De son côté, Cédric O, secrétaire d’État au numérique, multiplie les interventions pour rassurer les Français. « L’application StopCovid est utile. Volontaire, anonyme, transparente et temporaire, elle apporte les garanties de protection des libertés individuelles. À la disposition des acteurs sanitaires, elle les aidera dans la lutte contre le Covid-19 », a-t-il affirmé.
Annulation du débat et du vote consacré à l’application à l’Assemblée nationale et au Sénat
Après avoir discuté avec les présidents des deux assemblées, le Premier ministre Edouard Philippe a décidé que le projet d’application sera intégré à celui sur le déconfinement. Ce dernier sera présenté le 28 avril. Suite à cette annonce, Aurélien Taché, le député LaREM du Val d’Oise, a rappelé qu’une quarantaine de députés avaient « demandé un débat et un vote dédié au traçage numérique, car cette mesure touche particulièrement les libertés individuelles ». « Il est nécessaire que l’Assemblée nationale joue pleinement son rôle à ce sujet », a-t-il indiqué sur Twitter.
L’équipe de développement présentée, BetaGouv écarté et projet Github supprimé
« Le Gouvernement français a confié à INRIA le pilotage opérationnel du projet de recherche et développement baptisé « StopCovid » qui réunit l’expertise d’acteurs nationaux, publics comme privés, au sein de cette équipe-projet StopCovid. L’ensemble de ces acteurs contribue aux travaux déjà engagés pour mettre à disposition de tous les Français un outil permettant de mieux les protéger contre le Covid-19 », indique l’INRIA.
Celui-ci vient de dévoiler les noms de ses partenaires :
- ANSSI (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information) pour la cybersécurité ;
- Capgemini, en charge de l’architecture et le co-développement back-end ;
- Orange, pour la diffusion de l’application et l’interopérabilité ;
- Dassault Systèmes, qui s’occupe de construire l’infrastructure SecNumCloud, destinée à sécuriser les données collectées dans un cloud décentralisé ;
- Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), pour les modèles de santé
- Lunabee Studio, qui va développer les applications mobiles ;
- Santé Publique France, en charge de l’insertion et l’articulation de l’application dans la stratégie de « contact tracing » ;
- Withings, pour le portage du dispositif sous d’autres appareils connectés.
« À leurs côtés, l’ensemble de l’écosystème de recherche, d’innovation et d’entreprises est mobilisé à travers l’ « écosystème des contributeurs de StopCovid ». Ouvert, il rassemble des organisations ou personnes physiques, qui ont manifesté leur volonté de participer au projet, par des contributions spontanées ou en réponse à des sollicitations, que ce soit par la participation à des groupes d’experts techniques, à des groupes de réflexion, la mise à disposition de codes open source, le partage de retours d’expériences sur des solutions comparables, ou encore la participation aux expérimentations de terrain », précise l'institut.
Par ailleurs, l'incubateur de services publics numériques BetaGouv a été débarqué du projet et le projet GitHub où le code devait être rendu public n'apparaît plus sur la plateforme depuis ce jour.
Discussion engagée avec Apple
Auditionné le 20 avril par la commission des Lois du Sénat, Cédric O avait annoncé que les développeurs chargés de mettre au point l’application ont rencontré des « difficultés techniques avec le système d’exploitation des mobiles de marque Apple », et a déclaré que le gouvernement a envoyé une demande à la firme de Cupertino pour qu’elle autorise StopCovid à fonctionner en arrière-plan d’une manière permanente. « Les modalités de fonctionnement des iPhone ne nous permettent pas de faire tourner correctement l’application sur ces téléphones. C’est pourquoi nous sommes en discussion avec Apple », a-t-il réaffirmé.
Elle n’est pas obligatoire
L’utilisateur peut installer, utiliser ou désinstaller l’application d’après le gouvernement. Mais « chaque téléchargement est une chance de plus d’éviter le redémarrage de l’épidémie », a expliqué le secrétaire d’État. Ainsi, « un employeur, ou toute autre personne, qui obligerait à utiliser [StopCovid] pourrait s’exposer à des poursuites pénales ».
Son efficacité reste à démontrer
Saisi par le gouvernement le 17 avril, le Conseil national du numérique vient de rendre un avis favorable sur StopCovid. L’institution ne s’oppose donc pas au lancement de l’application et affirme même qu’elle « peut s’avérer utile dans la lutte contre la pandémie, en tant qu’élément d’une stratégie plus globale ».
Toutefois, le Conseil national du numérique précise qu’ « une série de conditions doivent être assurées afin de garantir l’intérêt général et l’État de droit. Elles touchent la confiance des citoyens, qui doit s’appuyer sur la transparence et l’indépendance du contrôle de l’application, ainsi que sa limitation dans le temps et la reconnaissance de son caractère exceptionnel ».
« L’inclusion, l’accessibilité et la loyauté de l’information sont les facteurs-clés de la réussite de son déploiement. À ce titre, l’accent doit être mis sur l’expérience utilisateur de l’application, l’accompagnement des publics fragiles ou éloignés du numérique et la mobilisation des acteurs de la médiation numérique », abonde l’institution.
D’ailleurs, le Conseil présente quinze recommandations parmi lesquels :
- « renommer l’application “AlerteCOVID” pour ne pas lui faire porter de fausses promesses » ;
- « publier le code source de l’application et des systèmes associés ainsi que leur documentation sous des licences libres et des éléments de vulgarisation » ;
- « expliciter le processus déterminant lorsqu’un contact est à risque » ;
- « simplifier au maximum l’installation et l’utilisation de l’application en épurant son design et en utilisant le français facile à lire et à comprendre (FALC) » ;
- « proposer une version simplifiée des conditions générales d’utilisation ».
L’avis de la CNIL
La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a également été saisie par le gouvernement. Dans son avis publié le 26 avril, l’autorité administrative indépendante « estime le dispositif conforme au Règlement général sur la protection des données (RGPD) si certaines conditions sont respectées ». « L’usage de l’application envisagée par le gouvernement est volontaire. (…) Cela implique qu’il n’y ait pas de conséquence négative en cas de non-utilisation, en particulier pour l’accès aux tests et aux soins, mais également pour l’accès à certains services à la levée du confinement, tels que les transports en commun », précise la CNIL.
Toutefois, « la CNIL rappelle que l'utilisation d'applications de recherche des contacts doit s’inscrire dans une stratégie sanitaire globale et appelle, sur ce point, à une vigilance particulière contre la tentation du « solutionnisme technologique ». Elle souligne que son efficacité dépendra, notamment, de sa disponibilité dans les magasins d’application (App Store, Play Store…), d’une large adoption par le public et d’un paramétrage adéquat ».
Mais « la crise sanitaire ne justifie pas d’imposer les technologies de surveillance »
Créée en 2014 par cinq associations, dont la Ligue des droits de l’Homme ou le Syndicat de la magistrature, l’Observatoire des libertés et du numérique (OLN), a exprimé son opposition au lancement de StopCovid. Dans un communiqué, l’OLN indique que « les utilisations envisagées de nos données personnelles (applications utilisant le Bluetooth pour le suivi des contacts) ou déjà mises en œuvre (géolocalisation) constituent une grave atteinte à nos libertés et ne sauraient être autorisées, ni utilisées sans notre consentement ».
« Concernant les applications de suivi des contacts, elles sont présentées comme peu dangereuses pour la confidentialité des données personnelles puisqu’il y aurait peu de collecte de données, mais essentiellement des connexions par Bluetooth d’un téléphone à un autre. C’est oublier que la notion de consentement libre, au cœur des règles de la protection des données, est incompatible avec la pression patronale ou sociale qui pourrait exister avec une telle application, éventuellement imposée pour continuer de travailler ou pour accéder à certains lieux publics. Ou que l’activation de ce moyen de connexion présente un risque de piratage du téléphone. Il est par ailleurs bien évident que l’efficacité de cette méthode dépend du nombre d’installations (volontaires) par les personnes, à condition bien sûr que le plus grand nombre ait été dépisté. Si pour être efficaces ces applications devaient être rendues obligatoires, « le gouvernement devrait légiférer » selon la présidente de la CNIL. Mais on imagine mal un débat parlementaire sérieux dans la période, un décret ferait bien l’affaire ! Et qui descendra manifester dans la rue pour protester ? », s’interroge l’OLN.
« L’atteinte au secret médical, à la confidentialité des données de santé, est aussi mise en cause, car ces applications offrent une possibilité d’identifier les malades et de les stigmatiser. Et qu’en sera-t-il de toutes les personnes qui n’auront pas installé l’application, seront-elles soupçonnées d’avoir voulu cacher des informations ? », ajoute-t-il.
De plus, l’OLN explique que « quant à celles qui ne possèdent pas de téléphone portable, elles risquent de subir une discrimination supplémentaire. Selon le CREDOC, seulement 44 % des « plus de 70 ans » possèdent un téléphone portable tandis que 14 % des Français ont des difficultés pour passer des appels ou envoyer des SMS. De là à installer une application et en comprendre les alertes… Faudra-t-il les équiper d’un bracelet ou autre appareil électronique ? »
« En matière de lutte contre la pandémie et notamment de fin de confinement, il semble que le gouvernement tente de masquer ses manques et ses erreurs avec des outils technologiques présentés comme des solutions miracles. Et alors que leur efficacité n’a pas été démontrée, les dangers pour nos libertés sont eux bien réels », conclut l’Observatoire.
Sources : Interview de Cédric O, INRIA, Assemblée nationale, Conseil national du numérique, CNIL
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