L'afflux rapide de satellites en orbite basse terrestre pousse les astronomes à rechercher des compromis avec les différentes entreprises qui se précipitent à la conquête du ciel afin de fournir des services Internet haut débit au monde entier. Alors que le géant du commerce en ligne n’est pas encore prêt au lancement de ses satellites, les astronomes ont appelé en février à une action en justice contre la pollution lumineuse occasionnée par SpaceX, craignant que l'afflux de satellites sur l'orbite terrestre ne rende les observations plus difficiles au sol. SpaceX n’avait lancé que 240 satellites à l’époque.
Depuis le lancement du premier groupe de satellites Starlink le 24 mai 2019, de nombreux observateurs du ciel se sont plaints de l'éclat de leur reflet. La pollution lumineuse est particulièrement prononcée lorsque les satellites sont fraîchement déployés et se dirigent vers leurs orbites opérationnelles. À ce moment-là, ils sont parfaitement positionnés pour capter la lumière du soleil à l'aube et au crépuscule, sabordant les observations des astrophotos et des télescopes. Alors que Starlink doit être constamment réapprovisionné en nouveaux satellites, ces traînées seront donc un problème permanent.
« La plupart des observatoires au sol commencent en fait au crépuscule », a déclaré Julien H. Girard, un scientifique de soutien à l'Institut scientifique du télescope spatial de Baltimore. « Nous commençons à prendre des données même lorsque le ciel n'est pas complètement noir, surtout dans les longueurs d'onde proche de l'infrarouge et l'infrarouge ».
Depuis lors, SpaceX prévoit d'atténuer les effets de ses lancements sur les observations astronomiques en envoyant sur la mission de janvier un satellite assombri expérimentalement. Pendant ce temps, les scientifiques et les amateurs de la communauté s'inquiètent de l'absence de réglementation des constellations, alors que de plus en plus de nouveaux venus, comme Project Kuiper, se joignent à l'action, a rapporté Becky Ferreira auteur de l’article publié par le NYT lundi.
« Nous n'avons pas encore de directives à l'échelle de l'industrie », a déclaré Michele Bannister, astronome planétaire à l'Université de Canterbury en Nouvelle-Zélande. « Nous n'avons pas d'organisme industriel qui produise une bonne citoyenneté d'entreprise de la part de toutes ces entreprises enthousiastes qui veulent se lancer, et nous n'avons pas de dispositif réglementaire en place qui fournisse des directives claires à l'industrie ». Elle a ajouté : « Pour moi, honnêtement, c'est comme si on lançait un tas d'avions et qu'on n'avait pas de contrôle aérien ».
Jusqu'à présent, les astronomes ont surtout porté leur attention sur Starlink, car SpaceX a été la première entreprise à lancer de grands lots de satellites. Depuis sa première mission, la société a placé 595 smallsats Starlink en orbite basse à 550 km d'altitude au cours de 10 missions réussies. La constellation de OneWeb pose un autre type de problèmes aux radioastronomes en raison de l'altitude de son orbite. Son avenir est incertain depuis qu'elle a déclaré faillite et entamé des pourparlers en vue de son acquisition. Et maintenant, Amazon a reçu l'approbation de la FCC.
La constellation Kuiper pourrait entraîner autant de nuisances optiques et radios que Starlink
Selon Jeff Hall, directeur de l'observatoire Lowell en Arizona et président du comité sur la pollution lumineuse de l'American Astronomical Society, « Kuiper aurait facilement autant d'impact sur l'astronomie optique et radio que les autres constellations de satellites ». En effet, la constellation Amazon comptera beaucoup moins de satellites que Starlink, mais son réseau sera déployé sur trois orbites, toutes plus élevées en altitude que le réseau actuellement déployé par SpaceX.
« Certaines de ces orbites plus élevées semblent être plus problématiques pour l'imagerie astronomique, car elles seront visibles plus longtemps », a déclaré Bannister, bien qu'il ne soit pas clair comment la pollution lumineuse de ces constellations sera comparée. « Les entreprises ne publient pas la réflectance de leurs satellites, il est donc difficile de les modéliser », a-t-elle ajouté.
Un autre problème inévitable avec l’augmentation du nombre de satellites en orbite est le risque de collision. Les collisions entre satellites ajoutent aux débris orbitaux dangereux. Il y a déjà eu un incident alarmant au cours duquel un vaisseau spatial d'observation de la Terre exploité par l'Agence spatiale européenne a dû déclencher ses propulseurs pour éviter un satellite Starlink. Un accrochage entre le vaisseau spatial n'était pas certain, mais les trajectoires représentaient une menace suffisante pour que l'ESA décide que la manœuvre était nécessaire. Ces rencontres pourraient devenir plus fréquentes à mesure que des milliers de satellites supplémentaires prendront leur envol, selon Ferreira.
« Si c'est ce que nous avons dans la phase d'essai de ces mégaconstellations, que va-t-il se passer quand nous en aurons 5000, dont le lancement est prévu dans les deux prochaines années ?, s’est interrogée Bannister. À terme, SpaceX s’attend à déployer 12 000 satellites, voire plus (une demande d’autorisation du lancement de 30 000 satellites supplémentaires a été faite par la société). Facebook et Télésat pourraient également se lancer dans le secteur de la constellation Internet, selon Ferreira.
Train lumineux occasionné par le premier lancement Starlink
Un compromis est nécessaire entre astronomes et entreprises alors que les mégaconstellations se multiplient
« L'une des choses qui me semblent les plus problématiques est qu'il n'y a pas de prévention juridique, ou de protection juridique, pour le ciel nocturne », a déclaré Chris Newman, professeur de droit et de politique spatiale à l'Université de Northumbria au Royaume-Uni.
Avec des centaines de satellites Starlink et OneWeb déjà lancés, et des milliers d'autres attendus dans les prochaines années, les astronomes ressentent une pression croissante pour trouver un compromis viable avec les entreprises. Les décisions prises maintenant pourraient affecter le ciel pendant des décennies, selon Ferreira.
Pour l'instant, cela signifie qu'il faut élaborer une vision d'un ciel nocturne sûr et clair qui reposerait sur des mécanismes volontaires. En plus du revêtement sombre expérimental sur les satellites en réponse aux préoccupations concernant la pollution lumineuse, SpaceX expérimente des pare-soleil sombres pour ses Starlink.
Ferreira rapporte que des représentants d'Amazon et de SpaceX, ainsi qu'un consultant anciennement de OneWeb, ont participé à un récent atelier appelé Satellite Constellations 1, organisé par l'AAS et la National Science Foundation, selon le Dr Hall. Un rapport résumant les résultats et les recommandations de l'atelier sera rendu public dans quelques semaines. Mais Amazon a déjà exprimé son désir de travailler avec les astronomes.
« La réflectivité est une considération clé dans notre processus de conception et de développement, et nous nous engageons avec les membres de la communauté astronomique pour mieux comprendre leurs préoccupations et identifier les mesures que nous pouvons prendre pour minimiser notre impact », a déclaré un porte-parole d'Amazon, selon Ferreira. « Nous aurons plus à partager à mesure que nous publierons des détails supplémentaires sur nos plans pour le projet ».
Mais de nombreux astronomes et défenseurs du ciel étoilé recherchent plutôt une approche réglementaire solide de ces questions. « Je pense que la seule véritable façon d'avancer, c'est que les régulateurs nationaux exigent que les entreprises de satellites qui mettent en place des constellations prennent en compte les besoins de l'astronomie au sol », a déclaré le Dr Newman. « Je pense que c'est tout à fait possible, et je ne pense pas que cela nécessiterait trop d'accommodements de la part des entreprises ».
Malgré tout, le Dr Girard dit qu’il « ne fait aucun doute que la communauté astronomique peut encore faire de la science avec la présence de ces constellations, mais c'est un fardeau ». Aujourd’hui, les astronomes peuvent utiliser des logiciels pour supprimer les traînées des satellites dans une certaine mesure, mais cela peut-il corriger complètement les images ?
Source : Le NYT
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