Rappelez-vous qu'en janvier dernier, lors de ses vœux à la presse, le Président français a annoncé des mesures visant à lutter contre les fausses informations durant les campagnes électorales. Emmanuel Macron a en effet révélé qu’un « texte de loi » allait être déposé « prochainement » pour lutter contre la diffusion des fake news sur Internet en « période électorale ». « Nous allons faire évoluer notre dispositif juridique pour protéger la vie démocratique de ces fausses nouvelles », avait déclaré Emmanuel Macron lors de son discours. « Les plateformes se verront imposer des obligations de transparence accrue sur tous les contenus sponsorisés afin de rendre publique l’identité des annonceurs et de ceux qui les contrôlent, mais aussi de limiter les montants consacrés à ces contenus », avait-t-il précisé. Ce texte de loi a été effectivement proposé et définitivement adopté par l’Assemblée nationale le 20 novembre dernier.
Le Sénat l'avait rejeté une première fois en juillet dernier, puis une seconde fois le 6 novembre dernier jugeant qu'il n'y avait « pas lieu de délibérer » sur les deux propositions de loi très controversées destinées à lutter contre les fausses nouvelles en période électorale. Ces deux propositions de loi – l'une ordinaire et l'autre organique – visent à permettre à un candidat ou parti de saisir le juge des référés pour faire cesser la diffusion de « fausses informations » sous 48h durant les trois mois précédant un scrutin national. Elles touchent également à l'organisation des pouvoirs publics et donnent un pouvoir accru au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). En vertu de cette loi, le gendarme de l'audiovisuel pourra par exemple se permettre de suspendre la diffusion d'une chaîne étrangère en période électorale ou résilier sa convention, sous certaines conditions. En plus du pouvoir accru du CSA, les deux propositions de loi imposent aux plateformes numériques des obligations de transparence lorsqu'elles diffusent des contenus sponsorisés. Ces obligations incluent le fait de décliner l'identité des annonceurs et le montant de la contrepartie financière.
Comme on pouvait s'y attendre, le lendemain de son adoption par l'Assemblée nationale, ce 21 novembre donc, le Conseil constitutionnel a été saisi de la loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information par plus de soixante sénateurs et par le Premier ministre. Ils ont déposé un recours devant le Conseil constitutionnel, considérant que ce texte de loi en son article premier porte atteinte à la liberté d’expression et de communication qui n'est pas nécessaire, adaptée et proportionnée d'une part et d'autre part, il méconnaît le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines. Rappelons que le Conseil constitutionnel est une institution française qui veille à la régularité des élections nationales et référendums et se prononce sur la conformité à la Constitution des lois et de certains règlements dont il est saisi.
Pour ces sénateurs, l'article Art. L. 163-2 de la loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information qui stipule que « [...] lorsque des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir sont diffusées de manière délibérée, artificielle ou automatisée et massive par le biais d’un service de communication au public en ligne, le juge des référés peut, à la demande du ministère public, de tout candidat, de tout parti ou groupement politique ou de toute personne ayant intérêt à agir, et sans préjudice de la réparation du dommage subi [...] », porte une atteinte à la liberté d'expression et de communication.
Car, disent-ils, les articles 10 et 11 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 énoncent respectivement que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public », « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme ... ». Et le Conseil constitutionnel considère que la liberté d'expression et de communication, ainsi garantie par la Déclaration de 1789, est une liberté fondamentale « d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garantie du respect des autres droits et libertés ». Pour les sénateurs, l'atteinte à la liberté d'expression et de communication n'est pas nécessaire en ce sens que l’article L.97 du Code électoral sanctionne déjà d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende « le fait de surprendre ou détourner des suffrages ou encore d’avoir conduit des électeurs à s’abstenir, à l’aide "de fausses nouvelles, bruits calomnieux ou autres manœuvres frauduleuses" ». Par conséquent, l'article Art. L.112. de la loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information qui stipule que « toute infraction aux dispositions de l’article L. 163-1 est punie d’un an d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende », n'est plus nécessaire.
L'atteinte à la liberté d'expression et de communication n'est pas adaptée parce que pour les sénateurs, la procédure de référé ad hoc instituée par le texte pourrait permettre « à toute personne ayant un intérêt à agir d’instrumentaliser ce référé à des fins dilatoires. De plus, comment le juge des référés pourrait-il, en 48 heures, établir à priori l’altération d’un scrutin qui n’a pas encore eu lieu ? La sincérité du scrutin risquerait d'être affaiblie en cas de décision d'appel, contredisant le juge des référés de première instance, notifiée après le scrutin ». Ils ont aussi expliqué qu'en permettant « d'appliquer cette procédure de référé à toute allégation inexacte ou trompeuse d'un fait "de nature à altérer la sincérité d'un scrutin à venir", le texte déféré n'a pas restreint l'application de ce référé aux allégations, diffusées de manière délibérée dans la seule intention d'altérer la sincérité d'un scrutin à venir ». le Conseil constitutionnel dispose d'un mois pour rendre sa décision.
Source : La saisine des sénateurs, Assemblée nationale
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Le , par Bill Fassinou
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