
Sur les 295 personnes à bord, dont 80 enfants, personne n’a survécu à cette catastrophe. Alors que les photographies du site de l’accident commençaient juste à jaillir, témoignant de l’ampleur du drame, l’Internet Research Agency (IRA), souvent décrite comme une usine russe à trolls internet, s’est lancée dans une vaste opération de camouflage médiatique visant à nier toute implication russe dans le drame. Selon le média américain The Daily Beast, cette même tactique sera utilisée par la même équipe deux ans plus tard pour influencer les élections présidentielles américaines qui se sont soldées par la victoire du président Donald Trump.
Deux tiers des passagers du vol 17 ont été de nationalité néerlandaise, c’est pourquoi cet accident a constitué une véritable tragédie nationale pour les Pays-Bas. Pour cette raison, deux journalistes néerlandais viennent de publier les résultats d’une enquête exhaustive censée illustrer comment des trolls russes ont contribué à la manipulation de l’opinion publique par le biais de théories du complot visant à obscurcir les faits.
Pour mener à bien leur enquête, les deux journalistes Van der Noordaa et Van de Ven ont analysé 9 millions de tweets de l’IRA de la période allant de 2014 à 2017. Ces tweets ont été rendus disponibles par Twitter dans le cadre de l’effort pour déterminer le rôle joué par la Russie dans les élections présidentielles américaines.
Et les résultats sont déterminants, 24 heures après le crash de l’avion, l’IRA a systématiquement accusé le gouvernement ukrainien en publiant pas moins de 65 000 tweets. Au total, 111 486 tweets ont été postés en 3 jours du 17 au 19 juillet, un nombre de tweets impressionnant et sans égal par le passé. Selon les deux journalistes : « Jamais auparavant les trolls n’ont tweeté autant en si peu de temps ».
Les deux journalistes ont relevé de la confusion chez les trolls : un premier tweet affirmait qu’un avion ukrainien avait été abattu par les rebelles pro-russes, un incident qui devait « déclencher une nouvelle vague de sanctions contre la Russie ». Mais rapidement, le message a été rétracté pour accuser Kiev avec le hashtag « Poroshenko [le président ukrainien] nous voulons une réponse ! ».
Au lendemain, le 18 juillet, tous les tweets accusent Kiev avec trois hashtags en russe : « Kiev a abattu Boeing », « KievProvocation » et « KievDitlaVérité ». Le déferlement de tweets s’est arrêté brusquement le matin du 19 juillet, date après laquelle les trolls ont continué à écrire sur le MH17, mais avec beaucoup moins de fréquence et sans les hashtags.
Il n’y a aucun doute que l’affaire du vol MH17 a donné lieu à un effort de désinformation sans précédent, à l’image de cette tempête de tweets qui a duré pendant trois jours. Au lieu de se limiter au partage ou à la copie d’autres tweets extrémistes, comme c’est souvent le cas avec d’autres incidents internationaux, les trolls se sont entrepris à produire leurs propres articles sur la plateforme russe de blogging LiveJournal, pour ensuite les partager sur Twitter.
Par exemple, lorsqu'une blogueuse russe explique qu'un contrôleur aérien espagnol travaillant comme contrôleur aérien à Kiev a détecté deux avions de chasse à proximité de l'avion abattu, le lien vers son blog qu'elle poste sur Twitter est retweeté près d'une centaine de fois en six minutes.
Pour culpabiliser Kiev, les autorités officielles russes ont présenté en parallèle deux théories censées démontrer que l'avion avait été détruit par les Ukrainiens. Dans la première une photo satellite de mauvaise qualité et rapidement réfutée par des spécialistes montrait un avion ukrainien Su-25 à proximité de l'avion malaisien. De nombreux efforts, comprenant des témoignages factices, furent déployés pour tenter de démontrer que c'est le Su-25 qui avait détruit le Boeing 777 de Malaysia Airlines. La seconde théorie, également basée sur des images satellites, prétendait donner la preuve de la présence d'une batterie de missiles antiaériens BUK ukrainienne dans la zone du crash. Là encore les analyses détaillées de l'image ont montré qu'elles avaient été modifiées numériquement.
En même temps, une armée de trolls s’en prenait à tous ceux qui remettaient en question les théories russes, même après que ces dernières ont été effectivement démenties ou rejetées. Par exemple lorsque l'enquête technique a démontré que l'avion avait été abattu par un missile sol-air et non pas par un avion de chasse.
Bien que ces théories étaient destinées en premier lieu à l’opinion publique russe, van de Ven et van der Noordaa ont noté que certaines comme celle du jet de combat ukrainien ont juste refusé de se dissiper aux Pays-Bas. En effet, jusqu’à aujourd’hui, des journalistes et même des citoyens ordinaires continuent d’adhérer à l’idée que l’avion de ligne a été abattu par un jet ukrainien malgré les preuves irréfutables de la Joint Investigative Team (JIT) qui confirme que l’avion a été abattu par un missile BUK russe.
De son côté, Moscou a nié depuis le début toute implication russe dans ce crash, clamant au passage qu’un jet de chasse SU-25 ukrainien a abattu l’avion, en sachant qu’aucun avion de chasse n’a été visible au radar ou bien dans les photos. Par la suite, les Russes ont avancé l’idée que le missile BUK appartenait à Kiev.
Pour l'expert militaire Pavel Felgenhauer, « la réaction russe est enfantine : on ment et on s'offense. Le mensonge est devenu la norme. Il est clair que l'avion a été abattu par erreur par les séparatistes, il ne sert à rien de couvrir les responsables, car de toute façon la vérité sera établie ».
Ces séries de désaveux ont contribué à alimenter les théories de complots aux Pays-Bas. Certains ont pratiquement accusé le Premier ministre néerlandais Rutte d’avoir passé un accord secret avec Kiev pour cacher la vérité sur le vol MH17. Plus récemment, lors d’un débat télévisé avec Rutte, Thierry Baudet, leader du parti de droite FVD a remis en cause l’indépendance de l’enquête du JIT et a suggéré que l’Ukraine a été le coupable, une déclaration-choc pour les familles des victimes.
Kees van der Pijl, un autre détracteur, a également critiqué le JIT dans son dernier livre Flight MH17, Ukraine and the New Cold War. Bien qu’il n’a pas accusé directement Kiev d’être à l’origine de l’accident, il maintient que l’Ukraine dépeinte comme un État ultranationaliste et fasciste avait un motif pour faire tomber l'avion pour entraîner Moscou dans une guerre et obliger l'OTAN à intervenir.
À noter que Kees van der Pijl, qui a également accusé l’enquête JIT d’être trop hâtive, a présenté son livre lors d’une conférence à Moscou organisée par Viktor Ivanoc, un allié de longue date de Poutine et un ancien membre du KGB.
Lors de la conférence, Van der Pijl a dit à son auditoire : « Je m'inquiète de la façon dont les gouvernements des pays occidentaux et, en particulier, de mon pays, les Pays-Bas, continuent à utiliser cette catastrophe conformément à la politique de guerre économique et idéologique de l'OTAN contre la Russie. »
Les détracteurs néerlandais ont cherché aussi à obtenir le soutien du président américain Donald Trump. En janvier 2017, après la publication du premier rapport préliminaire du JIT sur le crash, Baudet, van der Pijl et bien d‘autres ont envoyé une lettre ouverte à Donald Trump, lui demandant de mener une enquête indépendante sur l’accident. Ils savaient déjà qu’ils pouvaient gagner la sympathie du président américain qui avait contesté auparavant les conclusions préliminaires du Dutch Safety Board (DSB), dont le rapport alléguait que le jet de Malaysia Airlines avait été touché par un missile sol-air lancé par des rebelles de l'est de l'Ukraine. Mais, quels que soient les points de vue du président Trump, les États-Unis ont officiellement appuyé les conclusions du JIT et appelé la Russie « à cesser ses mensonges et de rendre compte de son rôle dans la fusillade ».
Dans l’ère des réseaux sociaux comme Twitter et Facebook, il est intéressant de voir à quel point les théories du complot arrivent à se propager rapidement. Les propagandistes se servent de la puissance de ces outils pour propager de fausses rumeurs à une vitesse formidable. À l’instar de Facebook, Twitter fait régulièrement l’objet de débats, notamment sur son influence dans la sphère publique et son rôle dans la propagation des fake news.
Source : thedailybeast
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