
L’Assemblée nationale est-elle suffisamment qualifiée pour comprendre et traiter les problématiques liées au développement du numérique ? C’est à cette question que l’Institut Montaigne a cherché à répondre, fin novembre. Les 577 députés élus (ou réélus) à l’issue des élections législatives de 2017 sont ainsi passés au crible.
Pour apporter des éléments de réponse, l’Institut Montaigne a réalisé une évaluation des compétences en numérique des députés français élus lors des élections législatives du 18 juin 2017. Les résultats de cette étude montrent que, parmi les députés, 5,37 % sont classés comme experts, 10,23 % comme connaisseurs, 12,65 % comme amateurs et 71,75 % comme non-experts. En clair, il en ressort que l'essentiel des députés n'y connait pas grand chose.
Compétences en numérique des députés (tous députés confondus - 577 au total)
Paula Forteza, députée de l'assemblée nationale, y va de son commentaire

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Paula Forteza
Il faut lire ces résultats à la lumière de l’évolution des effectifs de l’Assemblée nationale depuis 2017 : 577 élus, une moyenne d’âge qui passe de 52 à 48 ans, avec tout de même 39 députés âgés de moins de 30 ans (contre 4 dans la dernière législature). D’emblée, nous sommes donc tentés de penser que le numérique n’a pas de secret pour cette Assemblée rajeunie et renouvelée. Or, 31 députés experts (5,37 %), c’est finalement assez peu !
Intuitivement, le réflexe est de penser que les jeunes maîtrisent mieux le numérique. Cependant, si ces jeunes députés connaissent les "codes" du web, sont très présents sur les réseaux sociaux et sont capables de s’approprier rapidement les nouveaux outils numériques, ils ne sont pas pour autant automatiquement spécialistes des enjeux complexes que soulève la société numérique : protection des données personnelles, régulation, fiscalité, inclusion numérique, lutte contre les fake news, modération des contenus haineux, etc. Il faut casser le mythe qui réduit le numérique à Facebook, Twitter, Instagram, SnapChat. Le numérique c’est aussi – et surtout – les infrastructures, l’équipement du territoire en haut débit, la neutralité du net, mais aussi la diversité des usages ou encore un secteur économique à part entière.
Ce qui me frappe au quotidien, c’est que le sujet manque énormément de visibilité, alors même que son impact dans nos sociétés ne fait que s’accroître. Il s’agit, à mes yeux, de ce qui devrait être la grande cause de notre génération ! Un exemple : lundi 12 novembre Emmanuel Macron a ouvert l’ "Internet Governance Forum", pour la première fois accueilli par la France. Il a donné un discours fondateur, puisqu’il pose les bases de la relation entre le gouvernement français et les acteurs du numérique pour les années à venir, ainsi que le leadership qu’entend prendre la France au niveau européen et international sur la question de la régulation. Les annonces n’ont pratiquement pas eu d’écho dans l’opinion publique. Peut-être n’avons-nous pas encore trouvé la façon d’exprimer ces enjeux de façon à sortir de notre "bulle" d’experts techniques et interpeller le grand public ?
MéthodologieLa méthodologie repose sur un barème de points attribués à chaque député en fonction de son investissement dans le domaine du numérique. Le nombre d’années passées dans ce secteur ou son environnement proche, la diversité des sujets numériques traités, ou encore le nombre de travaux parlementaires ou non-parlementaires réalisés sur ces enjeux sont pris en compte. Par exemple, un député se verra attribuer 15 points par travail parlementaire réalisé sur le numérique. Le total de points de chaque député permet de les classer dans une de nos 3 catégories (« amateur », « connaisseur », et « expert »), qui correspondent à un niveau de points donné. Par exemple, un député devra cumuler au moins 110 points pour être considéré comme un « expert » du numérique.
L’on objectera toutefois que ces points reflètent avant tout l’activité parlementaire de personnes s’intéressant sans doute au numérique, plutôt qu’une réelle compétence dans ce domaine.
Cependant, les trois autres critères illustrent mieux le niveau des élus : 20 points sont donnés par année passée dans le secteur du numérique, 10 points par expérience annuelle liée au numérique (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques) et 5 points par diplôme correspondant aux domaines des sciences, des mathématiques, de l’ingénierie et des technologies.
Au-dessus de la catégorie des « non-experts », trois groupes existent : les « amateurs » (c’est-à-dire les députés ayant obtenu entre 20 et 49 points), les « connaisseurs » (entre 50 et 109 points) et les « experts » (au-delà de 110 points).
Barème de notation
Gilles Babinet, conseiller sur les questions numériques, souligne que

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Gilles Babinet
Ces résultats sont en amélioration par rapport à l’analyse que j’avais effectuée en 2015 sur le même sujet dans laquelle 13 experts avaient été identifiés, avec une méthodologie toutefois différente. On observe une multiplication par un peu moins de trois du nombre d’experts. Cela s’explique principalement par un fort renouvellement des parlementaires et une arrivée très significative de profils issus de la société civile et notamment de personnalités qui ont un parcours professionnel dans le numérique. Ils n’en restent pas moins insatisfaisants tant l'accélération du monde induite par la révolution numérique nécessite d’avoir une meilleure compréhension de ces enjeux. En effet, presque toutes les politiques publiques ont désormais un lien plus ou moins direct avec le numérique. Or, sans une compréhension fine de la nature du monde qui vient, il est très difficile de dégager une doctrine d’ensemble, propre à soutenir la vision d’un gouvernement et, au-delà, accompagner la dynamique d’une nation.
Liste des experts (par ordre alphabétique)Députés ayant obtenu plus de 110 points - voir barème
- Florian Bachelier
- Ugo Bernalicis
- Bruno Bonnell
- Éric Bothorel
- Moetai Brotherson
- Jean-René Cazeneuve
- Anthony Cellier
- Olivier Dassault
- Christophe Di Pompeo
- Virginie Duby-Muller
- Paula Forteza
- Albane Gaillot
- Thomas Gassilloud
- Philippe Gosselin
- Olivia Grégoire
- Christine Hennion
- Danièle Hérin
- Sébastien Huyghe
- Marietta Karamanli
- Amélia Lakrafi
- Jean-Luc Lagleize
- Constance Le Grip
- Sylvain Maillard
- Denis Masséglia
- Jean-Michel Mis
- Franck Riester
- Pierre-Alain Raphan
- Laure de la Raudière
- Hervé Saulignac
- Vincent Thiébaut
- Cédric Villani
Mentions
À la question de savoir s'il y a suffisamment de députés experts sur les sujets du numérique et s'il faut espérer que plus de députés aient un bagage numérique, Gilles Babinet note que cela fait maintenant sept ans qu'il est en interaction avec les pouvoirs publics pour aider ceux-ci à mieux appréhender ces sujets. « Je me souviens combien j’ai été au début frappé par le manque d’expertise évident sur ces enjeux, à tous niveaux du corps politique et de l’administration. Il me semble que c’est là une des explications du retard pris par notre pays », regrette-il.

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Gilles Babinet
Faut-il rappeler que dans les travaux effectués par l’Union européenne sur la digitalisation des nations (DESI - Digital Economic and Social Index), la France pointe à la 18ème place sur 27 ? Si la situation s’est sensiblement améliorée dans l’exécutif, elle reste préoccupante au niveau de la haute administration. Quant aux chambres parlementaires, on ne peut pas se réjouir, à un moment unique de l’accélération de la révolution digitale, d’un score aussi faible. La professionnalisation de la vie politique est probablement en partie responsable, en empêchant les parlementaires de se confronter concrètement aux thèmes de la transformation digitale. Pourtant, à l’Assemblée nationale on m’a opposé un refus poli lorsque j’ai fait observer qu’il était indispensable de former les députés. Chacun en tirera les conclusions qu’il souhaite.
Répartition des compétences numériques par parti (cas des experts)Il faut noter que sur ces 31 députés experts, la très grande majorité occupe en général un ou plusieurs postes à responsabilité dans les groupes d’études relatifs au numérique (présidence, vice-présidence ou secrétariat), même si leur répartition est inégale : tous les postes-clés du groupe d’études sur « la cybersécurité et la souveraineté numérique » leur sont revenus, mais pas pour celui sur « les startups, PME et ETI ».
Dans la plupart des cas, ces députés, outre des postes à responsabilité dans ces groupes d’études, peuvent aussi avoir un simple statut de membre. Attention : cela ne veut pas dire que les autres parlementaires ne sont pas qualifiés : certains d’entre eux figurent peut-être dans les catégories « amateurs » ou « connaisseurs ». Les 31 élus que l’Institut Montaigne met en avant sont juste ceux ayant eu la meilleure notation.
Seuls trois parlementaires « experts » n’apparaissent pas dans l’un de ces groupes.
Il s’agit de Moetai Brotherson, que l’on retrouve dans une mission d’information sur la blockchain et dans un groupe de travail sur la démocratie numérique et les nouvelles formes de participation citoyenne, Franck Riester, qui est entré au gouvernement à la mi-octobre et qui a un certain passif sur ces sujets, et Cédric Villani, dont l’expertise vient d’un parcours brillant en mathématiques et par un rapport sur l’IA.


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Paula Forteza
La répartition des compétences numériques par parti est très intéressante et peut-être révélatrice du fonctionnement de notre Assemblée. Les partis historiques, LR et PS, ont des taux finalement assez hauts de spécialisation, cela peut s’expliquer par le fait qu’un certain nombre d’entre eux étaient spécialisés sur le sujet sous l’ancienne législature et ont été réélus lors des élections législatives de 2017. Ils ont ainsi pu accroître leurs compétences. Si, pour les socialistes, le chiffre est particulièrement élevé, la Loi pour une République numérique n’y est sûrement pas étrangère. Il s’agissait d’une loi importante du précédent quinquennat qui a amené l’ensemble des parlementaires à entrer dans le sujet.
De la part de la France Insoumise et du Rassemblement National, on pouvait s’attendre à un taux plus élevé. Durant la campagne présidentielle et législative mais aussi aujourd’hui, ils dominent très fortement les réseaux sociaux et sont rompus à l’exercice. Cependant, comme je le détaillais précédemment, utiliser les outils du numérique avec aisance est différent d’en saisir les enjeux. L’inverse est aussi vrai : plusieurs députés maîtrisent très bien le sujet du numérique et disposent d’une formation antérieure solide en la matière, mais n’ont pas pour autant une activité importante sur les réseaux sociaux.
Source :
Institut MontaigneEt vous ?
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L’Assemblée nationale vous semble-t-elle suffisamment qualifiée pour comprendre et traiter les problématiques liées au développement du numérique ?
Voir aussi :
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