En septembre 2010, le projet Aadhaar est lancé en Inde avec l’aide du Français Safran et du Japonais NEC. Il s’agit d’un système d’identification basé sur la biométrie et qui est géré par l'Unique Identification Authority of India. Le système comprend un numéro d'identification national à 12 chiffres associés à chaque personne en plus de données biométriques, comprenant la photographie des iris, la photographie du visage et les empreintes digitales. Le projet intègre également des données plus usuelles, comme le nom, le sexe, la date et le lieu de naissance.
En 2014, le projet recensait déjà 650 millions de personnes, pour un coût de 400 millions de dollars. En janvier 2016, le projet avait identifié 960 millions de personnes.
L’idée d’un système national d’identification biométrique en Inde n’est donc pas récente et certains médias soulignent qu’elle présente de solides parallèles avec un système proposé pour les États-Unis. À la suite des attentats du 11 septembre 2001, le PDG d'Oracle, Larry Ellison, a proposé de développer un logiciel qui serait utilisé par le gouvernement américain pour ses besoins d’identification national et qui comprendrait une base de données informatique centralisée de tous les citoyens américains.
Le programme n'a jamais vu le jour suite aux objections soulevées par les défenseurs de la vie privée et des libertés civiles. Toutefois, Nandan Nilekani, le Larry Ellison de l’Inde, avait une idée similaire. Le milliardaire fondateur d’Infosys a conçu Aadhaar comme un moyen d’éliminer le gaspillage et la corruption dans les programmes de protection sociale de l’Inde. Certains médias assurent qu’il a fait pression sur le gouvernement pour faire accepter Aadhaar et a dirigé le projet sous l’administration de Manmohan Singh. Nilekani a gagné encore plus d’influence sous l’actuel Premier ministre Narendra Modi, qui a décidé de rendre Aadhaar nécessaire pour presque tous les types d’affaires en Inde.
Le premier Aadhaar ID à 12 chiffres a été émis en 2010. Aujourd'hui, plus d'un milliard de personnes (environ 89% de la population indienne) ont été incluses dans le système, des milliardaires aux sans-abri, en passant par les résidents des grandes villes du pays, sans oublier ceux qui sont dans les villages éloignés et difficilement accessibles.
Bien qu'initialement un programme basé sur le volontariat, la base de données est désormais liée à presque tous les programmes gouvernementaux. Vous avez besoin d'un identifiant Aadhaar pour obtenir un passeport ou même payer vos impôts. Aadhaar a été rendu obligatoire pour exploiter un compte bancaire, identifier un numéro de téléphone portable ou investir dans des fonds communs de placement.
De la publicité encore plus ciblée
Lorsque l'identification Aadhaar a commencé à s’intégrer à d'autres systèmes tels que les banques, les programmes gouvernementaux et autres, les entreprises technologiques ont pensé à utiliser ce programme pour comparer leurs bases de données avec d'autres bases de données et dresser un tableau beaucoup plus détaillé et intrusif de la vie des Indiens. Cela leur permettrait, par exemple, de mieux cibler les produits ou la publicité pour la vaste population indienne. « Vous pouvez prendre un numéro d'identification unique et l'utiliser pour trouver des données dans différents secteurs », a expliqué Pam Dixon, directrice exécutive du World Privacy Forum, un groupe de recherche américain sur l'intérêt public. « Ce numéro d’identification peut permettre de parcourir différentes parties de leur vie ».
Une menace pour la vie privée
Mais les mêmes caractéristiques qui permettent à des sociétés technologiques d’engranger des millions sont aussi celles qui menacent la vie privée et la sécurité de millions d'Indiens.
« Tant que [les données] seront partagées avec autant de personnes, de services et d’entreprises, sans savoir qui possède quelles données, ce sera toujours un problème », a déclaré Srinivas Kodali, chercheur indépendant en sécurité. « Ils ne sauraient les protéger jusqu’à ce qu’ils se décident à les chiffrer et à cesser de les partager ».
D’ailleurs certaines fuites ont eu lieu. Un site Web gouvernemental permettait aux utilisateurs de rechercher et de géolocaliser des maisons sur la base de caste et de religion, ce qui a suscité des craintes de violences ethniques et religieuses dans un pays où il arrive qu’il y ait des lynchages, des passages à tabac et de la violence populaire. Un autre site Web diffusait les noms, numéros de téléphone ainsi que les achats médicaux de toute personne qui achète des médicaments dans les magasins du gouvernement. Dans une autre fuite, une recherche par Google des numéros de téléphone des agriculteurs d'Andhra Pradesh révélait leur numéro d’identification Aadhar, leur adresse, leur nom de famille et leur numéro de compte bancaire.
Les fuites sont aggravées par « une obsession à la Star Trek » avec des tableaux de bord de données, a déclaré Sunil Abraham, directeur exécutif du Centre for Internet and Society. De nombreux ministères ont chacun créé un tableau de bord en ligne avec des dossiers personnels détaillés sur les individus, a-t-il expliqué. La centralisation massive des données à caractère personnel a créé un énorme risque pour la sécurité, car ces tableaux de bord étaient accessibles à tout fonctionnaire du gouvernement et, dans de nombreux cas, laissés ouverts au public.
La Cour suprême indienne va décider de l’avenir du programme
Avec tous ces problèmes, Aadhaar est devenu tellement controversé qu’il est désormais le sujet d'une réflexion de la Cour suprême indienne qui va décider de l'avenir du programme.
La Cour va se prononcer sur 27 pétitions, parmi lesquelles une question de savoir si profiter des subventions du gouvernement devrait être conditionné par le fait de disposer d’un numéro d’identification Aadhaar et ce même si l’État est constitutionnellement tenu de les fournir.
Parmi les pétitionnaires figurent des avocats, des universitaires et un juge retraité de 92 ans. Rappelons que suite à la pétition lancée par ce dernier, en août 2017 un panel de neuf membres de la Cour suprême de l'Inde a en effet décidé à l'unanimité que la vie privée individuelle est un droit fondamental. Les pétitionnaires soutiennent que la capacité d'Aadhaar à suivre et à profiler les personnes est inconstitutionnelle.
Source : Huffington Post
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La base de données biométriques indiennes, qui couvre environ 89% de la population,
Inquiète les défenseurs des droits par son degré d'intrusion
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Le , par Stéphane le calme
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