
Le protocole le plus utilisé actuellement est l'IPv4. Ce système attribue une série de quatre nombres (chacun allant de 0 à 255) à chaque appareil. Théoriquement, cela limite le nombre d’adresses IP disponibles à seulement 4 milliards. Mais, dans la pratique, il y a une mauvaise allocation qui réduit encore le nombre d’appareils qui peuvent se voir attribuer une adresse IPv4. Avec le succès de l’Internet et ses usages multiples dans l’ère des objets connectés, l’espace d’adressage du protocole IPv4 a donc atteint ses limites et, en 2016, l'IAB (Internet Architecture Board) a annoncé que le pool d'adresses IPv4 non attribuées a été épuisé. La solution aujourd'hui est donc de passer à la nouvelle version du protocole Internet : IPv6.
Grâce à des adresses de 128 bits au lieu de 32 bits, IPv6 dispose d'un espace d'adressage bien plus important qu'IPv4. Cette quantité d'adresses considérable permet une plus grande flexibilité dans l'attribution des adresses et une meilleure agrégation des routes dans la table de routage d'Internet. La traduction d'adresse, qui a été rendue populaire par le manque d'adresses IPv4, n'est plus nécessaire.
En octobre, nous vous informions que la proportion mondiale d’utilisation de l’IPv6 a franchi la barre des 25 %, un chiffre publié par Google. En France, le taux d’adoption a atteint 23,32 %, une situation qui a poussé l’Arcep à déclarer qu’il y a eu un retard du fait que la majeure partie des acteurs n’envisagent pas un déploiement qui permettrait de terminer la transition vers IPv6 à moyen terme. Par suite, l’autorité de régulation a incité vivement les différentes parties prenantes à accélérer leur transition.
Justement pour expliquer les raisons économiques qui pourraient inciter un acteur à déployer l’IPv6, l’Internet Governance Project s’est associé au Bureau du CTO de l’ICANN pour élucider les facteurs économiques affectant les décisions des opérateurs de réseau pour déployer l’Internet Protocol version 6 (IPv6).
Dans un avant-propos, les chercheurs ont écrit que l’étude a été menée du fait qu’il y a un besoin de mieux comprendre les motivations économiques derrière la « mise à niveau » de l’IPv4 vers IPv6. L’étude a examiné des données quantitatives sur les niveaux actuels et les tendances de l’adoption de l’IPv6. L’étude s’intitule : « The Hidden Standards War: Economic Factors Affecting IPv6 Deployment », elle cherche à expliquer les données en se basant sur une analyse des motivations économiques affectant les opérateurs de réseau.
L’étude cherche à appréhender plusieurs problématiques, notamment la compétition en cours entre IPv4 et IPv6 qui a de grandes implications sur le futur d’internet selon les auteurs. « Cet internet à standards mixtes constitue-t-il un phénomène de passage, ou bien allons-nous rester coincés dans cette mixité ? S’il s’agit seulement d’une phase transitoire d’une guerre de standards et l’un d’eux va prévaloir, lequel va gagner ? Si IPv6 domine, combien de temps nous faudra-t-il pour en arriver là ? Est-il possible que l’IPv6 perde en réalité la compétition des standards et devienne un “orphelin” proverbial de la littérature des standards économiques ?”
Autant de questions auxquelles tente de répondre cette étude. Bien que le rapport final n’a pas encore été publié, les auteurs ont partagé les premiers résultats.
Constat initial
« Il y a de bonnes nouvelles et de mauvaises nouvelles concernant IPv6 dans nos résultats. En premier lieu, nous ne pensons pas que IPv6 va perdre cette guerre et disparaître à jamais », ont écrit les chercheurs. « Le déploiement de l’IPv6 serait logique d’un point de vue économique pour les opérateurs qui ont besoin de se développer, en particulier les réseaux mobiles où l’écosystème logiciel et matériel est majoritairement converti. »
Les chercheurs ont noté que la capacité d’utiliser l’IPv6 est parfois désactivée en réponse à des incompatibilités, mais elle n’est jamais éliminée. Corollairement, les réseaux dotés de l’IPv6 sont appelés à continuer à croître. Mais en se référant aux résultats de l’étude, les chercheurs admettent ne pas savoir si nous allons bientôt quitter ce mélange.
« Il est possible que nous y demeurions pendant un laps de temps, peut-être pour toujours. Le déploiement de l’IPv6 est parfaitement résumé par ce graphique : »
Fréquence des tendances de croissance de la capacité IPv6 au niveau économique
169 pays ou 79 % du total (groupe le plus large) n’ont pas un déploiement appréciable de l’IPv6, demeurant au niveau de 5 % (ou bien moins) durant toute la durée de l’étude. Le second groupe le plus large (26 pays ou 12 %) a été constitué d’économies avec des niveaux accrus d’IPv6. Le troisième groupe (18 pays ou 8 %) a affiché un niveau en croissance avec un déploiement de la capacité IPv6 oscillant entre 8 % (Autriche) et 59 % (Belgique). Même dans les pays qui ont entamé leur conversion, les chercheurs ont constaté qu’il existe une période de stagnation allant de deux à plusieurs années durant laquelle il n’y a pas eu de déploiements additionnels.
Les explications
Les chercheurs ont noté que personne n’exploite l’IPv6 seul ; tous les opérateurs réseau, qu’ils soient publics ou privés, doivent offrir la meilleure compatibilité possible avec les autres réseaux et le plus possible de points finaux et d’applications. En prenant en considération cette contrainte fondamentale, les opérateurs ont trois options :
1) Rester sur l’IPv4 (ne rien faire)
2) Exploiter IPv4 et IPv6 (implémenter un dual stack)
3) Tourner un IPv6 natif avec les parts compatibles de leur réseau avec une sorte de “tunnellisation” ou traduction aux limites pour le rendre compatible avec l’IPv4.
L’étude a montré que le deuxième choix n’est pas viable économiquement. C’est le troisième choix qui serait le plus logique pour certains réseaux émergents. Les chercheurs ont montré aussi qu’il n’existe pas de différence entre les réseaux qui ont choisi différentes options, ils ont accès au même internet après tout. Un autre point important est que les coûts liés au déploiement sont exclusivement à la charge des réseaux qui déploient l’IPv6. En effet, ils doivent faire des investissements en infrastructure et de formation, et subir des coûts de compatibilité. Les autres réseaux qui choisissent de rester sur l’IPv4 doivent payer seulement pour des numéros supplémentaires, et seulement s’ils en ont besoin pour leur développement.
En parlant de coût, l’étude a trouvé une forte corrélation entre les niveaux de déploiement de l’IPv6 et la richesse d’un pays (mesurée en termes de PIB). Le PIB par habitant explique près de la moitié de la variation des niveaux de déploiement de l’IPv6 à travers les pays. Cependant, l’étude n’a pas trouvé une corrélation entre le déploiement de l’IPv6 par un opérateur réseau et les changements de part de marché. Les chercheurs ont noté que ce constat serait lié à deux raisons :
1) La présence de plusieurs acteurs sur un marché augmente les chances que l’un d’eux va faire un choix arbitraire de déploiement.
2) Un marché plus ouvert permet l’entrée de nouvelles firmes (comme c’est le cas de Jio en Inde) avec des infrastructures plus modernes, et qui sont plus favorables à la structure du coût pour l’IPv6.
La bonne nouvelle est que le déploiement de l’IPv6 est tout à fait logique d’un point de vue économique pour les opérateurs qui ont besoin de se développer. La mauvaise nouvelle est que plusieurs réseaux n’ont pas besoin de grandir à ce point. Et même s’ils en ont besoin, ils seraient contraints d’assurer une compatibilité avec l’écosystème logiciel et matériel lié à l’IPv4 et qui avance au ralenti, ont écrit les auteurs.
Bien que cette étude n’a pas encore été publiée, on pourrait ajouter 3 autres problèmes ou symptômes qui ont contribué à l’échec du déploiement de l’IPv6 :
1) Il y a beaucoup de différences entre IPv6 et IPv4, ce qui a rendu la transition plus difficile.
2) La promotion de l’IPv6 a commencé bien avant qu’une demande réelle existe. Bien évidemment, il est toujours bon de préparer les gens (et les fabricants), mais ça a donné l’impression que l’IPv6 est un échec.
3) La demande pour l’IPv6 est asymétrique. D’une part vous avez une partie qui est à court d’adresses IPv4 et qui a besoin de l’IPv6, et d’autre part, il y a les autres qui ont assez d’adresses IPv4 et n’ont aucune raison de changer.
« Quand l’IPv6 a été impulsé pour la première fois, il n’y avait pas de marché IPv4. Vous pouviez aller et acquérir plus d’espace IPv4 en cas de besoin. Lors des deux dernières années, un marché mature d’adresses IPv4 est apparu », a écrit un internaute. « Il est possible d’acheter des adresses IPv4, mais les prix s’envolent. À un certain moment, il devient intéressant d’essayer de passer le trafic à l’IPv6. »
À première vue, l’adoption d’IPv6 devrait être bénéfique pour tous. Cela devrait permettre de supporter la croissance de l’Internet et de développer de nouveaux services innovants exploitant la possibilité de connecter beaucoup plus de dispositifs. Toutefois, les chiffres sur son déploiement semblent refléter de nombreux problèmes. Qu’est-ce qui pourrait donc freiner son adoption ?
Source : internetgovernance
Et vous ?




Voir aussi


