Lancé en grande pompe en juillet 2013, le moteur de recherche Qwant était censé devenir le "Google français" et avait promis de libérer la France et l'Europe du joug des géants asiatiques et américains de la recherche en ligne. Mais cette fougue n'a pas duré assez longtemps. S'en sont suivies dix années de gestion catastrophique et une montagne de dettes que l'entreprise peine aujourd'hui à rembourser. Les dirigeants successifs de l'entreprise n'ont pas réussi à faire de Qwant le moteur de recherche "souverain" de la France. Mais encore, des enquêtes ont révélé que Qwant s'appuyait sur des rivaux comme Bing de Microsoft pour proposer ses services.
D'après le média L'Informé, Qwant a été très proche de la faillite dernièrement. À en croire un récent rapport du média économique, Qwant devait rembourser une dette de 15 millions d'euros à la BEI cette année, mais l'entreprise ne disposait pas de ces fonds. Cependant, le moteur de recherche français a obtenu un rééchelonnement de sa dette auprès de la BEI, ce qui lui aurait évité de déposer le bilan. Alors qu’il n’a jamais décollé commercialement, Qwant continue de bénéficier de la bonne grâce des pouvoirs publics français et européens. Qwant n’a jamais atteint la rentabilité depuis sa création en 2013 et la BEI est loin d'être son seul créancier.
En effet, Qwant a été lancé sous un modèle de préservation de la vie privée et a été présenté par le gouvernement français comme l'un des piliers pour atteindre la "souveraineté numérique". Ainsi, Qwant a toujours promis qu'il ne traque pas ses utilisateurs et ne vend pas leurs données personnelles afin de garantir leur vie privée. Le jeune moteur de recherche se veut neutre dans l'affichage des résultats. Qwant a notamment bénéficié d'une subvention de plus de 20 millions d'euros de la Caisse des Dépôts pour lui permettre de concurrencer Google, et est aujourd'hui le moteur de recherche par défaut dans les administrations publiques.
En outre, l'extension du moteur de recherche pour le navigateur Mozilla Firefox fait partie de la liste des logiciels libres préconisés par l'État français dans le cadre de la modernisation globale de ses systèmes d’information où il est indiqué comme publiée sous licence MIT/X11. Le moteur en lui-même n'est pas open source. Cependant, Qwant n'a pas réussi son pari, et est encore loin d'être considéré comme un moteur de recherche souverain. Une enquête publiée le 18 mai 2020 par Le Média a révélé que Qwant ne ressemble en rien au projet initial, et ne mérite pas la couverture médiatique qui le présente comme un modèle de success-story.
Qwant dépendrait à plus de 60 % de Bing, le moteur de recherche de Microsoft, alors qu'il était censé être une alternative souveraine et respectueuse de la vie privée aux géants asiatiques et américains. Qwant s'appuie non seulement sur Bing pour fournir les résultats de recherche, mais il doit aussi sa principale source de revenus (environ 90 % de ses revenus) à Microsoft. Qwant utilise Bing Ads pour afficher de la publicité sponsorisée dans les résultats de recherche. Interrogés sur le sujet, les cadres de la société ont déclaré qu'il ne s'agit pas de publicités ciblées, mais plutôt de publicités contextualisées affichées grâce à des données anonymisées.
En outre, en 2015, la CNIL avait signifié à Qwant lors d’un contrôle que ses mesures d’anonymisation n’étaient pas suffisantes. Qwant affirme s’être améliorée depuis, mais aucun régulateur ou tiers certificateur n’est en mesure de l’attester. Pour l’heure, Qwant qui se présente comme un rival de Google dépend de Microsoft pour son moteur de recherche, sa capacité de calcul et sa régie. Pour certains, Qwant n’existe même plus. « Quand je regarde Qwant aujourd’hui, j’ai du mal à penser qu’il ne s’agit pas d’une filiale de Microsoft. Presque toutes les technologies que l’entreprise utilise viennent de Microsoft », note un critique.
Selon l'enquête, les relations de ses actionnaires et dirigeants avec des personnalités au plus haut de l'État qui lui ont permis d'avoir son statut actuel. « Sur le papier, cela pourrait passer pour une success-story. Mais en réalité, Qwant ne marche pas, ou mal. Ses résultats sont tirés principalement du moteur de recherche Bing, de Microsoft ; ils sont souvent datés, peu fiables, peu pertinents, limités en nombre. C’est le constat tiré par la Direction interministérielle du numérique (DINUM) dans une note confidentielle datée du mois d'août 2019, que s’est procuré Le Média », explique le Marc Endeweld du site Le Média.
Plusieurs enquêtes ont révélé au fil des ans que Qwant termine chaque année dans le rouge. Par exemple, en 2019, les pertes de Qwant se sont creusées de 50 %, à 23,5 millions d'euros, pour un chiffre d'affaires de seulement 5,8 millions d'euros. Un an plus tôt, le moteur de recherche avait perdu 13,8 millions d’euros. Malgré un chiffre d’affaires bas, et des pertes considérables répétées, Qwant a une charge salariale importante - avec un niveau de rémunération apparemment trop élevé. La société a donc décidé à l'été 2020 de se séparer du quart de son effectif. Cela devrait lui permettre de réduire ses coûts.
Cela devait lui permettre également de se concentrer sur son principal service qu'est son moteur de recherche. Avant cela, en avril 2020, la société avait procédé à un remaniement de sa direction. Ainsi, de nombreux responsables ont quitté l'entreprise en 2020 et au cours de ces derniers mois. Après les départs, en septembre 2021, de Guillaume Champeau, chargé de l'éthique et des affaires juridiques, Hugo Venturini, le CTO et Nam Ma Kim, qui s'occupait du marketing, le directeur de la stratégie Sébastien Ménard a lui aussi quitté l'entreprise en décembre. Néanmoins, les pertes pour 2020 se chiffraient à environ 13 millions d'euros.
Qwant espérait retrouver l'équilibre en 2021. Mais toujours en difficulté, il a demandé en juin 2021 à ses actionnaires d'approuver un prêt d'environ 8 millions d'euros de la part du géant chinois des télécommunications Huawei. Le financement devrait se faire via des obligations convertibles de Hubble, le fonds de capital-risque du géant chinois basé à Hong Kong. Pour rassurer les sceptiques sur la potentielle entrée de la firme chinoise au capital de Qwant, un porte-parole de la Caisse des Dépôts a déclaré qu'il s'agit d'un investissement via une obligation, ce qui n'est pas synonyme d'une entrée de Huawei dans le capital de Qwant.
Selon d'autres, Qwant ferait également face à des divisions internes qui ralentissent le projet. Le mois dernier, Guillaume Champeau, désormais directeur juridique de Clever Cloud, a laissé entendre que le mal est plus profond et a défendu le parcours de Qwant, ainsi que les investissements publics dans le projet. Il estime d'ailleurs que ces fonds étaient insuffisants. « Un jour, les médias réaliseront que Qwant n’a jamais eu un problème de surfinancement, mais de sous-financement. L’État est venu compenser le déficit d’investissements privés européens pour créer un moteur européen, dont on a besoin », a déclaré Champeau dans un tweet.
Il a ajouté : « dépendre des Américains ou des Asiatiques pour nous dire selon leurs critères à eux ce qui est intéressant et pertinent sur Internet quand on recherche de l’information, c’est un problème démocratique et stratégique. Donc oui, la puissance publique est venue abonder au maigre financement privé de Qwant, mais la réalité est qu’il aurait fallu beaucoup plus ». En 2021, Qwant aurait perdu 9,1 millions d’euros pour un chiffre d’affaires de 11,9 millions d’euros. Au début de l'année, l'on a appris que Qwant serait à vendre et qu'un mandat aurait été confié fin 2021 à un spécialiste des fusions-acquisitions pour dénicher des investisseurs.
Sources : Qwant, Caisse des Dépôts, CNIL, L'Informé
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