La tournure des événements montre que le bras de fer en Apple et Epic annonce un long et difficile procès à venir, une bataille judiciaire qui pourrait remodeler le modèle économique des boutiques d’applications mobiles. Au cours de l’audience de ce lundi, la juge Yvonne Gonzalez Rogers a entendu les arguments sur la demande d'Epic pour une injonction temporaire dans son affaire contre Apple. Elle a critiqué la décision d’Epic de rompre son contrat avec le fabricant d’iPhone, avant d’inviter les deux parties à porter leur différend antitrust devant un jury.
Le 13 août dernier, Epic publiait une mise à jour de Fortnite sur iOS et sur Android intégrant un système de paiement in-app qu’il a conçu lui-même pour outrepasser le système de paiement d’Apple et de Google qui prélève instantanément 30 % de commissions sur tout achat dans les applications. Résultat, Apple a immédiatement retiré Fortnite de l’App Store et a ensuite porté d’autres menaces contre le créateur de jeux. Ces agissements d’Epic et d’Apple ont entraîné ces deux géants dans une bataille juridique depuis le mois d’août, et l’affaire pourrait durer longtemps.
En effet, Epic cherche à obtenir une ordonnance judiciaire temporaire qui obligerait Apple à débloquer Fortnite sur l’App Store, le point principal de l'audience du lundi. Mais après qu’Epic a fait part de ses arguments au juge Rogers, celle-ci a exprimé son scepticisme quant à ces derniers, et en particulier son affirmation selon laquelle il ne constituait pas une menace pour la sécurité d'Apple, car il s'agit d'une société et d'un partenaire bien établi. Il semblerait qu’elle considère qu’Epic a rompu son contrat en tout état de cause et donc qu’il est normal qu’il en subisse les conséquences.
« Epic savait qu'il violait son contrat avec Apple lorsqu'il a publié la mise à jour, mais il l'a quand même fait », a déclaré Rogers, accusant la société de malhonnêteté. « Vous avez fait une chose, vous avez menti par omission, par manque de franchise. C'est la question de sécurité. C'est la question de sécurité ! », a lancé Rogers à Epic, selon un rapport de CNN Business. « Il y a beaucoup de gens dans le public qui vous considèrent comme des héros pour ce que vous avez fait, mais ce n'est toujours pas honnête », a ajouté Rogers. Selon le rapport publié par CNN Business, l’audience s’est déroulée sur Zoom et aura duré environ trois heures.
Mais pendant cette période, il s’avère qu’aucune des questions en suspens dans le procès antitrust en cours d’Epic Games contre Apple n’a été réglée, y compris celle du retour de Fortnite sur l’App Store. À ce propos, le New York Times a rapporté qu’une décision sur ce sujet était attendue dans les prochains jours. De son côté, Apple a justifié les politiques de l'App Store en partie comme un moyen de protéger les utilisateurs contre les risques de sécurité et les logiciels malveillants. Cela dit, l’on a un peu de mal à lier les 30 % de commissions à une initiative de protection de la vie privée.
Les avocats d'Epic ont tous reconnu que la société a violé son accord avec Apple, mais ont affirmé qu'Epic refusait tout simplement de se conformer à un contrat anticoncurrentiel, et que forcer une bataille juridique faisait partie du plan d'Epic. « Quand vous vous attaquez à la plus grande société du monde, et que vous l'attaquez là où vous savez qu'elle va riposter, vous n’allez pas vous allonger dans la rue pour mourir. Vous planifiez très soigneusement la façon dont vous allez réagir », a déclaré lundi Katherine Forrest, l’un des avocats d’Epic Games.
Epic est ferme sur sa position depuis le début de l’affaire, alléguant que le fabricant d’iPhone, par le biais de ses règles de développement, abuse de son emprise sur l'App Store pour nuire à l'innovation, à la concurrence et aux consommateurs sur le marché des ventes d'applications iOS. Selon lui, des dizaines d’utilisateurs de l’iOS ont été lésés par ce qu’il a décrit comme une décision de représailles d'Apple visant à retirer Fortnite de l'App Store. « La décision démontre le contrôle à toute épreuve d'Apple et le maintien d'un monopole illégal », a soutenu Epic.
Epic voit également le système propriétaire de paiement in-app d’Apple tel un système de vente liée illégale. Mais d’après le juge Rogers, il n’y a pas de vente liée avec le système de paiement intégré de la marque à la pomme. « Je ne suis pas particulièrement convaincue », a-t-elle déclaré à propos du mécanisme de paiement au moyen du système proposé par Apple. « Je ne vois simplement pas cela comme un produit séparé et distinct ». Rogers n’a pas non plus retenu l'argument d'Epic disant qu’Apple a porté préjudice à la distribution de Fortnite en raison du contrôle exclusif d'Apple sur son magasin d’applications.
Elle a brandi l’argument selon lequel les joueurs de Fortnite sur iOS ont une variété de choix afin d’accéder au jeu même s'il n'est plus disponible l’App Store. « Les jardins clos existent depuis des décennies », a -t-elle déclaré. « Nintendo a eu un jardin clos. Sony a eu un jardin clos. Microsoft a eu un jardin clos. Ce qu’Apple fait n'est pas très différent. Il est difficile d'ignorer l'économie de l'industrie, et c'est ce que vous me demandez de faire », a ajouté Rogers. Pour sa part, Apple a allégué qu’Epic a de grandes ambitions et qu’il veut inciter les gens à voir Apple différemment.
Les avocats du fabricant d’iPhone ont en effet allégué que Tim Sweeney, PDG d’Epic Games, tente de mener une révolte de développeurs qui coupe au cœur du modèle économique d'Apple. « Sweeney essaie d'être le joueur de flûte des autres développeurs », a déclaré Ted Boutrous, un des avocats d’Apple. Il a ajouté qu'Epic veut que les autres aussi « trichent, violent leur accord et introduisent en douce des logiciels pour contourner l'examen de l'application ». « Une conclusion en faveur d'Epic serait un feu vert pour d'autres entreprises et ce serait très dangereux », a-t-il soutenu.
L'affaire entre Epic et Apple est considérée comme un procès qui pourrait faire date, un procès qui teste les frontières du droit antitrust, a déclaré la juge Rogers. Elle n'a pas donné de délai pour une décision sur l'injonction. Elle a également déclaré qu'étant donné son calendrier, l'affaire ne devrait pas être jugée avant juillet 2021. Enfin, elle a déclaré qu’elle préférerait que l'affaire soit jugée devant un jury. « Je sais que je ne suis qu'un tremplin pour vous tous », a-t-elle déclaré lundi.
Source : Reuters
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La décision d'Epic de contourner les politiques de l'App Store d'Apple était malhonnête,
Selon un juge américain
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Le , par Bill Fassinou
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