En plus des hommes qui se battent sur le terrain, la guerre en Ukraine se déroule également sur deux autres fronts : la guerre cybernétique et la guerre de communication. Le Parlement russe a voté à l'unanimité vendredi pour approuver un projet de loi criminalisant la diffusion intentionnelle de ce que la Russie considère comme des informations « fausses ». Le règlement prévoit des amendes ou des peines de prison pour la diffusion de fausses informations sur l'armée, ainsi que des amendes pour les personnes qui appellent publiquement à des sanctions contre la Russie. Les tribunaux prononceront les peines les plus sévères pour les fausses nouvelles qui pourraient entraîner des conséquences graves.
La Russie a déjà sévi contre les organes d'information et les plateformes sociales dans le cadre de son invasion de l'Ukraine, contestant les rapports de décès externes qui dépassent de loin son propre décompte et s'opposant aux descriptions de l'invasion comme une guerre plutôt qu'une « opération militaire spéciale. »
L'agence de régulation des technologies et des communications Roskomnadzor a partiellement bloqué Facebook pour avoir prétendument restreint les comptes des médias d'État, puis a bloqué Twitter peu après. Elle a exigé que Wikipédia supprime des rapports prétendument faux sur les pertes parmi les troupes militaires russes et les civils ukrainiens, y compris les enfants, bien qu'elle n'ait pas semblé mettre à exécution sa menace de blocage.
Plus récemment, elle a bloqué l'accès à la BBC et à d'autres sites d'information pour « atteinte à la stabilité et à la sécurité de la Russie », ce qui a conduit le média britannique à diffuser ses émissions sur ondes courtes. La BBC a ensuite annoncé qu'elle suspendait le travail de ses journalistes et de son personnel de soutien en réponse à l'adoption de la loi.
Après le blocage de Facebook et une nouvelle loi drastique contre les médias indépendants, la population russe n’a désormais quasiment plus accès qu’aux discours officiels. Moscou filtre les informations disponibles en Russie. Comme toutes les guerres, celle que la Russie livre à l'Ukraine se déroule aussi sur les terrains de la communication et de l'information.
« Cette législation semble criminaliser le processus de journalisme indépendant, a déclaré le directeur général de la BBC, Tim Davie, dans un communiqué. Notre service d'information BBC News en russe continuera à fonctionner depuis l'extérieur de la Russie. La sécurité de notre personnel est primordiale et nous ne sommes pas prêts à les exposer au risque de poursuites pénales simplement pour avoir fait leur travail. »
Pour ceux qui en doutaient encore, la journée de ce mardi 1er mars l'a bien confirmé avec deux des derniers médias populaires d'information indépendante en Russie, Dojd TV et la radio Ekho Moskvy, dont les fréquences ont été coupées et les sites internet bloqués en Russie, sur décision du parquet général russe, au motif que ces médias parlaient de manière critique et en utilisant ce mot de la « guerre » en Ukraine, osant même évoquer les nombreux soldats tués sur le front. En Russie désormais, cela est considéré comme « une activité extrémiste et une incitation à la violence ». Le 3 mars, l'Écho de Moscou dénonce sur son site « une censure politique contraire à l'esprit de la Constitution russe ».
À défaut de pouvoir marcher sur Kiev pour le moment, analyse Jane Wakefield de la BBC, les Russes semblent obsédés par l'idée de maîtriser ce qui se dit et surtout ce qui ne doit pas se dire sur cette guerre. « Si les "fakes news" entraînent des conséquences graves, une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à 15 ans menace », a déclaré la chambre basse du Parlement, appelée Douma en russe, dans un communiqué.
La population russe s'informe aussi sur Internet et n'a jamais été complètement dupe de la propagande des chaînes officielles. Alors que le Kremlin s'en prend aux moyens de communication ukrainiens, l’Ukraine pour sa part appelle à une coupure totale d’Internet avec la Russie.
En début de mois, des responsables ukrainiens ont demandé à l'ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), organisation clef dans le fonctionnement de l'internet, de déconnecter tous les sites russes du réseau informatique mondial. « Cher Monsieur le Président et Directeur général, en tant que représentant de l'Ukraine au GAC ICANN, je vous envoie cette lettre au nom du peuple ukrainien, vous demandant de répondre à un besoin urgent d'introduire des sanctions strictes contre la Fédération de Russie dans le domaine de la régulation des DNS, en réponse à ses actes d'agression envers l'Ukraine et ses citoyens », a écrit Nabok, Andriy, représentant de l'Ukraine à ICANN.
Rappelons que tous les dispositifs connectés à l’Internet (ordinateurs, téléphones, portables et autres) possèdent un numéro unique appelé « adresse IP ». Cette adresse, à l’instar d’une adresse postale, permet d’envoyer des messages, des vidéos et autres paquets de données d’un point de l’Internet vers un dispositif identifié de manière unique par son adresse IP. La mission de l’ICANN étant de garantir un Internet mondial sûr, stable et unifié. L’ICANN coordonne ces identificateurs uniques à l’échelle mondiale.
L'ICANN a rejeté mercredi la demande de Mykhailo Fedorov, vice-premier ministre ukrainien, de révoquer tous les domaines web russes, de fermer les serveurs racine DNS russes et d'invalider les certificats TLS/SSL associés en réponse à l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Fedorov a formulé sa demande parce que l'assaut de la Russie a été « rendu possible principalement grâce à la machinerie de propagande russe qui utilise des sites Web diffusant continuellement de la désinformation, des discours de haine, encourageant la violence et cachant la vérité sur la guerre en Ukraine. »
Dans une réponse publiée le 2 mars, Göran Marby, PDG de l'ICANN, a déclaré que son organisation est un organisme technique indépendant chargé de superviser le DNS et les identifiants uniques de l'internet mondial et qu'elle doit maintenir la neutralité. « L'ICANN est un facilitateur de la sécurité, de la stabilité et de la résilience de ces identifiants dans l'objectif d'un Internet unique, mondial et interopérable », a déclaré Marby.
Alors que certains trouvent la demande de l’Ukraine de couper la Russie de l'internet mondial comme erreur stratégique pour la communication, certaines entreprises ont prêté une oreille favorable à la demande de l‘Ukraine. C’est par exemple le cas de Cogent Communications, le principal FAI américain à la Russie, qui décide d’interrompt ses services dans en Russie, invoquant une invasion non provoquée de l'Ukraine.
La société américaine, Cogent Communications, est l'un des plus grands fournisseurs de dorsales Internet au monde et dessert des clients dans 50 pays, dont un certain nombre d'entreprises russes très en vue. « Malgré la récente demande de l'Ukraine de déconnecter la Russie de l'Internet mondial, la Russie reste en ligne. Toutefois, à partir de 17 heures GMT aujourd'hui, la Russie est connectée au monde par l'intermédiaire d'un opérateur de télécommunications international en moins », a déclaré l’entreprise.
« Tous les ports et l'espace d'adresse IP fournis par Cogent seront récupérés à la date de résiliation. Pour tous les clients en colocation, votre équipement sera éteint et conservé dans le rack pour que vous puissiez le récupérer. S'il n'est pas récupéré dans les trente jours, l'équipement sera retiré du rack et stocké. Pour tous les clients de l'informatique utilitaire, vous n'aurez pas accès à vos serveurs après la résiliation du service. Les serveurs seront déconnectés et stockés par Cogent pour une période indéterminée », ajoute l’entreprise.
La Russie entre dans sa phase de préparation active de déconnexion de l’Internet mondial, d’après ce que rapporte le média biélorusse Nexta qui publie des photos de documents officiels relatifs à la manœuvre. C’est de l’ordre du plausible quand on sait que Poutine avait déjà procédé à la signature de la loi Runet qui permet de déconnecter la Russie de l’Internet mondial et de la refermer sur son Internet souverain. C’est une espèce de grande muraille numérique à la chinoise dont le contexte actuel fait d’opération militaire en Ukraine et de sanctions à l’encontre de la Russie peut justifier.
« Au plus tard le 11 mars, tous les serveurs et domaines doivent être transférés vers la zone russe. En outre, des données détaillées sur l'infrastructure réseau des sites sont collectées », indique Nexta. « La dictature a officiellement commencé. La Russie se rapprochera de la Chine dans presque tous les domaines. Les manuels d'histoire seront réécrits sur Internet et les gens seront totalement contrôlés », s’indigne un internaute.
Dans une déclaration à l'agence de presse RIA Novosti, le régulateur a indiqué que certains médias avaient publié de « fausses informations » sur des sujets tels que « les méthodes d'exécution des activités de combat (attaques contre la population civile, frappes sur des objets d'infrastructure civile), le nombre de pertes des forces armées de la Fédération de Russie et de victimes parmi la population civile ».
En plus de la BBC, les blocages concernent Voice of America et Radio Free Europe/Radio Liberty, radios financées par le gouvernement américain, le radiodiffuseur allemand Deutsche Welle et le site web Meduza, basé en Lettonie. Ils font tous partie des médias étrangers les plus influents et souvent critiques qui publient en russe.
Et vous ?
Que pensez-vous de cette décision criminalisant la diffusion intentionnelle de ce que la Russie considère comme de fausses nouvelles ?
Selon vous, couper la Russie ou les Russes du reste du monde serait une bonne décision ?
Voir aussi :
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L'Ukraine fait pression pour débrancher la Russie d'Internet, les experts estiment que cela pourrait être un désastre
La demande de l'Ukraine de couper la Russie de l'internet mondial a été rejetée, le fonctionnement de l'Internet n'est pas politisé répond l'ICANN
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Le , par Bruno
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