La proposition de loi LREM introduit diverses dispositions d’adaptation au droit de l’UE en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne. Il adapte le droit français à l’entrée en application du règlement européen qui oblige les hébergeurs de contenus en ligne à opérer des retraits en une heure. Sur plusieurs aspects, il ne semble pas apporter de réponse satisfaisante au débat sur les menaces de la liberté d’expression évoquées par diverses organisations de défense des droits de l’Homme en France.
Les aspects à controverse du projet de loi
La proposition de loi s’aligne sur le règlement européen du 29 avril 2021 pour donner le pouvoir à chaque État membre d’émettre des injonctions de retrait. Les hébergeurs de contenus en ligne se doivent de retirer lesdits contenus ou d’en bloquer l’accès dans tous les États membres dans un délai maximal d’une heure. Le texte prévoit néanmoins de rares exceptions pour lesquelles des dépassements de la durée d’une heure sont prévus. Elles tiennent à des motifs de force majeure ou à des impossibilités qui ne sont pas imputables à l’hébergeur. Autres hypothèses : en cas d’erreur manifeste dans l’injonction ou parce que celle-ci ne contient pas les informations obligatoires, comme la motivation de la demande de retrait ou l’adresse URL du contenu.
En sus, le règlement européen du 29 avril 2021 sur lequel s’aligne le projet de loi ne soumet pas les hébergeurs à une obligation de surveillance générale ou à une recherche active des faits. Néanmoins, il exige la mise en œuvre de moyens techniques, c’est-à-dire, l’utilisation d’outils automatisés si les hébergeurs estiment que cela est nécessaire et approprié pour une lutte efficace contre l’utilisation abusive de leurs services pour diffuser les contenus à caractère terroriste.
Enfin, la méconnaissance du retrait en une heure d’un contenu terroriste sera sanctionnée d’un an d’emprisonnement et de 250 000 euros d’amende, amende portée à 4 % du chiffre d’affaires mondial si l’infraction est commise « de manière habituelle ». Quand un contenu à caractère terroriste présente « une menace imminente pour la vie », l’hébergeur devra en informer immédiatement les autorités, du moins dès qu’il en aura connaissance. À défaut ? La proposition de loi LREM prévoit trois ans d’emprisonnement et 250 000 euros d’amende.
Le point sur ces aspects qui fâchent avec la quadrature du Net et la CNCDH
La Quadrature du Net est d’avis que ce règlement instrumentalise la crainte terroriste pour museler tout Internet, mais ne servira à rien d’autre qu’à renforcer Google et Facebook et à remettre en cause la confidentialité de nos communications. Dans une lettre ouverte adressée à l’Élysée elle précise :
« Monsieur le Président,
Au nom de la lutte contre la radicalisation terroriste en ligne, vous défendez un projet de règlement européen imposant de nouvelles obligations à l’ensemble des acteurs de l’Internet : hébergeurs de site, de blog et de vidéo, forum et réseaux sociaux, sites de presse, fournisseurs de mail et de messagerie, etc.
Alors que la Commission européenne et votre gouvernement ne démontrent de façon étayée ni l’efficacité ni la nécessité de ces obligations pour lutter contre le terrorisme, vous souhaitez imposer aux acteurs d’Internet d’agir sur des contenus dont la dangerosité n’aura été évaluée par aucun juge, et ce dans des délais extrêmement courts.
Ces obligations sont porteuses de graves dangers pour l’ensemble de l’écosystème numérique européen. En effet, les moyens économiques, humains et techniques requis pour exécuter les obligations envisagées sont tout simplement hors de portée de la quasi-totalité des acteurs : très peu sont ceux qui seront en mesure de répondre 24h/24h, 7j/7 et en moins d’une heure aux demandes de retrait de contenu provenant de n’importe quelle autorité d’un État membre de l’Union. De la même manière, les mesures de surveillance et de censure automatisées que les autorités nationales pourraient imposer en vertu du texte seront totalement impraticables.
Ainsi, pour se plier à ces nouvelles contraintes, les acteurs économiques de petites et moyennes tailles ne pourront que sous-traiter l’exécution des demandes de retrait et la censure automatisée aux quelques grandes entreprises qui, en raison de leur puissance financière, seront capables de les prendre en charge, Google et Facebook en tête, cette sous-traitance étant porteuse d’une dépendance économique et technique gravement préjudiciable à l’économie numérique européenne.
Quant aux acteurs associatifs et collaboratifs à but non lucratif, ils n’auront d’autres choix que de cesser leurs activités.
Ce règlement appauvrira donc radicalement la diversité numérique européenne et soumettra ce qu’il en reste à une poignée d’entreprises qui sont déjà en situation de quasi-monopole et dont il faudrait au contraire remettre en cause l’hégémonie.
Enfin, ce règlement conduirait à une surveillance généralisée de nos échanges en ligne et une censure privée et automatisée de l’information, parfaitement contraires au projet humaniste que vous entendez porter au niveau européen.
Nous, acteurs de cet écosystème et défenseurs des libertés fondamentales, vous demandons de renoncer à ce projet. »
À mi-parcours de l’année 2019, la commission nationale consultative des droits de l’homme a formulé des craintes similaires : « la CNCDH rappelle toutefois son attachement au respect d’une conciliation équilibrée entre cet objectif et la liberté d’expression, une conciliation conforme au régime libéral tel qu’il est consacré en France depuis 1789 en matière de presse et de publication. La spécificité d’internet par rapport aux autres médias – volatilité, ubiquité, prolifération des messages notamment – ne saurait justifier pour la CNCDH une remise en cause fondamentale de ce régime à travers la consécration d’une quasi-censure privée. Or, en faisant des plateformes des acteurs centraux de la lutte contre la haine, le texte s’en remet à des acteurs privés en position dominante, susceptibles d’avoir un impact conséquent sur la liberté d’expression. Forte d’une doctrine forgée dans l’exercice de son mandat de rapporteur national sur la lutte contre le racisme , la CNCDH s’est autosaisie de la question. »
Source : proposition de loi
Et vous ?
Partagez-vous les avis de la Quadrature du Net et de la CNCDH selon lesquels le règlement européen du 29 avril 2021 (et donc cette proposition) de loi est liberticide ?
Voir aussi :
Loi contre la haine en ligne : la CNCDH demande le retrait de l'article 1 qui "fait peser une menace disproportionnée sur la liberté d'expression"
Loi contre la haine en ligne : plusieurs organisations s'inquiètent quant au délit de « non-retrait » sous les 24 heures des contenus signalés comme « manifestement illicites »
Loi contre la haine en ligne : en commission mixte paritaire, le Sénat s'oppose au délit de « non-retrait » des contenus signalés comme « manifestement illicites »
Loi contre la haine en ligne : les sénateurs s'opposent à deux dispositions du texte qu'ils jugent excessives et irrespectueuses du droit
La France va examiner une proposition de loi de retrait en 1 h des contenus terroristes
Et ravive le débat sur les menaces à la liberté dexpression évoquées par les défenseurs des droits de l'Homme
La France va examiner une proposition de loi de retrait en 1 h des contenus terroristes
Et ravive le débat sur les menaces à la liberté dexpression évoquées par les défenseurs des droits de l'Homme
Le , par Patrick Ruiz
Une erreur dans cette actualité ? Signalez-nous-la !