui vise à alerter leurs représentants sur les dangers de l'article 13 de la réforme du copyright de l'UE.
Sources : Blog de l'Electronic Frontier Foundation, Lettre adressée au président du Parlement européen
Et vous ?
Qu'en pensez-vous ?
Y a-t-il, selon vous, une chance que la mobilisation des sommités de l'Internet et de l'informatique change quelque chose ?
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Copyright : Vint Cerf, Tim Berners-Lee et d'autres sommités de l'Internet se mobilisent
Contre le filtrage automatique des téléchargements en Europe
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Le , par Michael Guilloux
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