La Pologne a officiellement contesté la directive controversée sur le droit d’auteur récemment approuvée par l’Union européenne, selon Reuters, affirmant que cette législation entraînerait une censure non souhaitée. Le pays a déposé sa plainte devant la Cour de justice de l'Union européenne.
Le vice-ministre polonais des Affaires étrangères, Konrad Szymanski, a déclaré que « le système pourrait aboutir à l'adoption de réglementations analogues à la censure préventive, interdite non seulement par la constitution polonaise, mais également par les traités européens ». Les députés polonais ont majoritairement rejeté la mesure (deux abstentions, huit pour, 33 contre, six non-votants et deux manquants) lors du vote.
Le Conseil de l'Union européenne a officiellement approuvé la directive en avril et celle-ci entrera en vigueur le 7 juin 2019. Suite à cette action, les États membres de l'UE auront jusqu'au 7 juin 2021 pour élaborer leurs propres lois afin de la mettre en œuvre. La législation est conçue pour mettre à jour la loi sur le droit d'auteur et contient un certain nombre de clauses controversées, telles que l'article 11, appelé "taxe sur les liens", qui permettra aux éditeurs de charger des plateformes telles que Google d'afficher des informations d'actualité, et l'article 13, qui tient pour responsables les plateformes où le contenu qui enfreint le droit d'auteur serait publié.
Les propriétaires de telles plateformes telles que Facebook, Google, YouTube, Wikipedia et d’autres craignent que la directive ne nuise à la façon dont les utilisateurs s’en servent (avant cette directive, les plateformes de contenu n’étaient pas tenues pour responsables du contenu qu’elles hébergent, à condition de s’efforcer de supprimer tout contenu signalé et reconnu comme enfreignant le droit d'auteur, notamment de la musique ou des films piratés). Les sites devraient désormais s’assurer de manière proactive que le contenu protégé par le droit d’auteur ne parvient pas à être diffusé sur leurs plateformes.
Les conséquences de l'article 13
Ray Corrigan, maître de conférences à la faculté des sciences de l'ingénierie et mathématiques de l'Université Ouverte du Royaume-Uni, a fait valoir que l'article 13 vise à instaurer le filtrage automatique des contenus mis en ligne, puisque ce sont des algorithmes qui devraient juger quel contenu a le droit d'apparaître sur Internet.
Cela pourrait être intéressant si ça pouvait fonctionner comme annoncé, c'est-à-dire bloquer tout ce qui est en violation des droits d'auteur sur Internet et ne laisser passer que le contenu légal. « En particulier, ce serait intéressant pour les décideurs, qui ignorent souvent les technologies et qui sont souvent sous la pression de faire quelque chose à propos de l'énorme ampleur de la violation du droit d'auteur sur Internet », estime Ray Corrigan. Mais « le problème est qu'il n'y a pas de technologie magique qui puisse faire la différence entre contenu contrevenant au droit d'auteur et le contenu non-contrevenant sauf au niveau le plus basique », ajoute-t-il.
Les amateurs pensent que le machine learning pourrait résoudre ce problème, « mais l'utilisation de filtres capables de détecter des nuances subtiles de réutilisation [d'un contenu] n'est pas une de ces choses » dans lesquelles le machine learning est assez efficace, trouve-t-il. Par conséquent, des contenus comme la parodie vont se retrouver facilement bloqués.
L’approche du parlement est irréaliste dans de nombreux cas, selon la PDG de YouTube
En octobre dernier, Susan Wojcicki, la PDG de YouTube est monté au créneau pour appeler les créateurs de vidéos à protester contre l'article 13 de la directive Copyright qui, selon elle, menace des milliers d'emplois. Elle a, en effet, mis en garde les réalisateurs de vidéos contre la directive et les a exhorté à protester vivement contre la réglementation : s’appesantissant tout particulièrement sur l’article 13, elle explique aux réalisateurs de vidéos dans un billet de blog que « cette législation menace à la fois leur gagne-pain et leur capacité à partager leur voix avec le monde ». « L'article 13 menace des centaines de milliers d'emplois, de créateurs européens, d'entreprises, d'artistes et tous leurs employés. La proposition forcera les plateformes, comme YouTube, à donner la priorité au contenu d’un petit nombre de grandes entreprises. Le fardeau de la preuve du droit d'auteur sera trop lourd pour la plupart des créateurs indépendants », disait-elle.
En novembre, elle est revenue à la charge, affirmant qu'il est impossible pour une plateforme comme YouTube de respecter les réglementations suggérées. Elle déclare que YouTube n'a pas les capacités techniques ou financières pour appliquer le type de restriction du droit d'auteur que l'Union européenne recherche. « L'approche du parlement est irréaliste dans de nombreux cas, car les titulaires de droits d'auteur ne sont souvent pas d'accord sur qui détient quels droits. Si les propriétaires ne peuvent s'entendre, il est impossible d'espérer que les plateformes ouvertes hébergeant ce contenu prennent les bonnes décisions en matière de droits », a-t-elle annoncé.
Pour s'expliquer, elle a pris l'exemple de « Despacito », la vidéo la plus regardée sur YouTube. « Cette vidéo contient plusieurs droits d'auteur, allant de l'enregistrement sonore aux droits de publication. Bien que YouTube ait passé des accords avec plusieurs entités en vue de la licence et du paiement de la vidéo, certains détenteurs de droits restent inconnus. Cette incertitude signifie que nous pourrions devoir bloquer de telles vidéos pour éviter toute responsabilité au titre de l'article 13. Multipliez ce risque par la taille de YouTube, où plus de 400 heures de vidéo sont téléchargées chaque minute et le passif potentiel pourrait être si important qu'aucune entreprise pourrait prendre un tel risque financier », dit-elle.
Depuis son lancement en octobre 2007, YouTube a investi plus de 100 millions de dollars dans son système d’identification du contenu. Wojcicki le considère toujours comme le meilleur moyen de détecter les violations du droit d’auteur et de veiller à ce que les titulaires de droits d’auteur soient payés lorsque leur contenu est utilisé. Elle pense aussi que le Content ID est la solution pour gérer les droits à l'échelle mondiale. YouTube a « déjà pris des mesures pour lutter contre la violation du droit d'auteur en développant une technologie, telle que notre programme Content ID, afin d'aider les titulaires de droits à gérer leurs droits d'auteur et à gagner de l'argent automatiquement. Plus de 98 % des droits d'auteur sur YouTube sont gérés via Content ID. À ce jour, nous avons utilisé le système pour verser aux titulaires de droits plus de 2,5 milliards d'euros pour l'utilisation de leur contenu par des tiers. Nous pensons que Content ID constitue la meilleure solution pour gérer les droits à l'échelle mondiale », a-t-elle déclaré.
Les européens pourraient-ils être coupés de certaines vidéos sur YouTube ?
Pour elle, les conséquences de l'article 13 vont même au-delà des pertes financières. « Les résidents de l'UE risquent d'être coupés de vidéos qui, au cours du mois dernier, ont été visionnés plus de 90 milliards de fois. Ces vidéos proviennent du monde entier, y compris de plus de 35 millions de chaînes de l’UE, et comprennent des cours de langue, des tutoriels scientifiques et des vidéos de musique », dit-elle. Toutefois, elle se réjouit à l'idée de travailler avec les décideurs et les plateformes pour développer une solution au sein de l'article 13 qui protège les titulaires de droits tout en permettant à l'économie créative de prospérer. « Cela pourrait inclure des accords de licence plus complets, une collaboration avec les détenteurs de droits pour identifier qui possède quoi et une technologie intelligente de gestion des droits, similaire à Content ID », propose-t-elle.
Elle conclut en disant que « les plateformes qui respectent ces règles et s'efforcent d'aider les détenteurs de droits à identifier leur contenu ne doivent pas être tenues pour responsables de chaque élément de contenu téléchargé par un utilisateur ». Elle avait exhorté les décideurs politiques à trouver une solution qui protège à la fois les titulaires de droits et les créateurs.
Susan Wojcicki n'était pas la seule à protester contre l'article 13 de la directive. La fondation Mozilla a estimé que le filtrage automatique de contenu et les dispositions relatives aux droits d’auteur figurant à l’article 13 sont impraticables pour les sociétés de logiciels open source, dont elle fait partie, et l’écosystème open source en général. Le filtrage automatique concerne en effet toutes les formes de contenu protégé par le droit d'auteur, y compris les logiciels. Le coût et le risque juridique associés à ces nouvelles règles vont donc pousser les petits développeurs de logiciels open source hors de l’Europe et menacer les plateformes de partage de code dont ils dépendent pour innover.
Source : Reuters, annonce sur Twitter
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La Pologne dépose une plainte devant le plus haut tribunal de l'UE
Pour demander une modification de la réglementation sur le droit d'auteur
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Le , par Stéphane le calme
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