En 2020, un concept et une nouvelle réalité professionnelle faisaient son entrée dans la vie de millions de francais : « le télétravail ». Très rapidement, il est apparu que ce mode de travail affectait plus durement les femmes. Mais au-delà de l’effet de loupe que la crise sanitaire produit, il est essentiel de penser le télétravail au prisme de l’égalité femmes-hommes. La nouvelle étude du Centre Hubertine Auclert « Télétravail et égalité femmes-hommes » met en évidence l’importance d’une approche genrée du télétravail et de ses effets. Cette étude formule également un paradoxe intéressant : si les conséquences en matière d’inégalités professionnelles sont importantes, plus de 90% des personnes souhaitent tout de même poursuivre la pratique du télétravail. À travers 13 recommandations concrètes, l’analyse du Centre Hubertine Auclert permet d’anticiper les impacts sur les situations de travail des femmes et des hommes, et d’identifier les leviers pour installer l’égalité professionnelle et renforcer une culture de l’égalité. Publié en mars 2022 en partenariat avec la Région Ile-de-France, il compile de nombreuses données issues de différentes enquêtes avant, pendant et après la crise sanitaire.
« Le télétravail est producteur d’inégalités hommes – femmes et il a renforcé les stéréotypes de genre et augmenté la charge mentale des femmes, pouvant mener à l’épuisement », soutient Marie-Pierre Badré, présidente du centre Hubertine Auclert, centre francilien pour l’égalité femmes hommes. Le télétravail intervient dans un monde professionnel déjà très inégalitaire entre les femmes et les hommes, montre le rapport du centre Hubertine Auclert. Le rapport montre aussi que les risques inhérents au télétravail touchent plus les femmes actives que leurs homologues masculins.
Généralisation du télétravail
En mars 2020, Il y a eu un quadruplement des télétravailleurs. 7 % des actifs pratiquaient en 2017 le télétravail régulier (3 %) ou occasionnel(4 %). 24,3 % des actifs français sont devenus télétravailleurs à l’occasion du confinement de mars 2020, dont 54 % de femmes. En 2020, 36 % des télétravailleuses ont été concernées par la hausse de la charge de travail, contre 29 % de leurs homologues masculins. 24 % ont vu leur temps de travail augmenter, contre 20 % chez les hommes.
Seule 1/4 des télétravailleuses a disposé d’une pièce dédiée au travail où elle pouvait s’isoler contre 41 % des hommes en moyenne en 2020. En outre, la plupart d’entre elles s’est retrouvée privé d’un équipement informatique et numérique adaptée (à 52 % contre 42 % pour les hommes), beaucoup devant prendre à leur charge le coût de ce matériel. Faute de moyens ergonomiques adaptés, la moitié des télétravailleuses ont souffert de douleurs musculo-squelettiques contre 35 % des télétravailleurs. 40 % se sont plaintes d’une anxiété habituelle (29 % des hommes). Combinés, ces facteurs ont placé plus de 20 % des femmes en télétravail en situation de forte détresse (14 % des hommes).
Hyper-connectivité et cybersexisme
Les risques d’hyper-connectivité touchent un peu plus les femmes : elles sont 67 % contre 63 % chez les hommes en 2021 à déclarer devoir répondre directement aux sollicitations. En 2020, elles ont été 23 % à déclarer leur droit à la déconnexion, contre 20 % des hommes.
En 2021, 45 % des télétravailleuses ont subi du harcèlement sexuel en ligne et 35 % ont vécu un épisode sexiste au moins une fois à l’occasion de réunions de travail virtuelles, ayant notamment attrait à leur tenue. « La distance désinhibe les harceleurs qui ont de nouveaux canaux numériques d’agression », remarque Marie-Pierre Badré.
En télétravail, la répartition des tâches domestiques entre hommes et femmes demeure inéquitable
87 % des femmes contre 76 % des hommes ont dû en 2020 faire face à la double contrainte de télé-travailler et de s’occuper de leurs enfants. 43 % des mères et 26 % des pères d’enfants de moins de 16 ans ont passé plus de 4 heures supplémentaires par jour à s’en occuper. Le temps économisé sur le transport est alloué en majorité par les femmes à la parentalité, tandis que les hommes s’autorisent à consacrer encore plus de temps à leur travail ou aux loisirs. En 2021, les femmes ont 20 % de chances de plus que les hommes à subir des reproches de leurs proches. Elles ont été 1,4 fois plus nombreuses que les hommes à se sentir coupables de ne pas avoir été assez disponibles pour leurs enfants.
90 % des télétravailleurs veulent continuer
Plus de 90 % des personnes ayant télétravaillé désirent continuer. En apportant notamment plus d’autonomie et de souplesse, le télétravail peut agir en faveur d’une mixité des métiers élargie, d’une plus grande insertion professionnelle et d’une reconfiguration de l’accès aux postes à responsabilités, notamment pour les femmes les moins mobiles, particulièrement en milieu rural.
Le travail hybride comme modalité courante d’organisation soulève une inégalité potentielle entre personne travaillant sur site et à distance. Le ou la salariée en présentiel est visible, disponible directement, peut participer à des réunions spontanées ou aux échanges informels. Le télétravailleur peut être perçu comme moins engagé, avoir plus difficilement accès aux échanges d’informations avec ses collègues et sa hiérarchie. Les impacts sur l’évolution de carrière doivent être anticipés, les femmes risquant à nouveau de se retrouver pénalisées.
Des mesures pour un travail hybride égalitaire
Les recommandations du centre Hubertine Auclert aux organisations privées et publiques sont les suivantes :
– intégrer l’égalité professionnelle dans la négociation collective, dans les accords sur le télétravail et dans la méthodologie de chaque action ou projet ;
– innover dans les formes de dialogue social et professionnel en mode hybride et faire du télétravail égalitaire un objet de dialogue social ;
– intégrer dans le document unique d’évaluation des risques professionnels les situations de télétravail et de travail hybride ;
– développer des mesures de prévention des violences sexistes et sexuelles (VSS) liées au travail hybride ;
– maintenir des moments et des espaces dédiés aux échanges et à la libre expression afin de générer cohésion, sens et reconnaissance et favoriser la circulation d’informations ;
– construire un cadre de télétravail adaptable aux situations des femmes et des hommes ;
– veiller à l’inclusion numérique et l’égalité d’accès aux équipements et technologies ;
– assurer une multi-spatialité choisie et non subie (lieu de travail, domicile, espace de coworking) ;
– porter un soin particulier aux populations les plus à risque en télétravail exceptionnel ;
– accompagner et former le management pour qu’il soit exemplaire face aux inégalités de genre et aux VSS et pour manager à distance ;
– soutenir le collectif de travail et l’inclusion en organisation de travail hybride ;
– se doter d’indicateurs genrés pour comprendre l’utilisation du télétravail et systématiser l’articulation du genre et des situations de télétravail dans la production des données ;
– encourager les accords ou plans d’action de branche pour un télétravail égalitaire ;
– instaurer des incitations financières pour les organisations privées et publiques pour renforcer les bonnes conditions de télétravail.
L’économiste Rachel Silvera a déploré lors de la remise du rapport à la Région Ile-de-France, que « les accords comportent généralement de beaux principes mais pas d’engagement chiffré. Il faudrait comparer tous les six mois l’évolution de carrière des personnes travaillant en présentiel et celles qui travaillent en distanciel ». Ainsi La mise en œuvre d’un télétravail véritablement égalitaire et porteur de progrès nécessite une démarche systémique et transversale impliquant les directions, les acteurs du dialogue social, de la santé au travail, le management intermédiaire et les collectifs de travail. Il est recommandé de mettre en place des démarches de sensibilisation, de formation et d’accompagnement, pour changer la culture du management en entreprise et dans la fonction publique.
Source : Centre Hubertine Auclert
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Le télétravail est producteur d'inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes
D'après la nouvelle étude du Centre Hubertine Auclert
Le télétravail est producteur d'inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes
D'après la nouvelle étude du Centre Hubertine Auclert
Le , par Nancy Rey
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