« Attention ! Vous risquez de perdre l'accès à notre site bientôt à cause d’une nouvelle loi qui nous exige de vérifier votre âge en partageant vos données privées. Pour éviter cette situation malheureuse, on vous invite à répondre à quelques questions pour qu’on puisse partager votre avis au CSA, qui a enclenché la procédure contre nous », indique Pornhub sur son site. En effet, avec l’article 23 de la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, le CSA peut adresser une mise en demeure à une personne morale dont l’activité en ligne permet « à des mineurs d’avoir accès à un contenu pornographique ». Si rien n’est fait, le CSA peut saisir le « président du tribunal judiciaire de Paris » afin qu’un juge ordonne aux personnes incriminées qu’elles « mettent fin à l’accès à ce service ». Le contrevenant risque trois ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. Le montant est multiplié par cinq pour les personnes morales. Voici, ci-dessous, l’intégralité de l’article 23 :
- lorsqu'il constate qu'une personne dont l'activité est d'éditer un service de communication au public en ligne permet à des mineurs d'avoir accès à un contenu pornographique en violation de l'article 227-24 du code pénal, le président du Conseil supérieur de l'audiovisuel adresse à cette personne, par tout moyen propre à en établir la date de réception, une mise en demeure lui enjoignant de prendre toute mesure de nature à empêcher l'accès des mineurs au contenu incriminé. La personne destinataire de l'injonction dispose d'un délai de quinze jours pour présenter ses observations ;
- à l'expiration de ce délai, en cas d'inexécution de l'injonction prévue au premier alinéa du présent article et si le contenu reste accessible aux mineurs, le président du Conseil supérieur de l'audiovisuel peut saisir le président du tribunal judiciaire de Paris aux fins d'ordonner, selon la procédure accélérée au fond, que les personnes mentionnées au 1 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique mettent fin à l'accès à ce service. Le procureur de la République est avisé de la décision du président du tribunal ;
- le président du Conseil supérieur de l'audiovisuel peut saisir, sur requête, le président du tribunal judiciaire de Paris aux mêmes fins lorsque le service de communication au public en ligne est rendu accessible à partir d'une autre adresse ;
- le président du Conseil supérieur de l'audiovisuel peut également demander au président du tribunal judiciaire de Paris d'ordonner, selon la procédure accélérée au fond, toute mesure destinée à faire cesser le référencement du service de communication en ligne par un moteur de recherche ou un annuaire ;
- le président du Conseil supérieur de l'audiovisuel peut agir d'office ou sur saisine du ministère public ou de toute personne physique ou morale ayant intérêt à agir. Les conditions d'application du présent article sont précisées par décret.
« C’est un texte de loi dur à appliquer techniquement et il transfère une bonne partie de la responsabilité parentale de contrôle aux hébergeurs de contenus, les sites interdits aux mineurs », a déclaré Claire Poirson, avocate du Cabinet Bersay spécialisée dans les nouvelles technologies et les données personnelles. « Le site visé peut en plus faire appel contre l’ordonnance du juge et ses avocats peuvent poser une question prioritaire de constitutionnalité pour contrôler la légitimité de cette disposition législative », a-t-elle ajouté. Le texte de loi n'impose pas de méthode particulière pour vérifier l'âge des internautes. Toutefois, si les sites pour adultes ne se s'alignent pas, le CSA pourrait alors saisir le juge en référé qui prendra en priorité une ordonnance de déréférencement : demander aux moteurs de recherche de ne plus faire apparaître dans leurs résultats les sites incriminés. Ensuite, la justice peut couper totalement l’accès à ces sites.
« Peu de solutions techniques existent pour bloquer l’accès à une adresse IP publique comme un site. L’État délègue cette fonction aux fournisseurs d’accès à Internet », rappelle Arnaud Lemaire, directeur technique de F5 Networks, spécialiste américain de l’accès aux réseaux. « Ils empêchent alors l’internaute de se connecter à un nom de domaine ou à un serveur, même à l’étranger, mais c’est long et fastidieux et les fournisseurs d'accès à Internet ont déjà du mal à lutter contre les violations de la propriété intellectuelle comme le streaming illégal », tempère l’expert.
« Le CSA a enclenché une procédure contre nous. Nous avons jusqu’au 16 mars pour leur faire part de nos observations », indique le site Xnxx. Cette date a désormais été dépassée. Et jusqu’ici, les outils de vérification de l'âge déployés par ces sites n'auraient pas tous été revus. Pornhub a révélé qu’elle envisage la possibilité pour les internautes de présenter une carte d'identité face à leur webcam ou encore d'acheter un pass dédié en bureau de tabac, leur permettant de s'identifier en ligne. Jacquieetmichel a pour sa part opté pour une solution baptisée My18pass, censée vérifier efficacement l'âge des visiteurs en ne conservant ou ne transférant aucune donnée personnelle.
« Et même si la loi est appliquée, rien n’empêche d’utiliser un réseau privé virtuel (VPN) pour contourner le blocage en France », indique Arnaud Lemaire. « Un site peut aussi assez facilement modifier son adresse IP ou son nom de domaine après un déréférencement et revenir dans les résultats du moteur de recherche grâce à une référence différente partagée sur les réseaux sociaux. On repart alors pour un cycle administratif », précise-t-il.
Pour Thomas Rohmer, de l'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique, « les ados vont installer des VPN », affirme-t-il. Mais, selon lui, l’objectif sera atteint, car ces mêmes adolescents « sauront que c’est illégal et que les adultes ont mis en place des moyens de protection pour le leur signifier. C’est symbolique. »
Et vous ?
Que pensez-vous de cette loi qui oblige les sites à renforcer la vérification de l’âge de leurs visiteurs ?
Quel est votre avis sur la procédure engagée contre certains sites pornographiques par le CSA ?
La possibilité de contourner les blocages par modification d’adresse IP vous semble-t-elle normale ?
Quels commentaires faites-vous de la possible utilisation du VPN par les adolescents ?
Quelles solutions proposez-vous pour empêcher l’accès des mineurs à des sites pour adultes ?
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