En janvier 2018, lors de ses vœux à la presse, le Président français a annoncé des mesures visant à lutter contre les fausses informations durant les campagnes électorales. Emmanuel Macron a en effet révélé qu’un « texte de loi » allait être déposé « prochainement » pour lutter contre la diffusion des fake news sur Internet en « période électorale ». « Nous allons faire évoluer notre dispositif juridique pour protéger la vie démocratique de ces fausses nouvelles », avait déclaré Emmanuel Macron lors de son discours. « Les plateformes se verront imposer des obligations de transparence accrue sur tous les contenus sponsorisés afin de rendre publique l’identité des annonceurs et de ceux qui les contrôlent, mais aussi de limiter les montants consacrés à ces contenus », avait-il précisé.
Ce texte de loi a été effectivement proposé et définitivement adopté par l’Assemblée nationale le 20 novembre 2018.
Le Sénat l'avait rejeté une première fois en juillet 2018, puis une seconde fois en novembre de la même année, jugeant qu'il n'y avait « pas lieu de délibérer » sur les deux propositions de loi très controversées destinées à lutter contre les fausses nouvelles en période électorale. Ces deux propositions de loi (l'une ordinaire et l'autre organique) visent à permettre à un candidat ou parti de saisir le juge des référés pour faire cesser la diffusion de « fausses informations » sous 48h durant les trois mois précédant un scrutin national. Elles touchent également à l'organisation des pouvoirs publics et donnent un pouvoir accru au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). En vertu de cette loi, le gendarme de l'audiovisuel pourra par exemple se permettre de suspendre la diffusion d'une chaîne étrangère en période électorale ou résilier sa convention, sous certaines conditions. En plus du pouvoir accru du CSA, les deux propositions de loi imposent aux plateformes numériques des obligations de transparence lorsqu'elles diffusent des contenus sponsorisés. Ces obligations incluent le fait de décliner l'identité des annonceurs et le montant de la contrepartie financière.
En février 2020, Emmanuel Macron avait prévenu que la Russie « [allait] continuer à essayer de déstabiliser » les démocraties occidentales en s’ingérant dans leurs élections et en manipulant les réseaux sociaux. D'après lui, « face à ces attaques, nous avons extrêmement peu d’anticorps ».
Alors que les théories conspirationnistes et complotistes se multiplient sur les réseaux sociaux depuis au moins plusieurs mois, notamment avec la pandémie de Covid-19 ou le déploiement du réseau 5G en France, le gouvernement français entend lutter contre la désinformation.
Aussi, à la demande du président de la République, le sociologue Gérald Bronner va diriger « Les Lumières à l'ère numérique », une commission de lutte contre la désinformation et le complotisme. Voici le discours du Président :
« Nous vivons depuis maintenant un peu plus d’une décennie une révolution qui a envahi nos vies et qui mérite un grand débat dans la société : la révolution des modes d’information et de communication avec Internet. Là où hier, il y avait des rendez-vous de l’information, des rites, qu’étaient la lecture du journal, le journal télévisé, pour les enfants les temps de classe, existe aujourd’hui une profusion qui fait que chacun, via son téléphone portable, sa tablette, peut s’informer à portée de poche, à portée de main. Les Français passent en moyenne plus de la moitié de leur temps libre sur les écrans, plus de 2h par jour sur Internet, plus de 4h pour les 15-24 ans.
Internet est un progrès indéniable. L’information n’est plus seulement réservée à une élite, mais elle est accessible à tous. Jamais l’humanité n’a brassé autant de savoirs.
Mais cette révolution est aussi porteuse d’une face sombre. Car l’information ne s’est pas seulement démocratisée, elle a changé de nature. Nos sociétés sont confrontées à une fragmentation du débat, un phénomène de bulles où s’enferment des individus qui ne se parlent plus, à une résurgence de discours de haine, à un recul du savoir et de la science dans certaines circonstances.
Il est toujours sain en démocratie de prendre un peu de recul sur ce que nous sommes en train de vivre. Ce qui n’existait pas pour la plupart d’entre nous a envahi nos vies en dix ou quinze ans. Nous passons plusieurs heures par jour sur cet espace qui est à la fois public et privé, Internet. Ce changement est vertigineux, il est nécessaire d’essayer de comprendre ce qui s’est transformé dans notre manière de nous informer, d’échanger, notre rapport à l’autre, au savoir, à la violence. C’est d’autant plus important qu’il n’y a pas une génération qui puisse guider l’autre par son expérience. Presque toutes ont été « conquises » à grande vitesse par ces nouveaux espaces.
Garant de l’unité de la Nation et de la pérennité de nos institutions, le Président de la République Emmanuel Macron a souhaité qu’un large débat s’engage sur le sujet des impacts d’Internet sur notre information, notre démocratie et ce qui unit notre société, qui soit de nature à provoquer un sursaut collectif. Il a chargé ce jour une quinzaine d'experts (historiens, universitaires, journalistes, acteurs de terrain etc.), autour du sociologue Gérald Bronner, dans une commission nommée « Les Lumières à l'ère numérique », pour penser l'espace de débat commun de notre démocratie.
D'ici la mi-décembre, la commission devra dévoiler une série de propositions concrètes dans les champs de l'éducation, de la régulation, de la lutte contre les diffuseurs de haine et de la désinformation ».
Plusieurs objectifs sont définis, notamment :
- définir un consensus scientifique qui sera mis à disposition du grand public, des médias, des acteurs de la société civile sur l’impact d’Internet dans nos vies de citoyens : notre information, notre rapport à l’autre, notre représentation du monde et de nous-mêmes, notre exposition à des biais cognitifs qui peuvent enfermer ;
- formuler des propositions dans les champs de l’éducation, de la prévention, de la régulation, et de la judiciarisation des entrepreneurs de haine afin de libérer la société des bulles qui enferment une partie de nos concitoyens et nourrissent les extrémismes, la haine, la violence, les dérives sectaires et les obscurantismes ;
- proposer de nouveaux espaces communs de la démocratie, de la citoyenneté, du collectif qui puissent trouver leur place dans le monde numérique, donner du sens à des citoyens isolés ;
- développer une analyse historique et géopolitique de l’exposition de la France aux menaces internationales qui pèsent sur notre démocratie et notre société au travers d’Internet et des recommandations sur les enjeux à porter dans le débat international et européen.
Composition de la commission :
- Gérald Bronner : professeur de sociologie à l’Université de Paris, membre de l'Académie nationale de médecine, de l'Académie des technologies, de l'Institut universitaire de France, ainsi que du comité de rédaction de L’Année Sociologique ;
- Roland Cayrol : politologue ;
- Laurent Cordonier : directeur de la recherche à la Fondation Descartes à Paris ;
- Frédérick Douzet : spécialiste des enjeux géopolitiques du cyberespace et professeure à l’Université Paris 8 ;
- Rose-Marie Farinella : ancienne journaliste de la presse écrite et enseignante ;
- Aude Favre : journaliste web ;
- Jean Garrigues : historien spécialiste d’histoire politique de la France contemporaine ;
- Rahaf Harfoush : anthropologue canadienne ;
- Rachel Khan : juriste, actrice, écrivaine ;
- Anne Muxel : sociologue et politologue ;
- Rudy Reichstadt : fondateur et directeur de Conspiracy Watch ;
- Iannis Roder : historien spécialiste de la Shoah ;
- Guy Vallancien : chirurgien, professeur honoraire des Universités, membre de l’académie nationale de médecine ;
- Annette Wieviorka : historienne spécialiste de la Shoah de l'histoire des Juifs au XXe siècle.
Cette décision du chef d’État français intervient trois mois après la parution d’un sondage Ifop révélant que 67 % des citoyens français émettent des doutes au sujet de la véracité des propos tenus par un média reconnu.
Source : Élysée
Et vous ?
Que pensez-vous de cette stratégie ? Est-elle susceptible d'être efficace pour contrer la désinformation ? Dans quelle mesure ?
En quoi pourrait-elle mieux réussir que des initiatives comme Decodex, proposée par le journal Le Monde pour lutter contre les fake news en donnant un indice de fiabilité des sites d'information, ou encore d'autres solutions comme celles proposées par Facebook, Google et Microsoft ?
La préparation d'un outil de censure sous couvert de la lutte contre la désinformation ?
Voir aussi :
La France va créer une agence de lutte contre les manipulations de l'information, plateforme informatique d'influence au service de l'exécutif français ?
Macron : « Je ne veux plus de l'anonymat sur les plateformes internet », le Président français confirme qu'il veut bien la fin de l'anonymat en ligne