Qwant, le moteur de recherche français axé sur le respect de la vie privée, a été présenté par le gouvernement comme l'un des piliers pour atteindre la « souveraineté » technologique. Lancé le 4 juillet 2013, Qwant a toujours promis qu'il ne traque pas ses utilisateurs et ne vend pas leurs données personnelles afin de garantir leur vie privée. Qwant se veut neutre dans l'affichage des résultats. Le jeune moteur de recherche a bénéficié d'une subvention de plus de 20 millions d'euros de la Caisse des Dépôts pour lui permettre de concurrencer Google, et est aujourd'hui le moteur de recherche par défaut dans les administrations publiques.
En outre, l'extension du moteur de recherche pour le navigateur Mozilla Firefox fait partie de la liste des logiciels libres préconisés par l'État français dans le cadre de la modernisation globale de ses systèmes d’information où il est indiqué comme publiée sous licence MIT/X11. Le moteur en lui-même n'est pas open source. Cependant, Qwant n'a pas réussi son pari, et est encore loin d'être considéré comme un moteur de recherche souverain. Une enquête publiée le 18 mai 2020 par Le Média a révélé que Qwant ne ressemble en rien au projet initial, et ne mérite pas la couverture médiatique qui le présente comme un modèle de success-story.
Tout d'abord, Qwant dépend à plus de 60 % de Bing, le moteur de recherche de Microsoft, alors qu'il était censé être une alternative "souveraine et respectueuse" de la vie privée aux géants asiatiques et américains. Qwant s'appuie non seulement sur Bing pour fournir résultats de recherche, mais il doit également sa principale source de revenus (environ 90 % de ses revenus) à Microsoft. Qwant utilise Bing Ads pour afficher de la publicité sponsorisée dans les résultats de recherche. Interrogés sur le sujet, les cadres de la société ont déclaré qu'il ne s'agit pas de publicités ciblées, mais plutôt de publicités contextualisées affichées grâce à des données anonymisées.
Le comble, c’est qu’en 2015, la CNIL avait signifié à Qwant lors d’un contrôle que ses mesures d’anonymisation n’étaient pas suffisantes. Qwant affirme s’être améliorée depuis, mais aucun régulateur ou tiers certificateur n’est en mesure de l’attester. Pour l’heure, Qwant qui se présente comme un rival de Google dépend de Microsoft pour son moteur de recherche, sa capacité de calcul et sa régie. Pour certains, Qwant n’existe même plus. « Quand je regarde Qwant aujourd’hui, j’ai du mal à penser qu’il ne s’agit pas d’une filiale de Microsoft. Presque toutes les technologies que l’entreprise utilise viennent de Microsoft », a déclaré un critique.
Selon l'enquête, les relations de ses actionnaires et dirigeants avec des personnalités au plus haut de l'État qui lui ont permis d'avoir son statut actuel. « Sur le papier, cela pourrait passer pour une success-story. Mais en réalité, Qwant ne marche pas, ou mal. Ses résultats sont tirés principalement du moteur de recherche Bing, de Microsoft ; ils sont souvent datés, peu fiables, peu pertinents, limités en nombre. C’est le constat tiré par la Direction interministérielle du numérique (DINUM) dans une note confidentielle datée du mois d'août 2019, que s’est procuré Le Média », explique le Marc Endeweld du site Le Média.
Plusieurs enquêtes ont révélé au fil des ans que Qwant termine chaque année sous la ligne rouge. Par exemple, en 2019, les pertes de Qwant se sont creusées de 50 %, à 23,5 millions d'euros, pour un chiffre d'affaires de seulement 5,8 millions d'euros. Un an plus tôt, le moteur de recherche avait perdu 13,8 millions d’euros. Malgré un chiffre d’affaires bas, et des pertes considérables répétées, Qwant a une charge salariale importante - avec un niveau de rémunération apparemment trop élevé. La société a donc décidé à l'été 2020 de se séparer du quart de son effectif. Cela devrait lui permettre de réduire ses coûts.
Cette décision lui permettrait également de se concentrer sur son principal service qu'est son moteur de recherche. Avant cela, en avril 2020, la société a procédé à un remaniement de sa direction. Ainsi, de nombreux responsables ont quitté l'entreprise en 2020 et au cours de ces derniers mois. Après les départs, en septembre, de Guillaume Champeau, chargé de l'éthique et des affaires juridiques, Hugo Venturini, son CTO et Nam Ma Kim, qui s'occupait du marketing, le directeur de la stratégie Sébastien Ménard a lui aussi quitté l'entreprise en décembre. Néanmoins, les pertes pour 2020 se chiffraient à environ 13 millions d'euros.
Qwant espérait retrouver l'équilibre en 2021. Mais toujours en difficulté, l'entreprise a demandé en juin 2021 à ses actionnaires d'approuver un prêt d'environ 8 millions d'euros de la part du géant chinois des télécommunications Huawei. Le financement devrait se faire via des obligations convertibles de Hubble, le fonds de capital-risque du géant chinois basé à Hong Kong. Pour rassurer les sceptiques sur la potentielle entrée de la firme chinoise au capital de Qwant, un porte-parole de la Caisse des Dépôts a déclaré qu'il s'agit d'un investissement via une obligation, ce qui n'est pas synonyme d'une entrée de Huawei dans le capital de Qwant.
D'après lui, « c'est un moyen pour financer l'expansion de Qwant avec un acteur mondial essentiel qui reconnaît la solidité de la technologie et la réalité du projet ». D'un autre côté, Huawei, qui propose Qwant en tant que moteur de recherche par défaut en France, en Allemagne et en Italie sur sa gamme de smartphones P40, trouve là un bon moyen de s’éloigner des technologies américaines. Mais après neuf années passées à tenter de se convaincre qu'ils pouvaient battre Google, les actionnaires et les dirigeants de Qwant songeraient maintenant à rendre le tablier. Pour l'heure, ils n'ont même pas réussi à être un moteur de recherche "indépendant".
Selon l'information disponible, le moteur de recherche souhaiterait en effet « solder la participation de plusieurs de ses actionnaires historique, parmi lesquels la Caisse des Dépôts », et les petits actionnaires seraient « appelés à vendre ». Les sources indiquent que cette décision s'inscrit dans le cadre d'un plan d'économies que Qwant met en place depuis début 2020. Cela consiste principalement en un déménagement dans un siège à Paris moins coûteux qu'à Neuilly-sur-Seine, dans lequel il avait fait d'importants travaux en 2020, pour opérer désormais depuis des locaux - moins chers - situés au 10 boulevard Haussmann à Paris.
La réponse de Qwant
Le service presse de Qwant a indiqué que Qwant apporte un démenti catégorique : l’entreprise ne serait pas à vendre, mais sans plus d'explications.
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