« Les dictatures naissent souvent face à une menace », a déclaré cette semaine le rapporteur spécial des Nations unies, Joseph Cannataci, mettant en garde contre une menace pour la vie privée dans le cadre de l’utilisation de la surveillance pour suivre les populations, qui pourrait survivre à la période de la pandémie du coronavirus. Jeudi, plus de 100 groupes de la société civile ont exhorté les gouvernements à ne pas utiliser la pandémie mondiale comme couverture pour mettre en place de futurs espionnages électroniques envahissants, mais à s'assurer que les données soient effacées une fois la crise sanitaire terminée.
Selon la déclaration conjointe, les groupes de défense des droits de l'homme reconnaissent que la technologie peut et doit jouer un rôle important dans cet effort pour sauver des vies, par exemple, en diffusant des informations sur la santé publique et en améliorant l'accès aux soins de santé. Toutefois, les groupes sont contre « une augmentation des pouvoirs de surveillance numérique de l'État, tels que l'accès aux données de localisation des téléphones portables », qui menace « la vie privée, la liberté d'expression et la liberté d’association, d'une manière qui pourrait violer les droits et dégrader la confiance dans les autorités publiques ». Selon eux, au lieu d’être efficaces, ces mesures saperaient toute réponse de santé publique.
La déclaration est cosignée par les groupes qui viennent du monde entier, dont Amnesty International, Access Now, Big Brother Watch, le Comité pour la protection des journalistes, l'Electronic Privacy Information Center (EPIC) Human Rights Watch, Privacy International, Public Citizen, WITNESS et la World Wide Web Foundation.
Les groupes reconnaissent que la crise de santé publique « exige une réponse coordonnée et à grande échelle », mais ils demandent instamment aux gouvernements « de faire preuve de leadership dans la lutte contre la pandémie de manière à garantir que l'utilisation des technologies numériques pour suivre et surveiller les individus et les populations se fasse dans le strict respect des droits de l'homme ». Selon eux, de telles mesures présentent également un risque de discrimination et peuvent nuire de manière disproportionnée à des communautés déjà marginalisées.
Alors que le nouveau coronavirus découvert en Chine en décembre dernier se répandait dans d’autres pays, la capacité à suivre le virus grâce à la technologie numérique a été essentielle pour comprendre l'évolution de l'épidémie. Le Guardian a rapporté en mars que « les citoyens chinois ont dû s'adapter à un nouveau niveau d'intrusion gouvernementale » et que les critiques s'inquiètent de la persistance de la surveillance même après la fin de la pandémie. Avant même que l'épidémie de coronavirus ne commence en Chine à la fin de l'année dernière, le pays était largement connu et critiqué pour sa surveillance de masse, notamment la technologie de reconnaissance faciale.
Des inquiétudes quant à la manière dont les gouvernements et le secteur privé utilisent la technologie de surveillance pour suivre les personnes pendant la pandémie sont également apparues ailleurs, comme à Singapour, aux États-Unis, en Israël et au Royaume-Uni.
« Nous vivons un temps extraordinaire, mais les droits de l'homme s'appliquent toujours », poursuit la déclaration. « Aujourd'hui plus que jamais, les gouvernements doivent veiller rigoureusement à ce que toute restriction à ces droits soit conforme aux garanties des droits de l'homme établies de longue date ».
« Les autorités et les entreprises pourraient réécrire les règles de l'écosystème numérique à l'encre couleur corona »
Les initiatives hâtives d'accès aux téléphones portables pour suivre les interactions entre les populations et en particulier les personnes infectées « menacent la vie privée, la liberté d'expression et la liberté d'association », ont averti Privacy International et Human Rights Watch (HRW). Selon HRW, quelques semaines seulement après le début de la pandémie, 14 pays utilisaient des applications pour retrouver les porteurs du virus ou appliquer des quarantaines. Et quelque 24 pays utilisaient déjà les télécommunications pour la localisation, a rapporté le site Web de Deutsche Welle.
« Les gouvernements risquent d'aggraver les dommages causés par cette épidémie en faisant peu de cas de notre vie privée et de notre dignité, et en ignorant les protections qui ont été mises en place en réponse directe à l'abus de pouvoir lors des crises mondiales passées », a averti Peter Micek, avocat général d'Access Now, dans une déclaration. « En vendant les outils de surveillance comme des solutions de santé publique, les autorités et les entreprises trop volontaires pourraient réécrire les règles de l'écosystème numérique à l'encre couleur corona – qui, nous le craignons, est permanent ».
La directrice adjointe d'Amnesty Tech, Rasha Abdul Rahim, a déclaré jeudi que « la technologie peut jouer un rôle important dans l'effort mondial de lutte contre la pandémie de COVID-19 ; cependant, cela ne donne pas aux gouvernements carte blanche pour étendre la surveillance numérique. Le passé récent a montré que les gouvernements sont réticents à renoncer à leurs pouvoirs de surveillance temporaires. Nous ne devons pas nous laisser aller à un état permanent de surveillance élargie maintenant ».
Les préoccupations en matière de protection de la vie privée
Le "code sanitaire" général de la Chine, qui a été appliqué à Wuhan, la ville où le virus aurait été transmis pour la première fois à l'homme, a des parallèles avec la Corée du Sud - où des cartes sont apparues pour suivre les patients - et Singapour. Cependant, l'utilisation volontaire a été encouragée dans d'autres pays comme l'Autriche, où une application appelée "Stopp Corona" a été téléchargée 130 000 fois, d’après Deutsche Welle (DW).
Les systèmes avertissent les utilisateurs si l'un de leurs contacts contracte le virus. Selon DW, la ministre autrichienne de la Justice, Alma Zadic, a rejeté les préoccupations relatives à la protection de la vie privée en déclarant qu'elle téléchargerait elle-même l'application. En Israël, 1,5 million de personnes ont téléchargé "HaMagen", une application qui avertit les utilisateurs s'ils ont croisé le chemin d'un patient atteint du coronavirus. « Nous devons nous assurer que tous les Israéliens ont l'application », a déclaré Morris Dortman, directeur général adjoint du ministère israélien de la Santé.
Même la chancelière allemande Angela Merkel a déclaré mercredi qu'elle était « disposée » à se soumettre à la procédure de géolocalisation si un prototype de système s'avérait utile. Selon DW, après le tollé général suscité par le projet de demander aux opérateurs de téléphonie mobile de transmettre les données de 46 millions de clients, le ministre allemand de la Santé Jens Spahn et la ministre de la Justice Christine Lambrecht examinent un autre projet de système "volontaire".
La déclaration des groupes de défense des droits détaille huit conditions qui, selon eux, doivent être remplies pour justifier une surveillance numérique accrue dans le cadre des efforts de confinement du coronavirus. Ces conditions comprennent des exigences de transparence, des délais, des restrictions sur la manière dont les données peuvent être utilisées, des protections de la vie privée, des mesures pour prévenir la discrimination et la participation des parties prenantes concernées.
Le nouveau système allemand, qui est en examen, a été développé par l'institut de télécommunications allemand Fraunhofer Heinrich Hertz (HHI) en collaboration avec l'institut Robert Koch (RKI), l'agence de santé publique du pays. Des tests ont été effectués à Berlin mercredi, selon DW. Le commissaire fédéral allemand à la protection des données, Ulrich Kelber, a déclaré que la collecte ne pouvait avoir lieu qu'avec le consentement des citoyens, les données n'étant stockées que pour une durée limitée. Une surveillance pratiquement ininterrompue comme en Chine serait impossible, a-t-il affirmé. Ce qui va dans le sens des conditions des groupes.
« Cette crise offre l'occasion de démontrer notre humanité commune », indique la déclaration commune. « Nous pouvons faire des efforts extraordinaires pour lutter contre cette pandémie, dans le respect des normes relatives aux droits de l'homme et de l'État de droit. Les décisions que les gouvernements prennent aujourd'hui pour faire face à la pandémie façonneront ce à quoi le monde ressemblera à l'avenir ».
Plusieurs commentateurs sont furieux contre les mesures de surveillance intrusives déjà ou en train d’être mises en place par les gouvernements. Mais un commentateur n’est pas d’accord avec la mise « en garde contre les excès du gouvernement en ce moment » par les groupes de défense des droits. Pour lui la "sécurité publique" est « invariablement la justification de telles choses », en parlant des mesures de surveillance. Et vous, pensez-vous que la crise actuelle justifie-t-elle ces mesures ?
Sources : Déclaration conjointe, Acces Now, Amnesty International, Deutsche Welle
Et vous ?
Que pensez-vous de la déclaration conjointe des groupes de défense ?
Pensez-vous que les huit conditions des groupes peuvent être mises en œuvre par les gouvernements et les entreprises de technologie ?
Pensez-vous que l’ensemble des droits de l’homme peuvent être respectés dans une pareille urgence sanitaire ?
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Le , par Stan Adkens
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