La Royal Society, la plus ancienne institution scientifique du monde en activité, est l'académie nationale des sciences du Royaume-Uni. Mercredi, elle a publié un rapport sur ce qu'elle appelle "l'environnement de l'information en ligne", remettant en question certaines hypothèses clés derrière le mouvement de "déplateformisation" des théoriciens du complot qui diffusent de fausses informations sur des sujets tels que le changement climatique, la 5G et le coronavirus. En effet, sur la base d'analyses documentaires, d'ateliers et de deux enquêtes menées au Royaume-Uni, la Royal Society est parvenue à de nombreuses conclusions.
La première est que si la désinformation en ligne est endémique, son influence est peut-être exagérée, du moins en ce qui concerne le Royaume-Uni. « La grande majorité des personnes interrogées pensent que les vaccins Covid-19 sont sûrs, que l'activité humaine est responsable du changement climatique et que la technologie 5G n'est pas dangereuse », indique le rapport d'étude. La deuxième est que l'impact des soi-disant chambres d'écho peut être pareillement exagéré et qu'il y a peu de preuves pour soutenir l'hypothèse de la "bulle de filtre" (en gros, des trous de lapin extrémistes alimentés par des algorithmes).
Les auteurs de l'étude ont également souligné que de nombreux débats sur ce qui constitue une désinformation trouvent leur origine dans des différends au sein de la communauté scientifique et que le mouvement anti-vaccins est bien plus large qu'un ensemble de croyances ou de motivations. Et l'une des plus grandes conclusions du rapport est que le gouvernement et les entreprises de médias sociaux ne devraient pas s'appuyer sur la "suppression constante" de contenus trompeurs. Selon les chercheurs de la Royal Society, elle ne constitue pas une "solution efficace contre la désinformation scientifique en ligne".
« Au contraire, les interdictions pourraient pousser la désinformation vers des coins d'Internet plus difficiles à atteindre et exacerber les sentiments de méfiance envers les autorités », indique le rapport. Au Royaume-Uni, des appels ont été lancés par l'ensemble de l'échiquier politique pour que les médias sociaux suppriment les messages anti-vaccins. Cependant, selon Frank Kelly, professeur de mathématiques à l'université de Cambridge, qui a présidé l'étude de la Royal Society, le fait de supprimer les comptes d'utilisateurs comme les anti-vaccins des plateformes grand public compliquait le dialogue entre ces derniers et les scientifiques.
Si l'institution encourage la suppression des contenus illégaux qui incitent à la violence, au racisme ou aux abus sexuels sur des enfants, elle déconseille l'interdiction des contenus légaux qui vont à l'encontre du consensus scientifique. Il convient au contraire de prendre des mesures de grande envergure pour "renforcer la résilience collective" afin que les gens puissent détecter les fausses informations nuisibles et y réagir. Selon les auteurs du rapport, les sites de médias sociaux devraient plutôt ajuster leurs algorithmes afin d'empêcher qu'elles ne deviennent virales - et que les gens ne gagnent pas d'argent avec des contenus illégaux.
« Nous avons besoin de nouvelles stratégies pour garantir que les informations de haute qualité puissent être compétitives dans l'économie de l'attention en ligne. Cela signifie qu'il faut investir dans des programmes d'initiation à l'information tout au long de la vie, des technologies d'amélioration de la provenance et des mécanismes de partage des données entre les plateformes et les chercheurs », a déclaré Gina Neff, professeure de technologie et société à l'Oxford Internet Institute et au département de sociologie de l'Université d'Oxford. Selon les chercheurs, ces solutions peuvent être plus efficaces que la suppression de contenus.
Les propositions des scientifiques de la Royal Society semblent refléter les objectifs de la commission française de lutte contre les théories du complot et la désinformation dans le débat public. Lancée en décembre dernier par Emmanuel Macron, elle vise à :
- définir un consensus scientifique qui sera mis à disposition du grand public, des médias, des acteurs de la société civile sur l’impact d’Internet dans nos vies de citoyens : notre information, notre rapport à l’autre, notre représentation du monde et de nous-mêmes, notre exposition à des biais cognitifs qui peuvent enfermer ;
- formuler des propositions dans les champs de l’éducation, de la prévention, de la régulation, et de la judiciarisation des entrepreneurs de haine afin de libérer la société des bulles qui enferment une partie de nos concitoyens et nourrissent les extrémismes, la haine, la violence, les dérives sectaires et les obscurantismes ;
- proposer de nouveaux espaces communs de la démocratie, de la citoyenneté, du collectif qui puissent trouver leur place dans le monde numérique, donner du sens à des citoyens isolés ;
- développer une analyse historique et géopolitique de l’exposition de la France aux menaces internationales qui pèsent sur notre démocratie et notre société au travers d’Internet et des recommandations sur les enjeux à porter dans le débat international et européen.
« La majorité bien informée peut agir comme une "intelligence collective" en se prémunissant contre la désinformation et en dénonçant les inexactitudes lorsqu'elle les rencontre. De nombreux yeux peuvent fournir un examen minutieux du contenu, comme nous le voyons sur Wikipédia », estime Sir Nigel Shadbolt, président exécutif de la branche britannique de l'Open Data Institute et un autre coauteur. Enfin, selon un sondage de YouGov commandé dans le cadre du rapport, alors qu'Internet a conduit à une vaste prolifération d'informations de toutes sortes, la grande majorité des Britanniques ont des opinions proches de celles de la science dominante.
Les proportions des 2 000 participants convenant que les vaccins Covid ne sont pas sûrs étaient de 7 % pour le vaccin "BioNTech/Pfizer" et de 11 % pour le vaccin "Oxford-AstraZeneca", tandis que 90 % affirmaient que l'activité humaine modifie le climat. « Les opposants à la vaccination devront finalement se rendre à l'évidence que leur opposition aux vaccins Covid est erronée. La grande expérience naturelle sur l'efficacité et la sécurité de la vaccination est la meilleure preuve dont nous disposons. Pour [les anti-vaccins], les preuves ne sont pas bonnes », a déclaré Shadbolt.
Source : Le rapport de l'étude (PDF)
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