L’avionneur américain Boeing a indiqué ce lundi qu’il prévoit de suspendre la production de ses 737 MAX le mois prochain, une mesure drastique après que la Federal Aviation Administration a déclaré que l’examen des avions de ce modèle se poursuivrait l’année prochaine. La décision de l’avionneur américain est tombée après des mois d’immobilisation au sol de son modèle d’avions le plus vendu qui devait concurrencer l’A320neo d’Airbus. Cette décision illustre la gravité de l’une des pires crises à laquelle cette entreprise a eu à faire face dans son histoire.
Pour rappel, suite à un problème de capteurs défectueux affectant le système de contrôle de vol du 737 MAX de Boeing, ce modèle d’avions est interdit de vol depuis le 13 mars dernier. Les régulateurs mondiaux de l’aviation civile jugent encore le jet 737 MAX trop dangereux pour reprendre du service après les deux catastrophes aériennes distinctes l’ayant impliqué qui ont couté la vie à 346 passagers au total. Pour remédier à ce problème et convaincre les régulateurs d’autoriser la commercialisation de son avion, Boeing avait effectué plusieurs annonces fortes : mise en place d’un nouveau système de contrôle de vol pour son 737 MAX dont le fonctionnement repose non plus sur un, mais sur deux ordinateurs de vol pour des besoins de redondance, mise à jour (différée) via un correctif logiciel du système de contrôle de vol du 737 MAX incluant le MCAS, atténuation de multiples vulnérabilités, etc. Malheureusement aucune de ces mesures ne s’est avérée efficace et certains experts du milieu tels que Gregory Travis, ingénieur logiciel chevronné et un pilote expérimenté, ont affirmé qu’une mise à jour logicielle ne peut pas compenser les défauts de conception de cet avion, préconisant à la place une révision complète du design de l’appareil.
Dans son rapport final, le National Transportation Safety Board (NTSB), l’agence US en charge des enquêtes sur les accidents de transports, a confirmé que le crash du vol Lion Air 610, en octobre 2018, et celui du vol 302 d’Ethiopian Airlines, en mars 2019, étaient dus au dysfonctionnement d’une fonctionnalité du 737 MAX Boeing conçue à l’origine pour éviter les décrochages. Dans les deux cas, le système automatisé de stabilisation en vol des 737 MAX qui se sont écrasés s’est activé en réponse à une lecture erronée provenant de l’unique capteur d’angle d’attaque (AOA) défectueux de l’avion. Les pilotes se sont battus tant bien que mal pour reprendre le contrôle de l’avion à un système qui provoquait et accentuait le décrochage soudain et imprévisible de l’appareil, mais ils n’y sont pas parvenus.
À la charge de l’avionneur américain, le NTSB a révélé que le fabricant américain d’avions a manqué à ses obligations étant donné qu’il n’a pas su prévoir avec précision la réaction des pilotes en cas de dysfonctionnement de certains dispositifs critiques d’aide au pilotage embarqués dans son 737 MAX - notamment le système automatisé de stabilisation en vol (MCAS) - susceptibles d’occasionner le crash des aéronefs. En outre, Boeing a procédé à une évaluation inadéquate de la sécurité du logiciel de vol embarqué des 737 MAX, ce qui n’a pas permis de déceler des lacunes de conception du MCAS qui étaient au cœur des deux catastrophes aériennes impliquant cet avion de ligne. Le NTSB a estimé que Boeing devrait construire de meilleurs 737 pour les pilotes, sachant qu’ils doivent travailler avec des ordinateurs qui gèrent une grande partie du travail dans le cockpit.
De son côté, la Federal Aviation Administration (FAA), l’autorité de réglementation de l’aviation civile aux USA, a identifié en marge de ses enquêtes une autre défaillance critique de l’ordinateur de bord du 737 Max qui a des effets similaires au dysfonctionnement du MCAS. Pour ne rien arranger à la situation, peu de temps après le deuxième accident mortel d’un 737 MAX en mars, un ingénieur de Boeing a déposé une plainte interne cinglante sur les engagements éthiques contre son employeur alléguant que la direction de Boeing, déterminée à réduire les coûts pour les compagnies aériennes clientes, avait délibérément bloqué le déploiement d’importantes améliorations en matière de sécurité destinées au 737 MAX durant le développement du jet.
En parallèle, l’organisme européen de réglementation de l’aviation avait dressé une liste détaillée de cinq exigences majeures auxquelles Boeing doit répondre avant d’autoriser la remise en service du 737 Max. Cette liste faisait suite à l’examen général et indépendant du système de commandes de vol des avions 737 dans son intégralité, un examen diligenté par l’AESA qui s’est concentré sur les différences entre la variante MAX et l’ancien modèle. Outre les défaillances critiques mentionnées précédemment, l’AESA est préoccupée par : la difficulté potentielle des pilotes à tourner le volant de compensation manuelle de l’avion, le manque de fiabilité des capteurs d’angle d’attaque du Max, les procédures de formation inadéquates et le fait que pilote automatique du jet ne se désactive pas dans certaines situations d’urgence.
La mesure récemment annoncée par Boeing devrait se répercuter sur la chaîne d’approvisionnement du géant de l’aérospatiale et sur l’économie en général. Cela pose également d’autres problèmes aux compagnies aériennes, qui ont perdu et continuent de perdre des centaines de millions de dollars à cause de l’annulation de milliers de vols par manque d’avion ou de l’obligation de se fournir ailleurs et dans l’urgence pour compenser l’indisponibilité de leurs 737 Max. L’avionneur US basé à Chicago devra dédommager les compagnies à qui il a livré un 737 MAX avant l’interdiction mondiale de vol. Il devra aussi s’occuper de ses autres clients, notamment de ceux qui ont accusé un manque à gagner à cause du retard de livraison des 737 MAX devant être livrés depuis le 13 mars dernier.
Boeing a assuré qu’il n’a pas l’intention de licencier ou de mettre en congé les employés de son usine de Renton, à Washington, où le 737 Max était produit. Une partie des 12 000 travailleurs du groupe qui s’y trouvent seront réaffectés temporairement. La compagnie qui espérait obtenir l’approbation des régulateurs pour la levée de l’embargo sur ses 737 MAX avant la fin d’année devra entièrement revoir sa stratégie pour les prochains mois. La durée pendant laquelle Boeing maintiendra sa ligne de production du 737 Max à l’arrêt n’est pas précise parce qu’elle dépend du moment où les régulateurs autoriseront l’avion à voler à nouveau (probablement pas avant mars 2020).
Dans un communiqué, l’entreprise a déclaré : « Nous savons que le processus d’approbation pour la remise en service du 737 Max et pour la détermination des exigences de formation appropriées doit être extrêmement rigoureux et robuste afin que nos organismes de réglementation, nos clients et le public navigant aient confiance dans les mises à jour du 737 MAX. La FAA et les autres autorités de réglementation à l’échelle mondiale déterminent le calendrier de certification et de remise en service. Nous restons pleinement déterminés à soutenir ce processus. Il est de notre devoir de veiller à ce que chaque exigence soit satisfaite et à ce que chaque question de nos régulateurs soit traitée ».
Boeing avait averti à plusieurs reprises les investisseurs qu’elle pourrait encore réduire ou suspendre la production de ces avions si l’interdiction de vol se prolongeait. En avril dernier, l’entreprise a réduit sa production de 20 % pour la ramener à 42 jets un mois après que les organismes de réglementation eurent ordonné aux compagnies aériennes d’arrêter de faire voler les 737 MAX. Près de 400 737 MAX composaient la flottille mondiale des clients du groupe lorsque les régulateurs de l’aviation civile ont ordonné l’immobilisation de cet avion. Depuis lors, Boeing a produit environ 400 autres jets du même modèle qui sont stationnés dans ses installations. Malgré l’embargo sur les 737 MAX qui dure depuis dix mois maintenant, Boeing espère que l’arrêt de la production l’aidera à livrer les appareils stockés lorsque les sanctions seront levées.
Plus tôt cette année, l’avionneur américain a annoncé un fonds de 100 millions de dollars pour les familles et les collectivités des victimes des deux crashs. Il a aussi réglé les poursuites judiciaires avec les familles des victimes du premier accident, bien que de nombreuses autres aient été déposées par la suite. La société aurait prévu plus de 5 milliards de dollars pour indemniser les clients de 737 MAX.
Sources : Wall Street Journal, CNBC
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Le , par Christian Olivier
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