Après avoir reconnu que les mesures (réponses graduées) de la Haute autorité « ont produit des résultats, mais n'ont pas permis d'endiguer le développement du piratage sous toutes ses formes », la ministre de la Culture Françoise Nyssen a envisagé une extension des prérogatives la Hadopi, expliquant notamment que « la transformation rapide des usages conduit à s'interroger sur la pertinence d'un mécanisme de réponse graduée qui cible uniquement les échanges de pair-à-pair et ignore les autres formes de piratage telles que la lecture en flux (streaming) ou le téléchargement direct ».
Hier, au congrès de la FNCF (Fédération nationale des cinémas français) qui a eu lieu le mercredi 26 septembre à Deauville, le piratage a été au centre des débats.
« Il s’agit d’un sujet crucial pour notre secteur », a déclaré d’entrée de jeu Richard Patry, président de la fédération. « La lutte contre le piratage des œuvres cinématographiques et audiovisuelles est une nécessité indispensable et absolue pour l’ensemble de notre filière », d’autant qu’elle représente « le seul sujet d’accord dans notre profession ». Aussi, le président de la fédération a mis en avant « une impérieuse nécessité à unir nos efforts pour juguler ce cancer, qui mine l’économie de notre secteur, et par là-même notre capacité à créer, produire, diffuser, montrer ou distribuer des œuvres ».
Richard Patry est ensuite revenu sur la création de l’Hadopi et la riposte graduée, via la loi Création et internet de 2009, « un élan pédagogique et juridique » faisant alors de la France « un leader mondial dans la lutte contre la piraterie ». Et l’exploitant de regretter la suppression de la suspension temporaire de l’accès à Internet, « sanction ultime qui venait clôturer et crédibiliser tout le dispositif. (…) Nous ne pouvons pas accepter qu’un sentiment d’impunité se soit installé, réduisant de façon trop importante les effets des campagnes pédagogiques, qui ne sont plus du tout crédibles ».
La Hadopi, par la voix de son tout nouveau président, à temps plein, Denis Rapone, se déclare « complètement dans l’attente d’une capacité d’agir, dans un cadre qui demande à être révisé ». Le dirigeant a toutefois mis l’accent sur l’effectivité de la réponse graduée, une des prérogatives de la haute autorité en termes de lutte contre les sites de pair-à-pair, en termes de sensibilisation des internautes : plus de 60% des utilisateurs de sites pirates abandonnent la pratique après un premier ou un deuxième avertissement.
« Il faut toutefois que la sanction soit absolument certaine pour être dissuasive », a analysé Denis Rapone. Ce dernier a été toutefois entendu. La députée LREM Aurore Bergé, rapporteuse de la mission d’information sur une nouvelle régulation de la communication audiovisuelle à l’ère numérique, a en effet livré quelques propositions qui seront formulées dans ce sens dans le rapport de la mission parlementaire. Tout d’abord, un renfort du pouvoir de caractérisation de la Hadopi en termes d’identification des pratiques illicites et illégales. Mais également la dotation d’un pouvoir de transaction pénale, qui lui permettrait de sanctionner sans passer par la case judiciaire. Enfin, l’élue a proposé de consacrer dans la loi les principes dégagés par la jurisprudence des ayant-droits membres de l’Alpa.
Une tendance à la baisse
La parole a été donnée à l’Alpa, représentée sur scène par son délégué général Frédéric Delacroix. Lequel a commencé par souligner que l’audience des sites pirates est, depuis deux ans, en nette baisse, avec 2 millions de pirates en moins recensés entre 2015 et 2017. Une tendance confirmée par les relevés de l’Alpa et Médiamétrie sur le mois de juillet 2018. Ainsi, selon Frédéric Delacroix, « pour la première fois, nous sommes passés sous le seuil des 25 % d’internautes qui vont au moins une fois par mois sur un site dédié à la contrefaçon audiovisuelle ».
Selon ces mêmes relevés, les trois principaux protocoles de piratage seraient également en forte diminution en juillet, avec respectivement 4,58 millions d’internautes piratant via le protocole de pair-à-pair (dit aussi Peer-to-Peer, ou P2P), contre 5,46 millions en 2017 ; 4,99 millions pour le téléchargement direct (ou DDL), contre 7,13 millions l’an dernier ; et 5,31 millions pour le streaming (7,84 millions), devenu le premier protocole de téléchargement l’an dernier.
Frédéric Delacroix a ensuite insisté sur une « hyper-concentration de l’audience pirate » sur un petit nombre de site. Le Top 20 draine ainsi 80 % de cette audience, et le Top 5, près de 50 %. La concentration est également de mise en termes de films. En 2017, 54 % des titres piratés étaient en effet américains, contre 17 % pour les œuvres françaises. Les comédies et les films d’action étant deux des genres les plus plébiscités. Côté séries, plus de 40 % de celles qui sont piratées sont par ailleurs accessibles gratuitement.
Tour d’Europe du piratage
La parole est revenue à Laura Houlgatte, directrice exécutive de l’Unic, pour un tour d’horizon européen. Il en ressort des disparités fortes selon les pays. Ainsi, moins de 2 % des internautes allemands sont considérés comme des pirates. Un chiffre étonnant qui contraste, par exemple, avec l’Espagne, où les pertes générées par le piratage des films s’établissaient à 453 M€ en 2017, 35 % des « accès » s’étant produits alors que le film était encore dans les salles. Quant à la Pologne, la perte serait équivalente à 50 millions de places de cinéma.
Laura Houlgatte a ensuite relevé, en se basant sur les différentes initiatives menées à travers l’Europe, trois axes de lutte contre le piratage. A commencer par l’éducation et la sensibilisation, qu’il est "très important de ne pas sous-estimer". Et la directrice exécutive de l’Unic d’évoquer des formations pour le personnel des salles avec programme de récompense, comme en Malaisie, au Canada, en Grande-Bretagne ou en Autriche, mais aussi des mesures d’éducation dans les écoles, et, enfin, des campagnes s’adressant « à l’entièreté des publics », par exemple sous la forme de sports diffusés à la télévision ou dans les salles, comme ce fut le cas en Australie.
« L'arsenal législatif et les répressions » qui l'accompagnent, notamment via le blocage de sites illégaux, constitue le deuxième axe selon Laura Houlgatte. D'après elle, « si on tombe sur un site bloqué, puis deux, puis trois, dans 61 % des cas on abandonne ». D’autant que « sur ces 61 %, 35 % vont se tourner vers une offre légale ». Les sanctions à l’égard des pirates, elles, varient selon les pays. « Cela peut aller de sanctions pénales à des peines de prison, notamment pour ceux qui piratent à très grande échelle et font du profit ».
Troisième et dernier axe : les alternatives et collaborations. A commencer par la promotion de l’offre légale, « essentielle » selon Laura Houlgatte. Si plusieurs pays disposent d’une plateforme unique « où il est très facile de trouver le film que l’on cherche et d’y accéder légalement », la Commission européenne a développé sa propre plateforme, Agorateka, qui couvre pour l’instant près d’une quinzaine de pays. « Il faut rendre l’accès au contenu légal facile ». Et Laura Houlgatte de rappeler que, si les blockbusters sont touchés, les indépendants le sont eux aussi, avec des conséquences évidemment plus importantes.
Source : FNCF
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Le , par Stéphane le calme
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