Une étude réalisée par des chercheurs de l'université d'Oxford a montré une faible évidence d'une relation entre le temps passé devant un écran et le bien-être des adolescents. Sur la base de données provenant de plus de 17 000 adolescents, l’étude jette un doute sur l’idée largement acceptée selon laquelle passer du temps en ligne, jouer ou regarder la télévision, en particulier avant l’heure du coucher, peut nuire à la santé mentale des jeunes. L'étude a été menée par Amy Orben, chercheuse à l'Oxford Internet Institute (OII) et maitre de conférences au Queen's College (Université d'Oxford), et le professeur Andrew Przybylski, directeur de la recherche à l'OII.
Les deux auteurs de la recherche avaient déjà mené une étude sur le sujet qui a été publiée plutôt cette année. L’étude, publiée dans Nature Human Behavior, a fait la une des journaux en concluant que l’utilisation de la technologie numérique est aussi nocive que la consommation de pommes de terre, tandis que le port de lunettes a un effet négatif plus important sur la santé mentale des adolescents. Elle a également balayé l'étude selon laquelle donner un smartphone à un enfant a le même effet que lui donner un gramme de cocaïne. Elle montre en résumé que l’utilisation de la technologie explique au plus 0,4 % du bien-être des adolescents... Mais pourquoi cette nouvelle étude ? La réponse est que les chercheurs d'Oxford ont voulu réétudier la question en tenant compte des limites des études précédentes.
Limites des études précédentes
Cette étude a été motivée par le fait que nombreuses recherches sur l'utilisation de la technologie numérique chez les adolescents ne seraient pas fiables. La plupart des conclusions reposent en effet sur des études exploratoires portant sur un seul pays et s'appuyant uniquement sur une auto-évaluation du temps d'utilisation de la technologie numérique. Or, des travaux récents ont montré que seul un tiers des participants émettait des jugements précis sur leur utilisation hebdomadaire d'Internet, tandis que 42 % surestiment et 26 % sous-estiment leur utilisation.
Les inexactitudes varient systématiquement en fonction de l’engagement numérique réel : les gros utilisateurs d’Internet ont tendance à sous-estimer le temps qu’ils passent en ligne, alors que les utilisateurs peu fréquents surestiment ce comportement. Ces deux tendances ont été reproduites dans des études sur le sujet. Il existe donc, selon nos chercheurs, des problèmes substantiels et endémiques concernant la majorité des recherches en cours sur l'utilisation de la technologie numérique et ses effets.
Méthodologie utilisée dans cette nouvelle recherche
Contrairement à d’autres études, l’étude d'Oxford a analysé des données provenant de trois pays (l’Irlande, les États-Unis et le Royaume-Uni) pour étayer ses conclusions. En Irlande, 5363 adolescents (le plus souvent âgés de 13 ans) ont été suivis dans le cadre du projet Growing Up in Ireland. Aux États-Unis, les données couvrant 790 sujets d'âges compris entre 12 et 15 ans proviennent du Panel Study of Income Dynamics des USA. Et au Royaume-Uni, l'ensemble de données comprenait les réponses de 11 884 adolescents et de leurs soignants interrogés dans le cadre de la Millennium Cohort Study.
Les chercheurs disent également avoir utilisé une méthodologie plus rigoureuse pour collecter le temps quotidien passé par un adolescent sur les écrans : ils ont complété les auto-évaluations de temps d'écran à des mesures du temps d'écran basées sur un agenda d'utilisation du temps. Le principe est qu'à un intervalle de temps régulier (chaque période de 15 min par exemple pour l'ensemble de données irlandais), les sujets ou ceux les suivent doivent sélectionner des activités auxquelles les adolescents ont participé. Pour les données de l'Irlande par exemple, ces activités ont été classées en 4 catégories par les chercheurs : « utiliser Internet / le courrier électronique », « jouer à des jeux vidéo », « parler au téléphone ou envoyer des SMS » ou « regarder la télévision, des films, des vidéos ou des DVD ».
La variable d'utilisation du temps a également été divisée en deux mesures, la première reflétant la participation à une activité (si un sujet a déclaré avoir participé à l’activité au cours d’une journée donnée) et la seconde reflétant la durée de la participation, si le sujet a participé à l’activité. Cela facilite la totalisation du temps total passé devant un écran et permet d’enquêter sur le moment où ces activités ont lieu. Précisons que les agendas d'utilisation du temps, bien qu'ayant été administrés et codés de manières légèrement différentes dans les pays, ont été harmonisés par les administrateurs de l'étude.
En plus d'inclure ces deux mesures différentes du temps d’écran - séparément pour les week-ends et les jours de semaine - les chercheurs ont créé six mesures pour évaluer l'utilisation de la technologie avant le coucher. Ces mesures étaient dichotomiques (indiquant simplement si le participant avait utilisé la technologie dans l'intervalle de temps spécifié : 30 minutes, 1 heure et 2 heures avant le coucher) et ont été évaluées séparément pour le week-end et les jours de la semaine.
Pour examiner la corrélation entre l'utilisation de la technologie et le bien-être, ils ont utilisé comme technique statistique une analyse de courbe de spécification (specification-curve analysis, ou SCA). Ils ont également effectué des tests statistiques sur des échantillons bootstrap pour examiner si les associations mises en évidence par l'analyse SCA étaient significatives.
En outre, l'étude a utilisé le préenregistrement, une approche qui garantit la rigueur scientifique en obligeant les chercheurs à fournir des détails sur la manière dont ils vont analyser les données avant leur publication. Avec cette approche, les chercheurs doivent déclarer les hypothèses et les protocoles de leur projet de recherche avant d’effectuer les expériences et ils doivent publier l’article, quel que soit le résultat. Cela semble une approche prometteuse pour lutter contre le biais de publication, la tendance à ne publier que des travaux scientifiques ayant des résultats positifs. Cela évite aussi de faire des hypothèses après la connaissance des résultats, ce qui constitue un défi pour les sujets de recherche controversés.
Les chercheurs ont mené plus précisément trois études, une pour chaque ensemble de données. Ils ont utilisé les deux premières études (Irlande et USA), qui étaient des études exploratoires, pour émettre des hypothèses ou théories sur le lien entre le temps passé devant un écran et le bien-être des adolescents. Ces théories ont ensuite été testées dans une troisième étude confirmatoire (c'est-à-dire qui vise à valider ou invalider les premières théories) basée sur les données du Royaume-Uni. « Plus précisément, nous avons utilisé une analyse de courbe de spécification (SCA) pour identifier des liens prometteurs dans nos deux études exploratoires, générant des hypothèses documentées basées sur des données. La robustesse de ces hypothèses a ensuite été évaluée dans une troisième étude confirmatoire qui a été préenregistrée. En soumettant les résultats des deux premières études aux normes méthodologiques les plus rigoureuses en matière de tests, nous avons cherché à préciser si l'engagement numérique comportait des associations fiables, mesurables et substantielles avec le bien-être psychologique des adolescents », expliquent les chercheurs.
Précisons aussi qu'ils ont utilisé deux mesures du bien-être proposées dans études de référence dans le domaine. Pour l'ensemble de données irlandais, les chercheurs ont également inclus le Child Depression Inventory en tant qu'indicateur négatif du bien-être. Pour l'échantillon américain, ils ont inclus le Short Mood and Feelings Questionnaire, un questionnaire sur l'humeur et les sentiments en tant que mesure du bien-être des adolescents.
Résultats
« En appliquant les meilleures pratiques statistiques et méthodologiques, nous avons trouvé peu d'évidence d'associations négatives substantielles entre le temps d'écran et le bien-être des adolescents », a déclaré Amy Orben. « Si la science psychologique peut être un outil puissant pour comprendre le lien entre l'utilisation d'une technologie numérique et le bien-être des adolescents, elle omet toujours systématiquement de fournir aux parties prenantes et au public des enquêtes de grande qualité, transparentes et objectives sur les préoccupations grandissantes concernant les technologies numériques. En analysant trois ensembles de données différents, qui incluent des mesures améliorées du temps passé devant un écran, nous avons trouvé peu de preuves claires indiquant que le temps passé devant un écran diminue le bien-être des adolescents, même si l'utilisation de la technologie numérique se produit directement avant l'heure du coucher », a ajouté le professeur Andrew Przybylski.
La recherche a révélé que le temps d'écran global par jour des adolescents avait peu d'impact sur leur santé mentale, tant le week-end que les jours de semaine. Elle a également permis de constater que l’utilisation de dispositifs numériques deux heures, une heure ou 30 minutes avant de se coucher n’avait aucun lien significatif avec une diminution du bien-être des adolescents, même si cela est souvent considéré comme un fait par les médias et dans les débats publics.
Les technologies faisant partie intégrante de nos vies sociales et professionnelles, la recherche sur l'utilisation de la technologie numérique et ses effets sur le bien-être des adolescents fait l'objet d'une attention croissante. Précisons d'ailleurs que ces résultats viennent quelques jours avant la publication prévue du nouveau livre blanc du gouvernement britannique sur les préjudices en ligne, qui devrait exposer des projets de législation pour régir les sociétés de médias sociaux. Or, régir les médias sociaux demande de prendre des décisions vraiment éclairées et basées sur des études scientifiques valables. Malheureusement, pour ce genre de décisions politiques, les autorités et législateurs se basent sur des études, parfois populaires, mais qui divulguent des conclusions manquant de robustesse scientifique. Les universitaires pensent que « pour conserver influence et confiance, des pratiques de recherche robustes et transparentes devront devenir la norme, pas l'exception ». Ils espèrent donc leur approche établira une nouvelle base de référence pour de nouvelles recherches sur l'étude psychologique de la technologie.
Source : Rapport de la recherche
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D'après une nouvelle étude d'Oxford
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Le , par Michael Guilloux
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