Des contestations et des demandes d’éclaircissement concernant le projet controversé de navigateur censuré de Google en Chine ne manquent pas. Un ancien employé de Google qui a démissionné en août dernier en signe de contestation de ce projet et qui a adressé ensuite une lettre aux législateurs américains les informant que l’entreprise serait en train de travailler sur un produit dont l’objectif est d’aider le gouvernement chinois à censurer et surveiller la population en ligne est revenu à la charge en interpellant rudement ses anciens responsables à propos de Dragonfly, selon The Intercept. Ce retour de Jack Poulson, l’ex-employé en question, est intervenu à moins de deux semaines après une interview accordée par le président d’Alphabet Inc, la société mère de Google, à l’occasion de laquelle il s’est exprimé sur le projet de moteur de recherche censuré de Google en Chine.
En développement depuis printemps 2017, c’est le 1er août dernier que le projet de moteur de recherche chinois baptisé Dragonfly a été révélé au grand public par The Intercept. Selon The Inetercept, les connaissances sur Dragonfly avaient été limitées à quelques centaines de membres de l'effectif sur les 88 000 personnes, ce qui mettait les employés en colère. Selon des documents vus par The Intercept, Dragonfly n’affichera pas les sites ajoutés à la liste noire tels que le site de la chaîne de télévision britannique BBC et de l'encyclopédie en ligne Wikipedia. La liste noire de censure comprendrait également des termes tels que « droits de l'homme », « protestation des étudiants » et « prix Nobel ». Les recherches sur ces termes via Dragonfly n’afficheront pas de résultats.
Le projet de navigateur censuré a été conçu pour les appareils Android et supprimerait les contenus jugés sensibles par le régime du parti communiste chinois, tels que les informations sur les dissidents politiques, la liberté d’expression, la démocratie, les droits de l’homme et même sur les manifestations pacifiques. L’application lierait les recherches aux numéros de téléphone personnels, facilitant ainsi la surveillance par le gouvernement chinois des requêtes des internautes. Dès lors que le projet a été rendu public, des critiques se sont multipliés contre Google, traitant la société de contribuer « directement aux violations des droits de l'homme ou en devenir complice ».
Amnesty International est monté au créneau : « Ce sera un jour sombre pour la liberté sur Internet si Google a accepté les règles de censure extrêmes de la Chine pour accéder au marché. Il est impossible de voir comment un tel mouvement est compatible avec la devise « Faites le bien » de Google, et nous implorons l'entreprise à changer de cap… ». L'EFF, le défenseur des droits numériques, a appelé Google à un débat public pour en savoir d’avantage sur ses plans. La Vice-présidence américaine a demandé à Google de renoncer à Dragonfly, une version censurée de son moteur de recherche proposée à Pékin. Environ 1 400 des 10 000 travailleurs de Google ont exhorté la société en août à améliorer la surveillance des entreprises éthiquement douteuses, notamment Dragonfly. Par ailleurs, selon The Intercept, Google aurait exclu l'équipe de protection de la vie privée de toute réunion sur Dragonfly.
Jack Poulson, dans un retour sur les différentes interventions de ces anciens responsable, a fait un état de leurs différentes déclarations. John Hennessy, le président d’Alphabet dans une interview du 20 novembre en répondant à la question de savoir si le moteur de recherche censuré de Google procurerait un avantage pour les utilisateurs, a dit : « Je ne connais pas la réponse à cela. Je pense que c'est - je pense que c'est une question légitime », a-t-il répondu. « Quiconque fait des affaires en Chine compromet certaines de ses valeurs fondamentales. Chaque entreprise, parce que les lois en Chine sont assez différentes de celles de notre pays. »
Dans une première interview accordée par M. Hennessy à l’occasion de la promotion de son livre, « Leading Matters », il a déclaré ceci lorsque qu’il s’agissait de se prononcer sur la question de l’entrée de la Filiale d’Alphabet sur le marché chinois : « Il y a un ensemble de nuances dans la façon dont vous envisagez ce problème et votre perception de la question de la censure. La vérité est qu’il existe des formes de censure pratiquement partout dans le monde. » L’ex-employé de Google reproche à M. Hennessy de déplacer la discussion sur Dragonfly « des détails concrets et indéfendables vers le langage vague d'un compromis difficile ».
Lors de l’audience du Comité du commerce du Sénat sur la protection de la vie privée, Keith Enright, responsable de la protection des renseignements personnels chez Google, n’a pas lui, non plus, convaincu les sénateurs lorsque Ted Cruz, le sénateur du Texas, a insisté à plusieurs reprises pour obtenir des réponses sur Dragonfly concernant les objections de Jack Poulson. « En tant que représentant de Google pour la protection de la vie privée, je ne suis pas sûr d'avoir un avis éclairé sur cette question », a-t-il déclaré. Poulson lui reproche de plaider l’ignorance sur une question d’aussi grande importance.
Cependant, malgré l’imprécision sur l’objet réel du navigateur à Pékin, Google ne compte pas renoncer. Le PDG de Google se montre enthousiaste face aux progrès réalisés. Selon lui, les tests internes de Google pour le développement d’un moteur de recherche censuré en Chine sont très prometteurs, a-t-il déclaré à la mi-octobre dernier, en assurant « Qu’il s'avère que nous serons en mesure de traiter plus de 99 % des requêtes ». Cependant, selon M. Poulson, les réactions du PDG d’Alphabet et du responsable de la vie privée de Google sont en contradiction avec les assurances données par le PDG de Google.
« Un tel encadrement est peut-être l'exemple le plus extrême d'un vaste schéma de réorientation des conversations loin de leurs concessions gouvernementales concrètes », a écrit Poulson, qui ajoute ensuite : « ce qui, encore une fois, impliquait littéralement de mettre sur liste noire la phrase « droits de l'homme », risquant la santé en censurant les données sur la qualité de l'air et en permettant une surveillance facile par une liaison des requêtes à des numéros de téléphone », a rapporté The Intercept.
Les révélations de The Intercept du 1er août 2018 concernant le développement d’un navigateur selon le bon vouloir des autorités communistes au pouvoir en Chine a semé le doute dans la tête du commun des internautes. En effet, Google avait renoncé à la recherche en Chine en 2010, en justifiant dans un billet de blog que « des tentatives au cours de la dernière année pour limiter davantage la liberté d'expression sur le Web en Chine » avaient conduit à sa décision.
Toute fois, bien que les autorités de Google soient restées évasives jusqu’à présent, Poulson croit que sa demande de responsabilité des entreprises est un pas en avant pour obtenir ces réponses.
Source : The Intercept, Mashable
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Le , par Stan Adkens
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