Tout est parti d'une annonce du secrétaire d’État au Numérique, Cédric O, qui a révélé au journal Le Monde que le gouvernement travaille d’ores et déjà sur une application mobile dénommée StopCovid : « Le gouvernement a décidé de lancer le projet StopCovid afin de développer une application qui pourrait limiter la diffusion du virus en identifiant des chaînes de transmission ». « L’idée serait de prévenir les personnes qui ont été en contact avec un malade testé positif afin de pouvoir se faire tester soi-même, et si besoin d’être pris en charge très tôt, ou bien de se confiner », explique-t-il.
Le secrétaire d'État n'a pas oublié d'expliquer le fonctionnement de StopCovid. Le projet s'appuie sur la technologie Bluetooth, qui permet aux smartphones d'identifier des appareils à proximité (écouteurs, enceintes, imprimantes...) et non le recueil de données de géolocalisation. « L'application ne géolocalisera pas les personnes. Elle retracera l'historique des relations sociales qui ont eu lieu dans les jours précédents, sans permettre aucune consultation extérieure ni transmettre aucune donnée », explique le secrétaire d'État.
Lorsque deux personnes se croisent pendant une certaine durée, et à une distance rapprochée, le téléphone portable de l'un enregistre les références de l'autre dans son historique. Si un cas positif se déclare, ceux qui auront été en contact avec cette personne sont prévenus de manière automatique L'application peut s'avérer utile, mais rencontre aussi quelques obstacles techniques. StopCovid fera très probablement un bide à cause de plusieurs raisons.
StopCovid est optionnel
D'abord, l'application est optionnelle. À chacun d'installer StopCovid de façon volontaire. Son utilisation se ferait sur la base du volontariat, afin de respecter le cadre du RGPD. De ce fait, l'on pourrait se demander, combien de personnes accepteraient de s’en servir ? À ce propos, un sondage réalisé par une équipe de recherche de l’université britannique d’Oxford qui travaille justement sur ce type d’application pour lutter contre la pandémie révèle qu'une nette majorité de Français seraient favorables à l’utilisation d’une application enregistrant leurs interactions sociales et les avertissant s’ils ont été en contact avec une personne malade du Covid-19, ou prévenant ceux qu’ils ont côtoyés s’ils sont eux-mêmes infectés.
Selon le sondage, ils seraient près de 48 % des personnes interrogées à l’installer « sans aucun doute » et 31 % à le faire « probablement », un pourcentage qui n’évolue guère avec l’âge. 79 % de la population pourraient donc installer l'application, mais c’est du déclaratoire. Un gap est à prévoir entre ce qui est affirmé et effectivement fait. Dans tous les cas, l’échantillon de la population serait modeste (1000) et donc peu pertinent. Aussi, ces résultats sont de toute façon à prendre avec des pincettes, selon les auteurs du sondage : « nous n’avons pu discuter le mode de fonctionnement et l’installation de l’application qu’en termes très généraux, alors que les détails précis de mise en œuvre pourraient grandement affecter les décisions d’installation ». Une polémique autour de StopCovid pourrait en outre diminuer son adoption.
Tout le monde ne dispose pas de smartphones
Ensuite, une autre problématique est que tout le monde n'a pas de smartphones. Le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie l’évalue à 77 % dans une enquête de 2019. Par conséquent, il y a 23 % de la population qui utilisent soit un téléphone mobile qui n'est pas smartphone, soit qui n’en a pas. C'est un pourcentage considérable qui regroupe près de 16 millions d’individus. Il y a aussi le cas des personnes (13 millions environ) qui ne savent pas se servir des outils numériques et qui pourraient avoir du mal à faire fonctionner StopCovid.
Il faudrait aussi un dépistage massif et régulier de la population pour connaître ceux qui sont testés positifs au covid-19 afin d'identifier et d'alerter ceux qui sont entrés en contact avec eux via StopCovid. Or, cela requiert une logistique et un approvisionnement en matériels et en solutions biologiques que la France ne parvient pas encore à assurer à grande échelle dans tout le pays. Il y a aussi le problème de la fiabilité des tests. Si une personne est testée négative alors qu'elle est en réalité positive, il risquerait alors d’infecter son voisinage. À l’inverse, un faux positif aurait pour effet de créer des alertes dans StopCovid pour rien.
L'application soulève également des problèmes de confidentialité
À travers une série de 8 questions, le Computational privacy group, un groupe de recherche sur les risques pour la vie privée découlant des ensembles de données comportementales à grande échelle, tire la sonnette d'alarme sur le fait que la collecte à grande échelle de données d'utilisateurs peut rapidement conduire à une surveillance de masse. Le Comité national pilote d'éthique du numérique a aussi mené des réflexions sur le sujet et présente le contexte et développe deux points spécifiques. D’une part les questionnements éthiques liés à l’usage des outils numériques dans le cadre d’actions de fraternité, et d’autre part celui des enjeux éthiques liés aux suivis numériques pour la gestion de la pandémie.
Quelques problèmes d'ordre technique se posent aussi
La technologie Bluetooth sur laquelle se base l'application StopCovid ne serait pas suffisamment précise pour permettre de mesurer si l'on se trouvait à plus (ou moins) des deux mètres de distanciation sociale recommandés par les autorités sanitaires, sa portée pouvant aller de moins d'un mètre à près de 400 mètres. La qualité du signal aussi dépendrait du terminal utilisé, de sa batterie et de ses composants, et autres.
StopCovid ne pourrait pas non plus se baser sur le GPS de toute façon, cette piste semble être déjà écartée. Des analystes de l'Union américaine pour les libertés civiles (ACLU), dont la mission est de "défendre et préserver les droits et libertés individuelles", ont fait un récapitulatif de leurs discussions avec des ingénieurs et responsables de plusieurs des principales entreprises américaines ayant des connaissances sur les données de géolocalisation.
Les antennes relais seraient trop imprécises. Les données GPS, censées être précises au mètre près, le sont plutôt à 5 ou 20 mètres, à l'extérieur et par temps clair. Elles ne fonctionneraient pas à l'intérieur ni à proximité, des immeubles, dans les grandes villes, ou quand il fait mauvais temps. Google reconnaît que les mécanismes de récolte de données d’Android ou de Maps ne sont « pas construits pour fournir des enregistrements robustes et de haute qualité à des fins médicales et ne peuvent être adaptés à cette fin ».
Sources : Center for Open Science, CCNE, ACLU
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Le , par Bill Fassinou
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