
Starlink, le réseau satellitaire de SpaceX conçu pour offrir une connexion Internet à haut débit depuis l'espace au monde entier, est actuellement en bêta publique, après une bêta privée plus tôt cet été. Toutefois, il est à noter que Starlink n'est pas destiné seulement à offrir une connexion Internet à la Terre. SpaceX l'a conçu pour qu'il desserve également d'autres entités dans l'espace, en particulier Mars. Pour ce faire, l'entreprise a mis à la disposition des participants au bêta test une application mobile devant les aider à configurer facilement les paramètres du réseau.
Pour beaucoup, le projet d'Elon Musk est ambitieux et "admirable". Mais une chose qui anime le débat depuis le 28 octobre, jour où l'application a été publiée, est un paragraphe des conditions d'utilisation du service Starlink. Dedans, SpaceX informe les utilisateurs du service que les services Starlink fournis à la Terre ou à la Lune pourraient être régis par les lois de l'État de Californie, mais au-delà de notre planète et de son satellite, en particulier sur Mars, les lois et règlements auxquels SpaceX se conformera n'existent pas encore. La société se chargera de les définir une fois qu'elle sera arrivée sur la planète rouge.
« Les services fournis à, sur, ou en orbite autour de la planète Terre ou de la Lune [...] seront régis et interprétés conformément aux lois de l'État de Californie aux États-Unis. Pour les services fournis sur Mars, ou en transit vers Mars via un vaisseau spatial ou tout autre vaisseau spatial de colonisation, les parties reconnaissent que Mars est une planète libre et qu'aucun gouvernement basé sur la Terre n'a d'autorité ou de souveraineté sur les activités martiennes. En conséquence, les différends seront réglés par des principes d'autonomie, établis de bonne foi, au moment du règlement martien », a écrit SpaceX.
En effet, le paragraphe stipule clairement que l'entreprise ne reconnaît aucune loi régissant la vie sur Mars, ou juste en dehors de la Terre. Ainsi, elle se réserve le droit de les définir si elle arrive en premier sur la planète. Autrement dit, SpaceX a l'intention d'appliquer le principe du “premier arrivé, premier servi”. Alors, cela est-il réellement possible ? Beaucoup estiment que non.
Elon Musk et les siens devraient réétudier les lois sur l'espace
De nombreuses critiques s'accordent à dire qu'Elon Musk ne peut pas devenir le "président de Mars" pour la simple et bonne raison qu'il existe déjà des lois, dont certains sont plus vielles que lui, régissant l'espace et la colonisation spatiale que le milliardaire et SpaceX n'ont pas pris la peine de bien étudier. Cristian van Eijk, étudiant en dernière année de licence de droit à l'université de Cambridge, s'est, de son côté, basé sur le "traité sur l'espace extra-atmosphérique" (Outer Space Treaty - OST) pour démontrer que SpaceX n'est pas en mesure de faire ses propres lois sur Mars.
D'après lui, l'espace est déjà soumis à un système de droit international, et même Elon Musk ne peut en colombiner un nouveau. Pour comprendre cela, Eijk affirme qu'il faut avant tout chercher à savoir qui est responsable d'Elon Musk. Deux dispositions du traité sur l'espace extra-atmosphérique, toutes deux également coutumières, sont particulièrement pertinentes ici :
- Article II de l'OST : « l'espace extra-atmosphérique, y compris la lune et les autres corps célestes, ne fait l'objet d'aucune appropriation nationale par revendication de souveraineté, par voie d'utilisation ou d'occupation, ou par tout autre moyen » ;
- Article III de l'OST : « les États [...] mènent des activités d'exploration et d'utilisation de l'espace extra-atmosphérique, y compris [...] les corps célestes, conformément au droit international ».
SpaceX est une entité privée, et n'est pas liée par l'OST, mais cela ne signifie pas qu'elle peut s'en retirer. Ses actions dans l'espace pourraient avoir des conséquences pour les États-Unis de trois façons. Premièrement, les États-Unis, en tant qu'État de lancement de SpaceX, assument une responsabilité fondée sur la faute pour les blessures ou les dommages que les objets spatiaux de SpaceX causent aux personnes ou aux biens d'autres États. Deuxièmement, les États-Unis, en tant qu'État d'immatriculation de SpaceX, sont le seul État qui conserve sa juridiction et son contrôle sur les objets de SpaceX.
Toutefois, selon Eijk, ces deux articles font référence aux objets dans l'espace et ne sont pas pertinents. Selon l'article VI de l'OST, les États "assument la responsabilité internationale des activités nationales menées dans l'espace extra-atmosphérique", y compris sur Mars, y compris celles menées par des "entités non gouvernementales". Les États-Unis, en tant qu'État d'incorporation de SpaceX, doivent autoriser et superviser en permanence les actions de SpaceX dans l'espace afin de garantir la conformité avec l'OST et le droit international.
En pratique, cette tâche est effectuée par la Commission fédérale américaine des communications, qui délivre les licences et réglemente SpaceX. L'article VI de l'OST établit une règle d'attribution spécifique, qui complète les règles coutumières de la responsabilité des États. SpaceX agit avec l'autorisation des États-Unis, et son comportement dans l'espace dans le cadre et au-delà de cette autorisation est attribuable aux États-Unis. En l'absence de circonstances excluant l'illicéité, le résultat est simple. Si SpaceX viole une obligation américaine en vertu du droit international, les États-Unis sont responsables d'un acte internationalement illicite.
Le principe de non-appropriation introduit par l'OST
Selon Eijk, en déclarant qu'il établira ses propres lois sur Mars, SpaceX risque de violer l'article II de l'OST, la "règle cardinale" du droit spatial. Ce principe est une norme de jus cogens établissant que Mars est une res communis (une chose qui ne peut pas être appropriée), plutôt qu'une terra nullius (un territoire sans maître). Selon l'étudiant en droit, SpaceX a, en partie, raison lorsqu'il affirme que les États n'ont aucune souveraineté sur Mars. Cependant, cela ne fait pas de Mars une "planète libre" à saisir, et SpaceX n'a pas de souveraineté non plus.
Par conséquent, une tentative de SpaceX de prescrire sa propre juridiction sur Mars constituerait une revendication souveraine en violation de l'article II de l'OST, et entraînerait la responsabilité des États-Unis pour un fait internationalement illicite. Eijk estime que même si SpaceX n'a pas encore atteint Mars, il y a tout de même lieu de s'inquiéter par rapport à ce qui suivra. Pour cause, la Commission fédérale des communications (FCC) se serait toujours montrée accommodante envers les acteurs commerciaux de l'espace, SpaceX en particulier, préférant laisser la réglementation aux marchés plutôt qu'aux organismes de réglementation.
C'est peut-être également le cas de la FAA (US Federal Aviation Administration), car rappelons-le, l'année dernière, des rapports ont fait état de ce que la FAA aurait assoupli le processus d'approbation du logiciel MCAS du Boeing 737 Max en 2017. Deux avions, munis du MCAS, se sont par la suite crashés en octobre 2018 (Vol 610 Lion Air) et en mars 2019 (Vol 302 Ethiopian Airlines). Aucun survivant n'a été retrouvé dans chacun de ces deux cas et les informations recueillies lors des enquêtes ont révélé que le système MCAS était à l'origine des deux accidents.
« Il n'est pas imprévisible que la FCC donne la priorité aux objectifs de l'entreprise plutôt qu'aux principes, et sous une administration de plus en plus méprisante de l'état de droit international, pourrait ne pas réglementer SpaceX en cas de violation. Tant les actions de SpaceX que l'inaction de la FCC risquent de violer l'article II de l'OST, et pourraient laisser les États-Unis confrontés à des demandes de réparation de la part du ou des États lésés », a déclaré Eijk.
À quoi pourrions-nous nous attendre dans les décennies à venir ?
Selon Eijk, le droit de l'espace est un ensemble de règles...
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