L’éditeur français Qwant change de gouvernance. Sous la pression des investisseurs, le moteur de recherche européen, qui met en avant le respect de la vie privée et la protection des données personnelles, se réorganise pour poursuivre son développement. Le cofondateur Eric Léandri quitte la présidence de la société qu’il occupait depuis 2016 pour piloter un comité stratégique et scientifique rattaché au nouveau conseil de gouvernance qui va suivre l’activité de Qwant. Les principaux actionnaires de la société (notamment la Caisse des Dépôts et le groupe allemand Axel Springer) ont décidé de confier les rênes à Jean-Claude Ghinozzi, actuel directeur général adjoint responsable des ventes et du marketing, qui devient donc président de Qwant SAS.
Tristan Nitot, qui assurait à titre transitoire la mission de Directeur Général, se concentrera de nouveau sur sa fonction de VP Advocacy. Il est remplacé par Jean-Claude Ghinozzi et devra « renforcer les fondamentaux technologiques du moteur de recherche et son écosystème de services ainsi que sa monétisation », selon un communiqué de l’éditeur français.
Ce changement s’accompagne d’un renforcement du contrôle des actionnaires sur la marche de l’entreprise. Antoine Troesch, directeur de l’investissement de la Banque des territoires (l’une des cinq directions de la Caisse des Dépôts) est appelé à prendre le pouvoir d’un conseil de gouvernance auquel les décisions portant sur des changements stratégiques ou engageant des dépenses importantes devront être soumises. Les actionnaires auront aussi plus de sièges au conseil.
Cette nouvelle réorganisation sera effective le 15 janvier 2020.
Pour Éric Leandri: « Après toutes ces années à conduire Qwant vers ses différents succès et sur tous les fronts, je suis très enthousiaste à l’idée de poursuivre l’aventure avec une équipe solide dont je suis fier, qui a toute ma confiance, et qui me permet de me concentrer sur la vision stratégique de ce que doit être et devenir notre moteur de recherche, au service de la vie privée des Européens et de notre autonomie technologique ».
Jean-Claude Ghinozzi déclare : « J’ai rejoint Qwant il y a trois ans parce que le challenge inédit proposé par les actionnaires était à la fois immense et motivant. Nous avons collectivement réussi à poser des bases solides pour construire l’avenir, je connais la force et le potentiel de nos équipes, et c’est donc avec beaucoup de fierté et de reconnaissance que j’ai accepté de prendre la direction dans cette phase importante du développement de Qwant en France et en Europe. Je veux remercier Éric Leandri et nos actionnaires pour cette confiance renouvelée et suis pressé de poursuivre le travail avec eux ».
La sécurisation d'un investissement
Cette reprise en main doit être lue à la lumière du nouvel investissement qu’ont décidé de consentir les deux principaux actionnaires du moteur de recherche, alors que l’entreprise, créée en 2011, continue à perdre de l’argent. Il faut noter que, bien qu'Eric Léandri prendra alors la tête d’un comité consultatif chargé de définir les grandes orientations stratégiques de l’entreprise, « il reste actionnaire, mais n’aura plus aucune fonction opérationnelle, ne pourra plus prendre de décision structurante ». La Caisse des Dépôts et le groupe allemand Axel Springer pourraient tous les deux, d'après les informations rapportées par des médias mainstream, réinjecter une dizaine de millions d’euros pour permettre à Qwant de poursuivre son développement. Une manière pour la Caisse des Dépôts de sécuriser l’avenir d’une entreprise largement vantée par la puissance publique comme la meilleure alternative à Google en termes de moteur de recherche respectueux des données personnelles des utilisateurs.
D'ailleurs, le gouvernement vient de décider de faire du « Google français » le moteur de recherche par défaut des agents publics. Qwant va en effet devenir le moteur de recherche par défaut de l’administration. Concrètement, il remplacera Google sur des millions de postes, à moins que l’utilisateur ne décide activement de changer les paramètres. Annoncée en mai par le secrétaire d’État au Numérique, Cédric O, cette mesure se concrétise après des audits réalisés entre juillet et septembre, afin de vérifier que Qwant correspondait bien aux critères que s’était fixé le gouvernement en matière de respect de la vie privée et de la protection des données. Qwant serait « le seul [moteur de recherche] capable de répondre aux attentes du gouvernement », expliquait Cédric O au printemps. Ce changement devra être opéré d’ici le 30 avril.
Une entreprise qui a connu la tourmente
Même si chacun s’accorde sur la nécessité de disposer d’un outil de souveraineté numérique français ou plus largement à l’échelle européenne, il faut signaler que depuis qu’elle existe (9 ans), la startup française peine à réaliser un chiffre d’affaires au-delà des 5 millions d’euros. Les pertes se multiplient pour l’entreprise qui jamais n’a réussi à atteindre les objectifs fixés. En 2017, son activité n’aura généré que 3 millions d’euros, puis cinq millions d’euros un an après. L'année dernière, le chiffre d’affaires de l’entreprise s'est situé aux alentours des 7 millions d’euros, alors que Qwant tablait sur 15 millions d’euros. De plus, malgré un chiffre d’affaires bas, Qwant a une charge salariale importante - avec un niveau de rémunération apparemment trop élevé - et la crédibilité du groupe a pris un coup depuis qu’on sait qu’il dépend énormément de Microsoft Bing. Les coûts ayant augmenté, le moteur de recherche perd plus d’un million d’euros par mois, sans perspective de basculer vers un modèle bénéficiaire.
En juin dernier, la plateforme « made in France » de recherche en ligne affichait 78 millions de visites uniques par mois, contre 17 millions fin 2016. Médiamétrie affirme que Qwant représente 8 % du marché en France, mais d’autres estimations le situent plutôt à 4 %. Mais l’adoption prévue de Qwant au détriment de Google dans les administrations publiques françaises et européennes devrait améliorer les perspectives de développement de cet outil audité par la CNIL, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) et la direction interministérielle du numérique (DiNum).
D’après Éric Léandri qui dirige aujourd’hui l’entreprise, Qwant est la seule entreprise numérique dans le monde qui garantit à cent pour cent le respect de la vie privée. Mais le modèle économique prôné par la direction actuelle ne porte toujours pas ses fruits. Cette situation a poussé Eric Léandri et ses associés à programmer une levée de fonds l'année dernière afin de se donner les moyens d’accélérer le développement et de transformer le modèle économique de l’entreprise. Les responsables du projet Qwant visaient, semble-t-il, un apport en capital à hauteur de 50 millions d’euros pour une valeur d’entreprise de 200 millions.
Malheureusement, plusieurs sources proches du dossier ont indiqué que l’opération n’a pas abouti : les investisseurs sélectionnés ne se sont finalement pas manifestés et si rien n’est fait, Qwant était à court de cash fin 2019. « Ce sera aux actionnaires de déterminer les bons moyens de sortir de ce problème de trésorerie négative et d’éviter un dépôt de bilan », a précisé l’une des sources.
Source : communiqué de presse
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Le , par Stéphane le calme
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