Le 13 février 2020, le Conseil Constitutionnel a été saisi par le Conseil d'État suite à une question prioritaire de constitutionnalité (posée pour les associations La Quadrature du Net, French Data Network, Franciliens.Net et la Fédération des fournisseurs d'accès à internet associatifs) sur la riposte graduée.
Plus précisément, les associations requérantes estiment que les dispositions de l’article L331-21 du Code de la propriété intellectuelle méconnaissent le droit au respect de la vie privée, la protection des données à caractère personnel et le secret des correspondances. Elles leur reprochent, en effet, d'autoriser les agents de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet à se faire communiquer tous documents, quel qu'en soit le support, y compris les données de connexion, sans limiter le champ de ces documents ni prévoir suffisamment de garanties.
En effet, selon le texte, les agents de la Hadopi sont habilités à accéder aux données de connexion détenues par les fournisseurs d’accès : « Ils peuvent, notamment, obtenir des opérateurs de communications électroniques l'identité, l'adresse postale, l'adresse électronique et les coordonnées téléphoniques de l'abonné dont l'accès à des services de communication au public en ligne a été utilisé(…) ».
Il a fallu attendre le 20 mai 2020 pour que le Conseil Constitutionnel rende son verdict. Il a décidé de supprimer les derniers alinéas de l’article, les jugeant donc anticonstitutionnelles :
« Toutefois, d'une part, en faisant porter le droit de communication sur « tous documents, quel qu'en soit le support » et en ne précisant pas les personnes auprès desquelles il est susceptible de s'exercer, le législateur n'a ni limité le champ d'exercice de ce droit de communication ni garanti que les documents en faisant l'objet présentent un lien direct avec le manquement à l'obligation énoncée à l'article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle, qui justifie la procédure mise en œuvre par la commission de protection des droits.
« D'autre part, ce droit de communication peut également s'exercer sur toutes les données de connexion détenues par les opérateurs de communication électronique. Or, compte tenu de leur nature et des traitements dont elles peuvent faire l'objet, de telles données fournissent sur les personnes en cause des informations nombreuses et précises, particulièrement attentatoires à leur vie privée. Elles ne présentent pas non plus nécessairement de lien direct avec le manquement à l'obligation énoncée à l'article L. 336-3.
« Il résulte de ce qui précède que, dans ces conditions, le législateur n'a pas entouré la procédure prévue par les dispositions contestées de garanties propres à assurer une conciliation qui ne soit pas manifestement déséquilibrée entre le droit au respect de la vie privée et l'objectif de sauvegarde de la propriété intellectuelle.
« Par conséquent, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre grief, les troisième et quatrième alinéas de l'article L. 331-21 du code de la propriété intellectuelle ainsi que le mot « notamment » figurant au dernier alinéa du même article doivent être déclarés contraires à la Constitution ».
Cependant, le Conseil a répondu favorablement au gouvernement, qui réclamait un report dans le temps de l’éventuelle décision d’annulation : « En l'espèce, l'abrogation immédiate des dispositions déclarées contraires à la Constitution entraînerait des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 31 décembre 2020 la date de l'abrogation des dispositions contestées ».
En conséquence, leur suppression est reportée au 31 décembre 2020, dans un peu plus de sept mois. Cet effet différé offre au gouvernement un délai bien suffisant pour qu’il prenne les dispositions juridiques afin de combler les failles juridiques à travers lesquelles se sont faufilées les associations à l’origine de cette action. Selon toute vraisemblance, la Hadopi continuera à exister au-delà du 31 décembre 2020.
Une « victoire de façade » pour la Quadrature
L’association Quadrature du Net, qui s’était d’abord réjoui de la décision, a vite baissé d’un ton :
« La censure prononcée par le Conseil constitutionnel nous a conduits à penser, dans le feu de l’action, à une victoire décisive que l’on espérait. Toutefois, malgré la restriction du champ des données de connexion accessibles à la HADOPI – qui reste une victoire -, une lecture plus attentive nous amène à penser que demeure une interprétation selon laquelle son activité devrait pouvoir persister. C’est cette interprétation possible que nous avons échoué à déceler dans l’urgence – nous remercions les personnes qui ont pu nous la signaler.
« Ce recours devant le Conseil constitutionnel venait se greffer sur un contentieux au temps plus long, dont une autre partie est en cours notamment devant le Conseil d’État. D’autres aspects du dispositif de riposte graduée demeurent très critiquables. Nous allons désormais nous y attaquer.
« Nous présentons nos sincères excuses à celles et ceux qui se sont réjouis trop vite à la lecture de notre communiqué enthousiaste. Nous avons lu la décision sous le prisme de notre préjugé et l’enthousiasme a limité notre regard critique sur ses détails. Nous présentons nos excuses pour cette fausse joie, il y a bien une censure de morceaux du dispositif, mais nous avons encore certains doutes parmi nous sur l’enchevêtrement de différents éléments du dispositif et allons avoir besoin d’un temps de recul pour fournir une analyse finale de cette décision. Nous allons prendre le temps de faire cela correctement ».
Source : décision du Conseil Constitutionnel, Quadrature du Net
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L'accès trop généreux aux données de connexion par la Hadopi est jugé anticonstitutionnel
Le gouvernement dispose de quelques mois pour corriger le tir
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Le , par Stéphane le calme
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