L’autorité de régulation russe a resserré la plateforme américaine en représailles à ce qu'elle a décrit comme un échec dans la suppression de milliers de posts qui « encouragent le suicide des mineurs et contiennent de la pornographie enfantine ainsi que des informations sur la consommation de drogues ». Cette mesure est intervenue après que les autorités russes eurent accusé Twitter et d'autres réseaux sociaux en janvier de ne pas avoir supprimé des messages incitant les enfants à participer à des manifestations antigouvernementales.
En janvier et février, la Fondation anticorruption de Russie a organisé des manifestations dans des dizaines de villes, et présentées en direct sur Facebook et sur le réseau social russe VKontakte, pour protester contre l'arrestation de son chef, Alexeï Navalny. Des dizaines de milliers de personnes ont manifesté dans plus de 100 villes du pays pour demander la libération de cette figure de l'opposition. Une enquête sur YouTube concernant une présumée corruption du président Vladimir Poutine a été vue des dizaines de millions de fois. Navalny a été condamné le 2 février à deux ans et huit mois de prison pour avoir violé sa liberté conditionnelle dans le cadre d'une affaire de détournement de fonds remontant à 2014 et fabriquée de toutes pièces, selon lui.
En décembre, le gouvernement russe a adopté une loi visant à augmenter les amendes infligées aux plateformes en ligne et aux fournisseurs d'accès à Internet qui ne retirent pas les contenus appelant à des activités extrémistes, les informations sur les drogues récréatives et les abus sexuels sur les enfants. Avec cette loi, les entreprises peuvent désormais se voir infliger des amendes représentant entre 10 et 20 % de leur chiffre d'affaires annuel en Russie. Une loi adoptée le même mois a donné à Roskomnadzor le pouvoir de restreindre ou de bloquer totalement les sites Web qui, selon les autorités, sont discriminatoires à l'égard des médias d'État russes.
En réponse à ce ralentissement, Twitter a déclaré qu'elle ne soutenait aucun « comportement illégal » et qu'elle était « profondément préoccupée » par les tentatives du régulateur de bloquer la conversation publique en ligne. Mais le 16 mars, Roskomnadzor a lancé un nouvel avertissement : si Twitter refuse de se conformer à ses demandes de suppression dans un délai d'un mois, le régulateur envisagera de bloquer purement et simplement l'accès au réseau social en Russie. Roskomnadzor, un organe exécutif fédéral fondé en 2008, chargé de veiller à ce que les médias et les communications respectent les lois russes et d'adresser des avertissements aux sources médiatiques qui enfreignent ces lois.
Dans un communiqué publié lundi, l'organisme public de surveillance des communications a déclaré que Twitter avait eu des discussions avec les autorités russes le 1er avril, qui ont abouti à un accord entre les deux parties. L’organisme russe a déclaré qu'elle prolongerait jusqu'au 15 mai le ralentissement punitif imposé à Twitter, tout en reconnaissant que la société américaine avait accéléré la suppression des contenus interdits. Twitter a confirmé les discussions avec la Russie. « Il s'agissait d'une discussion productive sur la façon dont nous pouvons tous deux travailler pour garantir que les rapports sur ces contenus illégaux soient traités rapidement », a également déclaré Twitter dans un communiqué.
Les vastes rassemblements antigouvernementaux du début de l'année semblent avoir franchi la ligne rouge pour Poutine. Ces derniers mois, le président a déclaré que les entreprises technologiques « font concurrence aux États » et que « la société s'effondrera de l'intérieur » si Internet ne respecte pas les règles juridiques et les lois morales de la société.
Alors que le gouvernement a intensifié ses efforts pour contrôler ce à quoi les citoyens peuvent accéder en ligne, il a également plusieurs projets en cours de réalisation qui, selon les experts, font partie d'une stratégie visant à évincer complètement les entreprises technologiques étrangères du marché russe. Depuis le 1er avril, le Roskomnadzor exige que les entreprises technologiques qui vendent des smartphones en Russie invitent les utilisateurs à télécharger des applications approuvées par le gouvernement, notamment des moteurs de recherche, des cartes et des systèmes de paiement.
Pour les militants, cette année ressemble à une répétition de l'histoire. Depuis le début des manifestations de masse contre la fraude électorale organisées par des figures de l'opposition, à l'aide de Facebook et de VKontakte, il y a dix ans, le gouvernement de Poutine a mis au point un ensemble d'outils juridiques et technologiques pour réglementer l'information en ligne, en introduisant des filtres de contenu, des listes de blocage et en imposant des amendes, voire des peines de prison, pour ce qui est publié en ligne.
En 2012, la Russie a commencé à dresser des listes noires et à forcer le retrait de certains sites web, notamment ceux qui donnent des détails sur la façon de se suicider. En 2014, une loi a permis à Roskomnadzor de bloquer l'accès aux médias qui appellent à des émeutes de masse, à des activités extrémistes ou à la participation à des événements publics de masse. Les critiques du gouvernement ont été ciblées ; le blog Live Journal de Navalny, qui publiait des enquêtes sur la corruption dans la politique russe, et d'autres sites d'opposition politique ont été bloqués (Roskomnadzor a déclaré qu'ils étaient interdits pour avoir appelé les gens à participer illégalement à des événements de masse).
Plus récemment, la Russie a initié des coupures de réseaux régionaux. En octobre 2018, le gouvernement russe a coupé le service de données mobiles dans la région d'Ingouchie, dans le sud-ouest de la Russie, lors des manifestations politiques. La première coupure d'Internet de ce type dans le pays. En août 2019, le gouvernement a bloqué Internet pendant des manifestations à Moscou, dans ce que la société de protection d'Internet, un groupe de défense des droits numériques, a déclaré être la première coupure de ce type imposée par l'État dans la capitale.
Puis, en novembre 2019, le Kremlin a entrepris la démarche la plus controversée à ce jour pour contrôler l'infrastructure Internet du pays avec la loi dite sovereign Internet ou Internet souverain. Une série d'amendements aux lois existantes a théoriquement permis aux autorités russes d'isoler le RuNet, une sorte d'intranet national destiné à garantir le fonctionnement de l'infrastructure technologique (en particulier les télécommunications et le système financier) au cas où quelque chose d'« extraordinaire » se produirait. Il permet aux autorités russes de contrôler les flux de données entrant et sortant du pays.
Dans une note explicative sur la nouvelle loi, le corps législatif russe a déclaré qu'elle avait été créée à la lumière de la « nature agressive de la stratégie nationale de cybersécurité des États-Unis », dans laquelle les États-Unis menacent de punir des pays comme la Russie, la Chine, l'Iran et la Corée du Nord s'ils utilisent des outils cybernétiques pour « dégrader » leur économie et leur démocratie, et voler leur propriété intellectuelle. Le législateur russe a affirmé que la Russie devait prendre « des mesures de protection pour assurer le fonctionnement stable et à long terme d’Internet en Russie, et pour accroître la fiabilité des ressources Internet russes ».
La loi sur l’Internet souverain exige des fournisseurs d'accès à Internet (FAI) qu'ils installent des équipements d'inspection approfondie de paquets, qui ont été utilisés par certains pays, comme la Chine, pour la censure. L'équipement d'inspection approfondie des paquets permet à la Russie de contourner les fournisseurs, de bloquer automatiquement le contenu interdit par le gouvernement et de réacheminer le trafic internet.
Selon Alena Epifanova, chercheuse au Conseil allemand des relations étrangères, les principaux fournisseurs d'accès Internet russes ont désormais installé des équipements d'inspection approfondie de paquets. Mais personne ne sait si et quand la Russie sera en mesure de couper son Internet du web mondial. Selon certains analystes, la Russie n'a pas encore la capacité technologique de créer un Grand Pare-feu à la Chinoise. Contrairement à la Chine, qui a très tôt placé les fournisseurs d'accès à Internet sous le contrôle de l'État, la Russie est profondément intégrée au réseau mondial et bénéficie d'un Internet largement libre depuis des décennies.
Le gouvernement russe tente de contrôler les informations provenant de Russie, il a essayé de limiter ce qui est accessible en Russie depuis l'étranger. Il a également exigé aux moteurs de recherche, dont Google, de supprimer certains résultats et aux réseaux sociaux de stocker les données de leurs utilisateurs sur des serveurs situés en Russie. Roskomnadzor a infligé à Google une amende de 41 000 dollars pour ne pas avoir supprimé les contenus interdits par les autorités en 2020. Roskomnadzor a bloqué LinkedIn en 2016 et a infligé à Twitter et Facebook une amende de 53 000 dollars en 2020 pour ne pas avoir stocké les données des utilisateurs en Russie.
YouTube, où Navalny et son groupe postent la plupart de leurs vidéos d'investigation, a refusé d'obtempérer. Résultat des courses, la Russie a fait monter les enchères. Après que Roskomnadzor a menacé de poursuivre les sites de réseaux sociaux pour avoir encouragé les mineurs à rejoindre les manifestations de janvier, le régulateur a déclaré que TikTok avait supprimé 38 % de son contenu, tandis que YouTube et le site de réseaux sociaux russe VKontakte en ont supprimé la moitié. Twitter, Google et Facebook font chacun l'objet de trois procédures en justice. Pour chaque violation, ils risquent une amende pouvant aller jusqu'à 54000 dollars. Des poursuites ont également été engagées contre TikTok et Telegram.
Les autorités s'efforcent désormais non seulement de réduire l'influence des entreprises technologiques étrangères, mais aussi de les obliger à promouvoir les services russes, comme le montre la nouvelle réglementation imposant l'installation d'applications approuvées par le gouvernement sur tous les nouveaux smartphones. Apple a donné son accord et c'est la première fois que la société offrira aux utilisateurs la possibilité d'installer des logiciels extérieurs sur ses appareils au moment de la configuration.
Bien que certains estiment que l'idée derrière ce projet est de décourager les Russes dans l’utilisation des réseaux sociaux étrangers tels que TikTok, Tretyak, du groupe de défense des droits numériques Roskomsvoboda, estime qu'il s'agit d'une politique raisonnable visant à protéger les applications russes qui sont déjà utilisées par la majorité des Russes. Un Wikipedia russe devrait être lancé en 2023 afin que les Russes aient accès à des informations mieux contrôlées sur leur pays.
L'ancien président russe Dmitri Medvedev avait déclaré en début février que la Russie était « prête » à se déconnecter de l'Internet mondial si nécessaire. Mais bien que le pays ait cette capacité, Medvedev, qui est actuellement vice-président du Conseil de sécurité russe, dit qu'il ne voit aucune raison à cela, et que ce serait une « épée à double tranchant ». La déclaration avait été faite à Interfax, une agence de presse privée russe située à Moscou. La Russie est « légalement et technologiquement » prête à se déconnecter de l'Internet mondial si nécessaire, a déclaré l'ancien président. Le pays aurait également développé la capacité de se déconnecter du système mondial de paiements SWIFT.
Comme contre-mesure, les citoyens ordinaires cherchent de plus en plus à échapper aux contrôles de l'État sur Internet. Roskomsvoboda et le Centre de protection de l'Internet, basés à Moscou, font partie des groupes et des militants des droits numériques qui consacrent des ressources à aider les Russes à contourner les nouvelles restrictions. Le site web de Roskomsvoboda propose une liste de toutes les ressources en ligne bloquées en Russie, des instructions sur la manière de contourner les interdictions en ligne et des informations sur la réglementation de l'Internet dans le pays.
Le groupe tient également une liste publique de réseaux privés virtuels (VPN) fiables, qui permettent aux utilisateurs d'accéder aux sites web bloqués. Toutefois, le gouvernement a également exigé de certains fournisseurs populaires qu'ils bloquent l'accès aux sites figurant sur la liste noire. Vladislav Zdolnikov, un spécialiste en informatique, gère une chaîne Telegram qui explique les dernières évolutions de la réglementation russe de l'Internet et recommande des outils de contournement.
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