
D’où Moscou pourrait gérer les flux d'informations de son cyberespace
En 2018, la Chine, qui prône un modèle d’Internet basé sur une approche restrictive et autoritaire, était considérée comme le pays où les internautes sont le moins libres, où la censure sur le Web atteint son paroxysme et où le contrôle pour l’accès aux données en ligne est le plus contraignant. À l’inverse de son partenaire chinois, la Russie ne dispose pas encore d’un système centralisé qui permettrait de contrôler/verrouiller Internet facilement en cas de nécessité.
Cette situation pourrait bientôt changer grâce à un projet de loi, baptisé « Internet Souverain », soutenu par Poutine qui permettrait à Moscou de se doter d’un poste de commandement unique à partir duquel les autorités pourraient gérer les flux d’informations dans le cyberespace russe (alias Runet), cela inclut la surveillance, la limitation ou le blocage de ces flux sur toute ou partie de l’étendue du cyberespace russe. Ce projet de loi est à l’heure actuelle discuté par les législateurs moscovites au niveau du parlement.
Le président de la Russie a présenté cette initiative comme une réponse défensive à la nouvelle cyberstratégie de l’administration Trump, qui permet des mesures offensives contre la Russie et d’autres adversaires désignés. L’objectif ultime, selon Poutine, serait de faire en sorte que le Runet continue de fonctionner même si des gouvernements étrangers tentaient d’isoler numériquement la Russie, en particulier comme les États-Unis. Ce dernier prend en effet la question de la souveraineté russe sur son cyberespace très au sérieux et n’exclut pas un scénario catastrophe dans lequel les États-Unis, probablement vus par Moscou comme l’administrateur en chef de l’Internet mondial, décideraient de déconnecter son pays du Web.
Soulignant le caractère vital et hautement stratégique de cette initiative, le président russe a confié : « Ils sont assis là, c’est leur invention, et tout le monde écoute, voit et lit ce que vous dites », avant d’ajouter, « plus nous aurons de souveraineté, y compris dans le domaine numérique, mieux ce sera ». Un responsable russe a même affirmé que la nouvelle loi facilitera le contrôle par les autorités d’un grand nombre d’applications et de groupes de messagerie classifiés comme illégaux.
La première étape vers la cyberindépendance tel qu’envisagé par le Kremlim au travers de cette législation passe par la mise en place de « moyens techniques de lutte contre les menaces ». Il s’agit d’installer des dispositifs spéciaux intégrant un logiciel de surveillance dans les milliers de points d’échange reliant la Russie au Web au sens large. Ces dispositifs alimenteraient un centre névralgique qui permettrait aux régulateurs d’analyser les volumes et les types de trafic en temps réel et de bloquer ou de rediriger de façon sélective certains types de flux, qu’il s’agisse par exemple de vidéos YouTube ou de flux Facebook, un peu comme lors d’une l’inspection approfondie des paquets (DPI).
Cependant, pour Andrei Soldatov, auteur de « The Red Web : The Kremlin's Wars on the Internet » et cofondateur d’Agentura.ru, un site qui suit les services de sécurité, « cette loi ne concerne pas les menaces étrangères ni l’interdiction de Facebook et Google, ce que la Russie peut déjà faire légalement ». D’après lui, « il s’agit de pouvoir couper certains types de trafic dans certaines zones en période de troubles civils » puisqu’une fois sur l’Internet russe, les utilisateurs n’auraient accès qu’aux sites Web reconnus et approuvés par le nouveau réseau alternatif.
Malgré tout, certains experts en sécurité et hauts fonctionnaires se disent préoccupés par les bouleversements politiques que l’adoption de cette loi pourrait entrainer. Il faut signaler que les fournisseurs de large bande ont depuis des années recours aux technologies de DPI qui examinent les activités et les communications des consommateurs en ligne afin de cibler la publicité en fonction de leurs goûts et d’optimiser la charge des utilisateurs. Cette pratique très peu compatible avec la protection des données privées peut aussi malheureusement faire office de « puissant mécanisme » de répression, comme Eric Schmidt, l’ancien patron de Google, l’avait fait remarquer.
La Russie censure maintenant une variété de sujets en ligne, souvent sous le prétexte d’éliminer « l’extrémisme ». Elle bloque également des sociétés étrangères comme LinkedIn et Zello qui refusent de délocaliser les serveurs traitant ou hébergeant les données russes à l’intérieur du pays. Au total, environ 80 000 sites sont actuellement sur la liste noire, selon Roskomsvoboda, un groupe basé à Moscou qui fait campagne contre les restrictions en ligne.
Artem Kozlyuk, fondateur du groupe, a déclaré que si la Russie craignait vraiment de se faire éjecter du Web par les États-Unis, elle ne ferait que faciliter la tâche à ces derniers en essayant de centraliser un système distribué. Selon lui, cela rendrait la Runet plus facile à attaquer et aurait probablement un impact sur la fiabilité des vitesses de connexion à l’échelle mondiale.
« La Russie est l’un des plus grands centres mondiaux d’échange de trafic, avec des canaux rapides », a rappelé Kozlyuk, de ce fait « mettre des dispositifs de surveillance sur chaque nœud risque de ralentir non seulement le Runet, mais également l’Internet mondial : c’est comme fermer votre espace aérien ».
Source : Bloomberg
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