Boeing 737 MAX, cloué au sol pendant plus de 20 mois après deux accidents mortels, est à nouveau autorisé à voler. Alors que les problèmes du logiciel de contrôle de vol MCAS à l'origine des crashs ayant conduit à l'interdiction de l'avion sont censés être résolus, un ingénieur sécurité de la Federal Aviation Administration (FAA), se prononce publiquement pour donner aux familles des victimes un compte-rendu « de ce qu'est la vérité ». Joe Jacobsen pense que des mises à jour supplémentaires du système sont nécessaires au-delà de la correction de Boeing pour le MAX, qui a été bénie par la FAA et d'autres régulateurs.
Jacobsen, 59 ans, est un spécialiste de la sécurité à la FAA, qui avait auparavant passé plus de dix ans chez Boeing. Dans une lettre détaillée envoyée le mois dernier à une famille qui a perdu sa fille dans le second crash du MAX en Éthiopie il y a deux ans cette semaine, et dans des interviews, Jacobsen a donné ce qui semble être le premier témoignage personnel d'un insider sur la réponse de l'agence fédérale de sécurité aux crashs du MAX.
Jacobsen et d'autres ingénieurs de la FAA auraient signalé les graves défauts de conception du logiciel de contrôle de vol critique du MAX, s’ils avaient été parmi les spécialistes de l’agence qui ont examiné le MCAS lors de sa certification initiale, qui était en grande partie contrôlée par Boeing. Mais il n'a eu l'occasion de le faire qu'après le premier crash en Indonésie, fin 2018.
Jacobsen, qui travaille toujours à la FAA, a fait ce témoignage seulement cette année suite à un approfondissement de sa foi chrétienne, dit-il. Hanté par les deux crashs mortels de Boeing 737 MAX et le rôle de son agence dans l'approbation de l'avion, il dit regretter de ne pas s'être montré plus affirmé en interne avant le second crash, et toucher par la colère et la frustration des familles des personnes décédées.
Dans les mois qui ont suivi le second crash, Jacobsen a fait part de ses préoccupations à ses responsables de la FAA et au bureau de l'inspecteur général du ministère des Transports. Il les a également communiquées aux commissions de la Chambre et du Sénat qui ont ensuite publié des rapports d'enquête cinglants et rédigé la loi de réforme de la FAA adoptée en décembre.
Alors qu’il prendre sa retraite de la FAA à la fin de ce mois, il a raconté son expérience sur MAX dans une lettre le 8 février aux parents d’une Américaine de 24 ans qui est morte sur le vol ET302 d'Ethiopian Airlines. « J'ai ressenti une forte conviction que je devrais aider à guérir les familles des victimes des crashs du 737 Max », a-t-il écrit.
Jacobsen, l'ingénieur le plus expérimenté du bureau de la FAA à Seattle en matière de maniement et de performances des avions, aurait été profondément impliqué dans l'évaluation du MCAS si Boeing l'avait correctement présenté auprès de l’agence comme un nouveau système critique. Cette évaluation aurait stimulé la rédaction d'un "document de réflexion" pour évaluer et expliquer les détails aux autorités de réglementation du monde entier. Au lieu de cela, Boeing a minimisé le MCAS et a gardé pour lui les détails de son évaluation.
Une semaine après l'accident du Lion Air le 29 octobre 2018, Jacobsen a reçu un courriel d'un collègue lui demandant s'il existait un document de réflexion sur le MCAS. « C'est le premier jour où j'ai entendu parler du MCAS », a-t-il écrit. « Nous n'avions pas de document de travail, et si nous en avions eu un, j'aurais été l'ingénieur responsable de fournir le contenu technique et de commenter un tel document ». Lorsqu'il a jeté un coup d'œil au système, Jacobsen s'est dit « choqué de découvrir que l'avion avait été conçu et certifié pour n'utiliser qu'une seule entrée AOA (angle d'attaque) pour une fonction critique de vol ».
« Si nous soulignons que le MCAS est une nouvelle fonction, il pourrait y avoir un plus grand impact sur la certification et la formation », peut-on lire dans le compte-rendu d'une réunion de Boeing de juin 2013 documentée dans l’enquête de la Chambre des représentants américaine.
Jacobsen a écrit qu’aucun « d'entre nous n'a été informé de la conception originale et la plupart des aspects ont été délégués à un petit nombre d'ingénieurs de Boeing pour approbation ». Si on lui en avait donné l'occasion lors de la certification initiale, il est certain que lui et « 6 à 8 de nos ingénieurs les plus expérimentés du bureau de Seattle » auraient identifié cela comme un grave défaut de conception.
Boeing et la FAA ont dit dans des déclarations séparées qu'ils pensent que le MAX est maintenant corrigé et sûr, et que les régulateurs du monde entier ont validé cette conclusion.
Un problème avec l’automanette omis dans les instructions de FAA après le 1er crash
Les instructions que Boeing et la FAA ont données aux pilotes immédiatement après le premier crash – instructions que les pilotes éthiopiens ont essayé de suivre sans succès – ont été fortement critiquées. La lettre de Jacobsen ajoute quelque chose de nouveau sur l'inadéquation de ces instructions : il n'est pas fait mention d'un problème avec l’automanette – le système automatisé qui contrôle la poussée des moteurs – qui augmente excessivement la vitesse du jet et rend impossible de remonter manuellement le nez de l’avion.
Selon le rapport d'enquête préliminaire publié il y a un an, le capteur d'angle d'attaque défectueux du vol ET302, avant même qu'il ne déclenche le MCAS pour pousser l'avion en piqué, a perturbé les autres relevés d'altitude et de vitesse du capteur. Cela a tellement augmenté la vitesse de l’avion, et par conséquent les forces sur la queue du jet, que les pilotes ne pouvaient pas la bouger manuellement.
L'équipage du vol aurait en effet dû réduire les moteurs manuellement, comme instruit par la FAA et Boeing après le premier crash. Mais apparemment, ils ont été désorientés par la cacophonie des alertes qui se sont déclenchées. Ces alertes ne comprenaient pas d'avertissement de l’automanette pour indiquer qu'elle avait cessé de répondre à leur réglage de vitesse.
Boeing a déclaré que pour ce genre d'urgence, il compte sur les pilotes pour exécuter de mémoire une liste de contrôle standard qui comprend une instruction de désengagent de l’automanette. La FAA, dans un communiqué, a déclaré que cette liste de contrôle dit aux pilotes "de couper tous les systèmes automatiques, y compris le pilote automatique et l’automanette". Les pilotes d'ET302, dans leur empressement, ont sauté l’étape "appuyer les interrupteurs de coupure pour empêcher le MCAS de pousser le nez du jet en bas" et n’ont pas désengagé l’automanette".
Selon la lettre de Jacobsen, si la directive d'urgence de la FAA après le crash de Lion Air énumère la procédure que les pilotes doivent suivre, elle omet l'instruction sur l’automanette et ne mentionne pas qu'il pourrait mal fonctionner.
« Je pense que ce n'était qu'une erreur », a déclaré Jacobsen. « Je pense que personne n'a reconnu que le dysfonctionnement de l'angle d'attaque pourrait également perturber l’automanette ».
Dans une interview, le capitaine John Cox, un pilote chevronné et fondateur de Safety Operating Systems, une société de conseil en sécurité aérienne basée à Washington, a qualifié ce comportement de l’automanette" de l'ET302 de « défaillance difficile à détecter ». « Échouer de cette façon et ne pas le dire à l'équipage, ça me dérange. Les humains ne sont pas doués pour détecter les omissions », a déclaré Cox. « C'est une omission importante ».
Le 737 MAX serait plus sûr si le système MCAS était simplement retiré
Dans une déclaration, Boeing a dit qu'il « a mis en œuvre des changements qui garantissent que des accidents comme ceux-ci ne se reproduiront plus jamais, et ces changements ont été validés par de nombreuses agences de réglementation ». Mais dans sa lettre, Jacobsen recommande à Boeing d'améliorer la logique de l’automanette du 737 MAX afin de déconnecter ou de donner un avertissement aux pilotes lorsque l'ordinateur enregistre des données non valides.
Jacobsen soutient également que l'avion serait plus sûr si Boeing retirait tout simplement le nouveau logiciel MCAS) qui a mal tourné lors des deux crashs qui ont fait 346 morts. Puisque la FAA reconnaît que le 737 MAX « est stable à la fois avec et sans MCAS en fonctionnement », Jacobsen pense qu'elle devrait accorder une exemption aux exigences de certification qui rendent le MCAS nécessaire.
Il a déclaré que cette opinion est partagée par certains ingénieurs de première ligne de la FAA et également par les autorités de réglementation de la sécurité aérienne en Europe et au Canada. Lorsque la FAA a remis le MAX en service, elle a décidé, en réponse à une suggestion similaire de plusieurs commentateurs, qu'elle « n'a pas de base factuelle pour imposer la suppression du MCAS ».
Jacobsen appelle également au remplacement de certaines personnes aux « niveaux les plus élevés de la direction de la FAA », qu'il blâme pour avoir créé une culture trop préoccupée pour répondre aux exigences de l'industrie. Il décrit la FAA comme une organisation dotée d'une chaîne de commandement militariste, dans laquelle les employés de niveau inférieur peuvent donner leur avis lorsqu'on le leur demande, mais doivent sinon « s'asseoir et se taire ». « J'aurais préféré ne pas le faire », a déclaré Jacobsen dans sa lettre.
Source : Joe Jacobsen
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L'avion serait plus sûr si Boeing retirait tout simplement le nouveau logiciel MCAS, d’après Jacobsen. Quel commentaire en faites-vous ?
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Un ingénieur sécurité de la FAA accable publiquement la supervision du Boeing 737 MAX par l'agence,
L'avion serait plus sûr si le système MCAS était simplement retiré
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L'avion serait plus sûr si le système MCAS était simplement retiré
Le , par Stan Adkens
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