Par un décret publié fin octobre 2016, le gouvernement français s'est vu accordé l'autorisation de créer une base de données regroupant les données biométriques (visage, empreintes digitales, noms, domicile, sexe, couleur des yeux, taille, etc.) de la quasi-totalité de la population, avec comme objectif affiché, la simplification des démarches administratives liées à la délivrance des cartes d'identité et des passeports ainsi que la lutte contre leur falsification et contrefaçon.
Mais dès sa parution, le décret a suscité un certain nombre d’interrogations et inquiétudes, notamment des défenseurs de la vie privée. Le texte autorise en effet certains accès à la base de données par les agents de la Police nationale, de la Gendarmerie nationale et des renseignements. Un tel fichier peut donc entrainer des dérives, sans oublier qu'une telle base de données est plus susceptible d'attirer l'attention des hackers.
Au nom des libertés publiques, des organisations et des particuliers ont demandé à la plus haute juridiction administrative la suppression de ce « monstre », généralisé à l’ensemble du territoire en mars 2017 et qui vise à regrouper les informations personnelles des titulaires d’un passeport ou d’une carte d’identité, soit environ 60 millions de Français. Le 3 octobre, une audience a donc été tenue par le Conseil d'État sur la question, mais l'issue a été au grand regret des défenseurs de la vie privée.
Le Conseil d’État a en effet rejeté jeudi 18 octobre les requêtes dirigées contre le décret instaurant le mégafichier regroupant les données personnelles de tous les Français, estimant notamment que sa création ne constituait pas une « atteinte disproportionnée » au droit des personnes au respect de leur vie privée.
« Ce n’est pas une surprise », a réagi auprès Vincent Gury, l’un des avocats de la Ligue des droits de l’homme (LDH). Il explique que le rapporteur public avait préconisé le rejet des recours, lors de l’audience du 3 octobre, mais « espérait que les critiques formulées et nos craintes, déjà sur le caractère massif de ce fichier et sur cette collecte de données colossale, soient entendues ».
Craintes relatives au fichier TES
Pour les détracteurs du fichier TES, au rang desquels figurent aussi l’association de défense des droits des internautes La Quadrature du Net (LQDN), ce mégafichier présente d'énormes risques d'abus et de piratage. Le fichier TES est « au mieux inutile, au pire dangereux », disent-ils. Ils craignent notamment le risque de détournement du dispositif à des fins d’identification d’une personne sur la base de ses données biométriques.
Comme LQDN l'expliquait avant l'audience, si l'association est vent debout contre le ficher TES, c'est parce qu'elle pense que cette base de données biométriques n'est qu'une prémisse à la reconnaissance faciale de masse. LQDN estime que « la création d'une telle base de données est inutile pour atteindre l'objectif annoncé. Celui-ci aurait pu en effet être poursuivi tout aussi efficacement en prévoyant la conservation de ces informations sur le seul titre d’identité (au moyen d'une puce électronique), tout en faisant disparaître les risques liés à leur centralisation (risques politiques de dévoiement du fichier et risques techniques de fuites de données biométriques). » Et c'est déjà ce que prévoit l'UE pour les passeports et bientôt les cartes d'identité : les données doivent être conservées sur le titre.
Ainsi, pour LQDN, l'objectif inavoué est que « la création du fichier TES (et l'enregistrement automatisé des images des visages de la population) préfigure le développement et l'utilisation par le gouvernement des technologies de reconnaissance faciale à des fins de surveillance généralisée de la population. » La Quadrature du Net soutient également ses craintes en se référant à l'actualité qui montre que la reconnaissance faciale risque d'être l'un des outils principaux de la surveillance de masse de la population par les autorités. « Si celle-ci est déjà mise en œuvre à grande échelle dans certains États (notamment en Chine), elle se développe à grande vitesse également en France, que ce soit dans nos aéroports, dans nos gares ou dans nos lycées », rappelle le défenseur des libertés numériques.
Des garanties suffisantes selon le Conseil d'État
En dépit des craintes exprimées, le Conseil d’État estime que la création d’un tel fichier est « justifiée par un motif d’intérêt général ». Les juges administratifs soulignent que, selon les dispositions du décret, « seuls les personnels chargés de l’instruction des demandes de titres peuvent accéder aux données contenues dans le traitement automatisé litigieux ». Ils soutiennent que « dans ces conditions, la consultation des empreintes digitales contenues dans le traitement informatisé ne peut servir qu’à confirmer » l’identité de la personne demandant un renouvellement de titre « ou à s’assurer de l’absence de falsification des données ».
Ainsi, pour le Conseil d’État, la collecte des images numérisées et empreintes digitales, la conservation des données – limitée à quinze ans – et leur traitement par une autorité publique présentent des restrictions et précautions suffisantes. Ils « ne portent pas au droit des individus au respect de leur vie privée une atteinte disproportionnée aux buts de protection de l’ordre public en vue desquels ce traitement a été créé », estime la haute juridiction.
Source : Le Monde
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Le , par Michael Guilloux
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