Ray Corrigan est maître de conférences à la faculté des sciences de l'ingénierie et mathématiques de l'Université Ouverte du Royaume-Uni. Dans un billet publié il y a une semaine, il a décidé d'expliquer, disons pour les "nuls", ce que signifient exactement les articles 11 et 13 (version Parlement européen) de la directive sur les droits d'auteur sur laquelle les eurodéputés doivent se prononcer dans deux mois, et leurs conséquences. Mais pourquoi le fait-il ?
Cette directive, avec ses points les plus controversés (articles 11 et 13), est défendue bec et ongles par l'industrie de l'audiovisuel et des médias. Mais les géants de l'Internet tels que Google l'ont en horreur. Cela va donc se jouer au niveau de l'influence des groupes de pression des différentes industries. Pour le premier vote, c'est donc une victoire pour l'industrie du Net qui a d'ailleurs été accusée par les défenseurs de la directive d'avoir influencé les eurodéputés, par des campagnes de désinformation entre autres.
Ray Corrigan estime que « lorsque de grandes sociétés s'affrontent, il est difficile pour les gens de savoir de quel côté se ranger », surtout quand on assiste à des actions et campagnes qui relèvent du lobbying intensif. C'est pour ces gens qu'il a décidé d'expliquer et interpréter la directive de l'UE. Mais sa position est claire : la réforme du copyright aura des conséquences désastreuses si elle est adoptée dans sa version actuelle.
Les conséquences de l'article 13
Sur ce point, il n'y a aucun doute. L'article 13 vise à instaurer le filtrage automatique des contenus mis en ligne, puisque ce sont des algorithmes qui devraient juger quel contenu a le droit d'apparaître sur Internet.
Cela pourrait être intéressant si ça pouvait fonctionner comme annoncé, c'est-à-dire bloquer tout ce qui est en violation des droits d'auteur sur Internet et ne laisser passer que le contenu légal. « En particulier, ce serait intéressant pour les décideurs, qui ignorent souvent les technologies et qui sont souvent sous la pression de faire quelque chose à propos de l'énorme ampleur de la violation du droit d'auteur sur Internet », estime Ray Corrigan. Mais « le problème est qu'il n'y a pas de technologie magique qui puisse faire la différence entre contenu contrevenant au droit d'auteur et le contenu non-contrevenant sauf au niveau le plus basique », ajoute-t-il.
Les amateurs pensent que le machine learning pourrait résoudre ce problème, « mais l'utilisation de filtres capables de détecter des nuances subtiles de réutilisation [d'un contenu] n'est pas une de ces choses » dans lesquelles le machine learning est assez efficace, trouve-t-il. Par conséquent, des contenus comme la parodie vont se retrouver facilement bloqués.
L'informaticien britannique soulève un autre problème important : ce qui est considéré même comme violation de droit d'auteur dans chaque pays. En parlant de parodie par exemple, il explique qu'au Royaume-Uni, la parodie est autorisée, mais seulement dans la mesure où elle consiste en une « utilisation équitable » d'une œuvre. Mais l'utilisation équitable n'est pas définie dans la loi, elle est jugée au cas par cas. Alors comment un algorithme peut-il ici prendre une décision juste et fiable ? « Et là, ce n'est que le cas de la parodie, [et seulement] dans un État membre de l'UE, même s’il sortira bientôt de l'UE », souligne M. Corrigan. Il ne manque pas non plus de rappeler ce qu'il a appelé le « fléau des biais discriminatoires intégrés dans les algorithmes. »
« Les créateurs, auteurs, internautes ordinaires seront coupables de violation des droits d'auteur et censurés automatiquement, jusqu'à ce qu'ils puissent prouver leur innocence, via un processus qui n'est pas encore défini, qui sera géré et administré par des fournisseurs de services de partage de contenu contrôlés par les ayants droit », a-t-il déduit. « Le résultat aura un effet paralysant puisque les auteurs tenteront d'adapter leurs écrits aux aléas du filtre pour les rendre accessibles aux autres. »
Il y a aussi d'autres problèmes plus généraux, comme le fait qu'Internet est déjà une machine de surveillance géante ; et l'article 13 ne vient pas arranger cela. Pour Ray Corrigan, l'article 13 vise à accentuer la surveillance d'Internet et à confier cette mission à Google et à d'autres grandes entreprises technologiques. « Bien que Google ne veuille pas forcément cela, il utilisera certainement ces outils pour consolider son propre avantage sur le marché s'il le faut ». Pour l'informaticien britannique, si cet article est adopté tel qu'il est, seules les grandes plateformes dont les filtres seront approuvés seront utilisées à plus long terme.
Article 11 : la taxe sur les liens, une alternative à la publicité pour financer les médias en ligne ?
L'idée de cet article est que tous ceux qui créent des liens et utilisent des extraits d'articles de presse devraient d'abord payer l'éditeur pour obtenir une licence. Pour Ray Corrigan, « c'est une tentative bien intentionnée de créer un avenir durable pour les agences de presse, maintenant que le business model des recettes publicitaires, qui a permis de financer le journalisme pendant longtemps, a été usurpé par les titans commerciaux de l'ère Internet, comme Facebook et Google. » Mais cela ne pourra pas fonctionner et empêchera probablement la diffusion de nouvelles, ce qui affectera négativement les sites d'actualités, dit-il.
« Les éditeurs de presse estiment que si l'UE met en œuvre l'article 11, cela leur donne une base plus solide pour résister aux efforts de Google, jusqu'ici couronnés de succès, pour les "éliminer" pays par pays », a déclaré M. Corrigan. « J'admire leur optimisme, mais je ne le partage pas. Les éditeurs, la Commission européenne ou le Conseil ou les députés de la commission JURI qui ont voté pour la directive n'ont fourni aucune preuve que le nouvel article 11 inverserait ou stopperait la baisse des revenus de la publicité et de la souscription aux journaux. Étant donné qu'il s'agit d'une modification substantielle de la loi, ceux qui la proposent devraient démontrer qu'elle est nécessaire, proportionnée et a une probabilité supérieure à la moyenne d'atteindre les objectifs souhaités, sans causer d'effets préjudiciables plus importants. »
Pour étayer ses propos, Ray Corrigan rappelle l'échec de lois similaires en Allemagne et en Espagne. En Allemagne, une loi similaire, le jour même de son entrée en vigueur a eu une réponse de Google. Le géant de l'Internet a introduit une politique selon laquelle les sites d'actualités allemands devaient accepter explicitement que leurs contenus soient affichés dans Google Actualités ; ce que la plupart des grands éditeurs allemands ont accepté de faire. Pour cela, Google a été poursuivi en justice devant un tribunal de Berlin par une société allemande de gestion des droits d'auteur. Mais le tribunal s'est contenté de renvoyer l'affaire devant la Cour européenne de justice. En Espagne, comme nous le savons, cela a entrainé la fermeture de Google Actualités dans le pays. Ce qui indique que le géant de l'Internet ne sera pas prêt à rémunérer les médias pour diffuser leurs contenus. Il s'en est également suivi une baisse importante du trafic de nombreux sites d'actualités.
« En conclusion, tant l'article 11 que l'article 13 de la nouvelle directive proposée sur le droit d'auteur ont des conséquences négatives prévisibles et graves et ils ne régleront probablement pas les problèmes auxquels ils sont destinés », estime l'informaticien. Mais il pense que des deux, l'article 13 est le plus sérieux.
Source : Billet de Ray Corrigan
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Pour ceux qui n'en ont pas encore compris les conséquences
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Le , par Michael Guilloux
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