Le mémo de 122 pages qui a circulé parmi les membres de commission d’enquête consigne les preuves et les allégations concernant la manière dont une quinzaine de réseaux sociaux ont joué un rôle important dans l’organisation et la planification de l’insurrection du Capitole à Washington.
Selon le Washington Post, la commission a « ;passé plus d’un an à passer au crible des dizaines de milliers de documents provenant de multiples entreprises, à interviewer des dirigeants et d’anciens employés de sociétés de médias sociaux, et à analyser des milliers de messages. Ils ont envoyé une rafale d’assignations à comparaître et de demandes d’informations à des entreprises de médias sociaux allant de Facebook à des réseaux sociaux marginaux, dont Gab et la plateforme de chat Discord. ;»
Le document explique comment certains médias sociaux ont servi de porte-voix aux contenus extrémistes en lien avec les événements tragiques du Capitole. Il rapporte également que ces entreprises technologiques ont contourné volontairement leurs propres règles pour éviter de pénaliser les conservateurs à l’origine des incitations de haine sur les plateformes. En l’occurrence, le mémo décrit comment des plateformes comme Facebook et Twitter, des sites de streaming comme YouTube et Twitch et des réseaux marginaux de tailles plus modestes comme Parler, Gab et 4chan ont permis d’organiser l’insurrection.
« ;La somme de tout cela est que les plateformes alt-tech, marginales et traditionnelles ont été exploitées en tandem par des activistes de droite pour amener la démocratie américaine au bord de la ruine ;», ont indiqué les membres de la commission dans le document. « ;Ces plateformes ont permis la mobilisation d’extrémistes sur des sites plus petits et ont attisé les griefs des conservateurs sur des sites plus grands et plus traditionnels. ;»
Toutefois, les dirigeants de la commission ont refusé d’approfondir le sujet dans leur rapport final de 845 pages, car selon trois personnes familières avec la question qui ont parlé sous couvert d’anonymat, la commission était « ;préoccupée par les risques d’une bataille publique avec de puissantes entreprises technologiques ;».
Peu de preuves sur l’implication des médias sociaux ont donc été présentées lors de la phase publique de l’enquête. Celle-ci a été centrée exclusivement sur les agissements de M. Trump avant les événements du 6 janvier.
En effet, la représentante Liz Cheney (R-Wyo), coprésidente de la commission, a orienté les travaux de la commission d’enquête pour que le rapport reste focalisé sur M. Trump. La représentante démocrate Zoe Lofgren du district de Californie du Nord dont fait partie la Silicon Valley a également insisté pour que le comité ne mette pas davantage l’accent sur les entreprises de médias sociaux dans le rapport public.
Les conclusions relatives aux médias sociaux n’ont donc pas fait l’objet d’un chapitre ni d’une annexe autonome mais « ;ont été incluses dans d’autres parties du rapport et dans les annexes, une décision prise par le président en consultation avec le comité ;», selon Mme Lofgren.
Quelques semaines après la publication du rapport, certaines preuves ont filtré et ont montré que la commission d’enquête du 6 janvier avait publié des centaines de pages de transcriptions d’entretiens avec des anciens employés des entreprises de médias sociaux.
Ces transcriptions ont indiqué que les entreprises utilisaient « ;des technologies relativement primitives et des techniques d’amateur pour surveiller les dangers et faire respecter les règles de leurs plateformes. Elles montrent également que les responsables des entreprises se disputent entre eux sur la manière d’appliquer les règles aux éventuelles incitations à la violence, alors même que l’émeute est devenue violente. ;»
Anika Collier Navaroli, l’un des membres de l’équipe chargée de la politique de sécurité de Twitter, a reproché aux cadres de son entreprise, y compris à l’ancien dirigeant Del Harvey, de bloquer les changements de règles qui auraient permis aux modérateurs d’être plus proactifs concernant les appels à la violence du 6 janvier. Le 19 décembre 2020, son équipe a commencé à signaler à l’entreprise les discussions sur les troubles civils publiés sur la plateforme et le 29 décembre, plusieurs départements, dont le sien, ont averti que l’entreprise ne disposait pas d’un plan de réponse coordonné.
Lorsque les membres de la commission ont demandé si Twitter avait adopté des mesures après avoir pris connaissance de ces avertissements, Navaroli a répondu que « ;tout le monde agissait comme si c’était un jour normal et que rien ne se passait ;».
Par ailleurs, selon les témoignages des employés de Twitter devant la commission des représentants, ils « ;ne pouvaient même pas voir les tweets de l’ancien président dans l’un de leurs principaux outils de modération de contenu, et ils ont finalement dû créer un document Google pour garder une trace de ses tweets alors que les appels à suspendre son compte se multipliaient. ;» L’équipe de Navaroli était donc dans l’incapacité d’examiner comment les autres utilisateurs avaient considéré les tweets de M. Trump, alors que le nombre de ses partisans s’élevait à 88 millions.
Trump « ;était un utilisateur unique qui se situait au-dessus et au-delà des règles de Twitter ;», a témoigné Navaroli. Et « ;... Twitter était terrifié par le retour de bâton qu’il aurait subi s’il avait suivi ses propres règles et les avait appliquées à Donald Trump ;», a déclaré un ancien employé, qui a témoigné devant la commission sous le pseudonyme de J. Johnson.
Le mémo de la commission d’enquête indique par ailleurs comment l’extrémisme et la rhétorique se sont propagés sur les autres plateformes pendant les jours qui ont précédé le 6 janvier.
Dans les heures qui ont suivi l’appel de M. Trump sur Twitter pour que les gens se rassemblent à Washington, le service de chat Discord a dû fermer un serveur parce que les partisans de l’ancien président ont utilisé la plateforme pour planifier la manière dont ils pourraient introduire des armes dans l’enceinte du Capitole, indique le mémo.
Rachel Beckerman, directrice de la communication de la politique mondiale de la société, a déclaré que « ;[Discord] condamne fermement l’attaque du Capitole américain le 6 janvier et s’engage à combattre la violence et l’extrémisme sous toutes ses formes ;».
La commission a également indiqué dans son rapport que la « ;grande partie du contenu partagé sur Twitter, Facebook et d’autres sites provenait de YouTube, propriété de Google, qui n’a interdit les allégations de fraude électorale que le 9 décembre et n’a pas appliqué sa politique rétroactivement. ;» La porte-parole de YouTube, Ivy Choi, a répondu que « ;la société avait depuis longtemps une politique contre l’incitation et qu’elle avait commencé à appliquer ses règles d’intégrité électorale dès qu’un nombre suffisant d’États avaient certifié les résultats des élections ;».
« ;En conséquence directe de ces politiques, avant même le 6 janvier, nous avons mis fin à des milliers de chaînes, dont plusieurs étaient associées à des personnalités liées à l’attaque, et supprimé des milliers de vidéos violentes, la majorité avant 100 vues ;», a déclaré Mme Choi dans un communiqué.
Le rapport de la commission pointe également du doigt Reddit pour sa lenteur à supprimer le forum « ;r/The-Donald ;» qui a été utilisé par les modérateurs pour diffuser de la publicité pour TheDonald.win, un site de soutien au président Trump qui hébergeait des contenus violents concernant l’insurrection du 6 janvier.
Cameron Njaa, porte-parole de Reddit, a déclaré que « ;la politique de l’entreprise interdit les contenus qui glorifient, incitent ou appellent à la violence contre des groupes de personnes ou des individus [et que] l’entreprise n’a trouvé aucune preuve d’appels coordonnés à la violence liée au 6 janvier sur sa plateforme. ;»
Brian Fishman, l’ancien responsable des organisations dangereuses de Facebook a indiqué devant la commission que « ;l’entreprise avait été lente à réagir aux efforts visant à délégitimer les résultats de l’élection de 2020. ;» Fishman a rajouté que l’entreprise aurait dû être plus agressive pour retirer les publications « ;Stop the Steal ;» avant les émeutes du 6 janvier, mais qu’une action plus large aurait conduit à supprimer « ;une grande partie du mouvement conservateur sur la plateforme, bien au-delà des groupes qui disaient “Stop the Steal” [… et que] cette action n’aurait pas empêché la violence le 6 janvier ;».
« ;Comprendre le rôle joué par les médias sociaux dans l’attaque du 6 janvier contre le Capitole revêt une plus grande importance à mesure que les plateformes technologiques annulent certaines des mesures qu’elles avaient adoptées pour empêcher la désinformation politique sur leurs plateformes. Sous la houlette de son nouveau propriétaire, Elon Musk, Twitter a licencié la plupart des membres de l’équipe chargée de vérifier que les tweets ne contenaient pas de contenu abusif ou inexact et a rétabli plusieurs comptes importants que la société avait bannis à la suite de l’attentat du Capitole, notamment celui de M. Trump et celui de son premier conseiller à la sécurité nationale, Michael Flynn. Facebook envisage également de permettre à M. Trump de revenir sur sa plateforme, une décision étant attendue dès la semaine prochaine. ;», indique le Washington Post.
« ;Les événements récents démontrent que rien dans le climat politique houleux de l’Amérique ou dans le rôle des médias sociaux n’a fondamentalement changé depuis le 6 janvier ;», divulgue le mémo.
Mais le rapport de la commission n’a proposé qu’une recommandation floue sur la manière de réglementer les médias sociaux, indiquant que les comités du Congrès « ;devraient continuer à évaluer les politiques des sociétés de médias qui ont eu pour effet de radicaliser leurs consommateurs ;».
Source : Mémo de la commission d'enquête (PDF)
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