Bastei Lübbe est titulaire, en tant que producteur de phonogrammes, des droits d’auteur et des droits voisins sur la version audio d’un livre. Strotzer est détenteur d’une connexion à Internet au moyen de laquelle, le 8 mai 2010, ce livre audio a été partagé, aux fins de son téléchargement, avec un nombre illimité d’utilisateurs d’une bourse d’échanges sur Internet (peer-to-peer). Un expert a attribué avec exactitude l’adresse IP concernée à Strotzer.
Aussi, par une lettre du 28 octobre 2010, la maison d’édition allemande Bastei Lübbe a mis en demeure Strotzer de mettre fin à l’atteinte du droit d’auteur constatée. Cette mise en demeure ayant été infructueuse, Bastei Lübbe a demandé, devant le Landgericht München I (tribunal régional de Munich I), à Michael Strotzer une indemnisation pécuniaire parce qu’un livre audio sur lequel elle détient les droits d’auteur et droits voisins a été partagé, pour être téléchargé, avec un nombre illimité d’utilisateurs d’une bourse d’échanges sur Internet (peer-to-peer) au moyen de la connexion à Internet dont Strotzer est le détenteur.
Strotzer a contesté avoir porté lui-même atteinte aux droits d’auteur. De plus, il a fait valoir que ses parents, qui vivent sous le même toit que lui, avaient également accès à cette connexion, sans donner toutefois davantage de précisions quant au moment où ladite connexion a été utilisée par ses parents et à la nature de cette utilisation. Selon le Landgericht München I, il ressort de la jurisprudence du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) que, eu égard au droit fondamental à la protection de la vie familiale, une telle défense suffit en droit allemand pour exclure la responsabilité du détenteur de la connexion à Internet.
Le Landgericht explique à cet égard que le détenteur d’une connexion à Internet, au moyen de laquelle une atteinte aux droits d’auteur a été commise, est présumé être l’auteur de cette atteinte, dès lors qu’il a été identifié avec exactitude par son adresse IP et qu’aucune autre personne n’avait la possibilité d’accéder à cette connexion au moment où cette atteinte a eu lieu. Toutefois, cette présomption peut être renversée dans le cas où d’autres personnes avaient la possibilité d’accéder à cette connexion. Par ailleurs, si un membre de la famille de ce détenteur bénéficiait de cette possibilité, ce dernier est susceptible d’échapper à sa responsabilité, eu égard au droit fondamental à la protection de la vie familiale, par la seule désignation du membre de sa famille, sans qu’il soit tenu de fournir des précisions supplémentaires quant au moment où la connexion à Internet a été utilisée par ledit membre de sa famille et à la nature de l’utilisation qui a été faite de celle-ci par ce dernier
L’avis de la CJUE
Le Landgericht München I a demandé, dans ce contexte, à la Cour de justice d’interpréter les dispositions du droit de l’Union sur la protection des droits de propriété intellectuelle.
Par son arrêt de ce jour, la Cour répond que le droit de l’Union s’oppose à une législation nationale (telle que celle en cause, interprétée par la juridiction nationale compétente), en vertu de laquelle le détenteur d’une connexion à Internet, par laquelle des atteintes aux droits d’auteur ont été commises au moyen d’un partage de fichiers, ne peut voir sa responsabilité engagée dès lors qu’il désigne un membre de sa famille, qui avait la possibilité d’accéder à cette connexion, sans donner davantage de précisions quant au moment où ladite connexion a été utilisée par le membre de sa famille et à la nature de cette utilisation.
Selon la Cour, il convient de trouver un juste équilibre entre différents droits fondamentaux, à savoir le droit à un recours effectif et le droit de propriété intellectuelle, d’une part, et le droit au respect de la vie privée et familiale, d’autre part.
Un tel équilibre fait défaut lorsqu’il est accordé une protection quasi absolue aux membres de la famille du titulaire d’une connexion à Internet, par laquelle des atteintes aux droits d’auteur ont été commises au moyen d’un partage de fichiers.
En effet, si la juridiction nationale saisie d’une action en responsabilité ne peut pas exiger, sur requête du demandeur, des preuves relatives aux membres de la famille de la partie adverse, cela revient à rendre impossible l’établissement de l’atteinte aux droits d’auteur alléguée, ainsi que l’identification de l’auteur de cette atteinte, et, par voie de conséquence, aboutirait à porter une atteinte caractérisée au droit fondamental à un recours effectif et au droit fondamental de propriété intellectuelle, dont bénéficie le titulaire des droits d’auteur.
Il en irait toutefois différemment si, en vue d’éviter une ingérence jugée inadmissible dans la vie familiale, les titulaires des droits pouvaient disposer d’une autre forme de recours effectif, par exemple en pouvant, dans ce cas, faire établir en conséquence la responsabilité civile du titulaire de la connexion Internet en cause.
En outre, il appartient, en dernier ressort, au Landgericht München I de vérifier l’existence, le cas échéant, dans le droit interne concerné, d’autres moyens, procédures et voies de recours qui permettraient aux autorités judiciaires compétentes d’ordonner que soient fournis les renseignements nécessaires permettant d’établir, dans des circonstances telles que celles en cause en l’espèce, l’atteinte aux droits d’auteur ainsi que d’identifier l’auteur de cette dernière.
Une décision qui rappelle Hadopi
En somme, pour la CJUE, le détenteur d’une connexion à Internet, par laquelle des atteintes aux droits d’auteur ont été commises au moyen d’un partage de fichiers, ne peut pas s’exonérer de sa responsabilité en désignant simplement un membre de sa famille qui avait la possibilité d’accéder à cette connexion Les titulaires de droits doivent disposer d’une forme de recours effectif ou de moyens permettant aux autorités judiciaires compétentes d’ordonner la communication des renseignements nécessaires.
Une décision qui rappelle le fonctionnement de la Hadopi, qui ne sanctionne pas le fait de de copier ou de partager des œuvres en ligne, mais le fait pour l’abonné de ne pas avoir empêché que son accès à Internet soit utilisé pour pirater, que cela soit fait par lui, par un membre de sa famille, ou même par un tiers qui aurait piraté son accès.
L’année dernière, une internaute de 23 ans résidant à Saint-Saëns, en Normandie l’a appris à ses dépends ; elle a été condamnée à 200 € d’amende avec sursis par le tribunal correctionnel de Dieppe pour avoir téléchargé 5 films (soit 40 euros par film téléchargé). Elle a été condamnée en outre à payer 800 euros de dommages et intérêts et de frais de justice aux parties civiles et 127 euros de procédure. Elle a décidé de prendre un abonnement Netflix.
Source : CJUE
Voir aussi :
Hadopi : une internaute est condamnée à 200 euros d'amende pour avoir téléchargé cinq films, et décide de prendre un abonnement Netflix
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Comme la Hadopi, la CJUE rend responsable le titulaire d'une connexion Internet
Utilisée pour violer le copyright au moyen d'un partage de fichiers
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Le , par Stéphane le calme
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