La filiale française, dont les effectifs sont passés en un an de 612 à 639 salariés en 2017, a une nouvelle fois déclaré bien peu de revenus en France l'an dernier et a même vu son impôt sur les bénéfices diminuer de 1,2 million d'euros par rapport à 2016.
Selon les documents financiers déposés au greffe du tribunal de commerce, la société a enregistré un chiffre d'affaires de 325 millions d'euros en 2017 en hausse de 8,7% et a payé 14,1 millions d'impôts sur les bénéfices. Une baisse de 8,7% en raison, essentiellement, d'une hausse importante de ses « charges externes » (15,5 millions d'euros).
Pourtant, en se basant sur l’étude PWC pour le SRI (Syndicat des Régies Internet), le marché de la publicité continue sa croissance et représentait 4,094 milliards d’euros en France en 2017. Dans le détail, l’étude souligne que le marché de la publicité des moteurs de recherche (dominé à près de 90% par Google) s’élevait à lui seul à 2,05 milliards d’euros, contre 1,893 milliard d’euro en 2016, soit une hausse de 8%.
Néanmoins, Sébastien Missoffe, directeur général de la filiale française du numéro un de la recherche, a déclaré que Google est prêt à payer si la France veut adopter une taxe pour les entreprises du numérique en 2019. Toutefois, devant l’Association des journalistes économiques et financiers (Ajef). Il a vite fait de préciser : « Mais je ne peux pas répondre sur son montant, car la façon dont elle sera calculée n'a pas été communiquée ».
Apple: 19 millions d'euros
L’entreprise détient deux filiales en France. L'une, Apple France SARL (181 salariés), s'occupe du marketing. Sur l'exercice clos fin septembre 2017, elle a déclaré un chiffre d'affaires de 89 millions d'euros et une charge d'impôt de 14,5 millions. L'autre, Apple Retail France EURL (2122 salariés), opère les boutiques Apple Stores. Sur l'exercice clos fin septembre 2017, elle a déclaré un chiffre d'affaires de 711 millions d'euros et une charge d'impôt de 4,6 millions d'euros, soit un total de 19,1 millions d'euros.
Mais qu’en est-il du chiffre d'affaires effectivement réalisé en France ? Ce dernier peut être estimé grâce au nombre d'appareils vendus en France et au prix moyen d'un appareil dans le monde (qui figure dans les comptes d'Apple). Ainsi, sur l'exercice clos fin septembre 2018, 4,2 millions d'iPhone ont été vendus dans l'Hexagone, avec un prix moyen de 766 dollars, soit un total de 3,2 milliards de dollars. De même, 793.000 iPad ont été écoulés à un prix moyen de 432 dollars, soit 342 millions de dollars. Enfin, 617.000 Mac ont été vendus à un prix moyen de 1400 dollars, soit 863 millions de dollars. Au total, le chiffre d'affaires réalisé en France peut donc être estimé à 4,4 milliards de dollars, soit 3,9 milliards d'euros. Et encore, cette estimation ne tient pas compte de la vente de services (comme la boutique d’applications App Store où Apple prélève un pourcentage des ventes, l’offre musicale Apple Music et la plateforme de paiements Apple Pay).
Pourtant, dans un communiqué publié en novembre 2017 sur son portail français, Apple a déclaré : « Apple est convaincue que chaque entreprise a le devoir de payer ses impôts et, en tant que premier contribuable au monde, Apple paie dûment ce qu’elle doit à l’ensemble des pays où elle est présente. Nous sommes fiers de notre contribution économique auprès des pays et des communautés où nous menons nos activités ».
Le mois passé, Apple inaugurait un nouveau magasin sur l'avenue des Champs-Élysées à Paris. Plusieurs dizaines de militants de l'ONG Attac en ont profité pour dénoncer les pratiques d'évasion fiscale de la multinationale californienne.
« Apple est l'une des plus grandes évadées fiscales du monde », explique Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac. « C’est la première capitalisation boursière du monde mais une grande partie de son empire s’est constituée notamment sur le fait qu’elle a extorqué aux citoyens du monde, et notamment aux citoyens européens et français, des milliards d’euros en évadant fiscalement ses bénéfices, d’abord en Irlande puis aujourd’hui à Jersey ».
Facebook: 1,9 million d'euros
Dans ses comptes 2017, Facebook s'est acquitté d'un impôt sur les sociétés de 1,9 million d'euros pour un chiffre d'affaires de 55,9 millions d'euros, en progression de 51%.
En réalité, le chiffre d'affaires réalisé en France est bien plus élevé. En effet, le réseau social indique avoir en France 39 millions d'inscrits, dont 35 millions actifs chaque mois. Parallèlement, il indique dans ses comptes qu'en 2017, un utilisateur européen a rapporté 27,41 dollars en moyenne, soit 24,2 euros. Le chiffre d'affaires peut donc être estimé entre 850 et 950 millions d'euros et le réseau social aurait dû payer près de 120 millions d'euros d'impôts.
Un européen a rapporté, en moyenne, 23,6 euros en 2017.Facebook
Afin d'éviter cela, une grande partie de l'activité réalisée en France est facturée depuis l'Irlande, la filiale hexagonale n'étant chargée que des services marketing et de recherche et développement. L'argent récolté à Dublin repart ensuite dans une autre structure basée aux Iles Caïmans. Grâce à ce système, le réseau social détient 43,9 milliards de dollars de trésorerie, dont près de la moitié - 20,1 milliards de dollars - dans ses filiales à l'étranger. Et son taux d'imposition au premier trimestre s'établissait à 11% contre, en temps normal, 21% aux Etats-Unis et 33,3% en France.
Mais Facebook promet du changement
« A partir de l'année 2018, les revenus de Facebook investis par des entreprises sur le territoire et accompagnés par nos équipes seront déclarés dans le pays », a promis Laurent Solly, le directeur général de l'entreprise, dans un entretien avec France Inter l'an dernier. « La structure en Irlande est légale mais c'est un changement que l'on fait. On écoute la société ».
D’ailleurs, Dave Whener, qui était alors directeur financier de Facebook au moment de la publication d’un billet de blog sur le sujet, a indiqué en décembre 2017 :
Envoyé par Dave Whener
Ce changement doit toucher une trentaine de pays entre 2018 et le premier semestre 2019.
Amazon : 8 millions d'euros (activité logistique)
L’entreprise possède au moins huit sociétés en France, qui génèrent au total 5 500 emplois en CDI, selon BFM, et réalisent chacune quelques dizaines de millions d'euros de chiffre d'affaires, à l'exception d'Amazon France Logistique SAS (3838 salariés), qui assure les livraisons. En 2017, cette dernière a déclaré un chiffre d'affaires de 380 millions d'euros et une charge d'impôt de 8 millions d'euros.
Amazon a aussi installé en France six succursales de sociétés luxembourgeoises. La principale d'entre elles est une succursale de la société luxembourgeoise Amazon EU SARL. « L’ensemble des chiffres d’affaires, charges, profits et taxes liés à l’activité de commerce de détail sont désormais comptabilisés en France » via cette succursale, indique un porte-parole.
Au total, Amazon EU SARL a réalisé 24,9 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2017, mais la répartition par pays n'est pas communiquée. Selon un rapport du cabinet Syndex révélé par Capital, la succursale française aurait déclaré un milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2015. Soit très loin des estimations: Kantar chiffre ainsi à 5,7 milliards d'euros le chiffre d'affaires effectivement réalisé en 2017.
Petite anecdote : au Royaume-Unis, le footballeur N'Golo Kanté va payer plus d'impôts qu'Amazon. Le Français de 27 ans, désormais lié à Chelsea jusqu'en 2023, touche 15 millions de livres à l'année (environ 17 millions d'euros), le plus gros salaire de l'histoire du club londonien. Selon le Daily Mirror, N'Golo Kanté reversera 564.000 livres par mois d'impôts, soit 6,7 millions de livres annuels.
Un montant qui sera plus élevé que l'impôt d'Amazon l'an dernier au Royaume-Uni. En usant de multiples combines, l'entreprise n'a payé que 1,7 million de livres l'an passé malgré 79 millions de profit au Royaume-Uni.
Conclusion
Face à cette situation, l'agacement de Bruno Le Maire n'a pas tardé à se manifester ; d'abord prêt à faire des concessions pour les pays de l'UE qui y voyaient un manque, il a du faire pression pour qu'une entente préliminaire soit trouvée en décembre 2018. Face à ce énième échec, Bruno Le Maire a annoncé qu'il ferait cavalier seul si aucun accord n'est trouvé au niveau européen. Cela fait en effet plusieurs mois que les pays européens discutent, sans parvenir à un accord, sur la proposition de taxation faite par la Commission européenne. Les pays de l'UE n'ont pu ni valider la proposition de la Commission ni aboutir à un accord qui satisfait tout le monde. L'adoption du projet nécessite l’unanimité des 28 pays de l’Union ; or le projet suscite depuis le début l’opposition de plusieurs pays qui craignent de perdre des recettes fiscales, comme l’Irlande, ou qui redoutent des représailles des États-Unis, comme l’Allemagne et les pays scandinaves.
Cette nouvelle proposition, même si elle imposait toujours une taxe de 3 %, limitait la portée du projet aux revenus publicitaires des grandes entreprises du numérique.
Quoiqu'il en soit, lors de on allocution du lundi 10 décembre, Emmanuel Macron a rappelé que « Les grandes entreprises qui font du profit en France doivent y payer l'impôt ».
Sources : L'Express, étude PWC (au format PDF), Apple, Euronews, BFM, Facebook, Capital, The Daily Mirror, Elysée
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Voir aussi :
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