Le graphène est un nanomatériau inerte chimiquement, léger, extrêmement résistant, imperméable, transparent et flexible. Ce cristal à deux dimensions formé d’une seule couche d’atomes de carbone est un excellent conducteur d’électricité et de chaleur qui est capable de générer par lui-même de l’énergie naturelle et non polluante. Ce serait, en outre, un matériau biocompatible qui est bien toléré par les cellules vivantes et qui stimule la croissance de ces dernières sans altérer leurs propriétés ou leur fonctionnement. Ce dérivé du carbone qui a été isolé à partir du graphite, le constituant des mines de crayon et découvert, pour la première fois en 2004.
Le graphène est un matériau prometteur dont les applications nombreuses permettraient de révolutionner divers domaines, l’industrie informatique en tête de liste. Il est, par exemple, possible d’abaisser la température moyenne des microprocesseurs d’environ 13 °C en appliquant une seule couche de graphène sur ces composants ou de concevoir des dispositifs électroniques ultrafins grâce à ce matériau.
Graphène vs silicium
Mais en dépit de son potentiel immense, le graphène n’a pas toujours pas réussi à s’imposer face au silicium qui règne sans partage sur l’industrie des semi-conducteurs depuis de longues années déjà. Et pour cause, le graphène présente des lacunes encore trop importantes : les fréquences de sortie des équipements conçus avec ce matériau sont parfois décevantes, ce n’est pas un semi-conducteur et sa bande de conduction est insuffisante pour qu’il puisse servir à l’élaboration de transistors. Mais tout cela pourrait changer avec la découverte récente qui a été effectuée par des chercheurs espagnols dans le cadre de leurs travaux sur la théorie des bandes et le graphène.
Les bandes électromagnétiques
Avant de s’attaquer à l’étude proprement dite, il faut préciser qu’en physique des semi-conducteurs, la théorie des bandes électromagnétiques est une modélisation des valeurs d’énergie que peuvent prendre les électrons d’un solide à l’intérieur de celui-ci. De façon générale, ces électrons n’ont la possibilité de prendre que des valeurs d’énergie comprises dans certains intervalles, lesquels sont séparés par des « ;bandes ;» d’énergie interdites. Cette modélisation conduit à parler de bandes d’énergie ou de structure de bandes. Selon la façon dont ces bandes sont réparties, il est possible d’expliquer au moins schématiquement les différences de comportement électrique entre un isolant, un semi-conducteur et un conducteur.
Le « ;Band Gap ;ou bandgap », pour sa part, correspond à la différence d’énergie entre la bande de conduction et la dernière bande de valence. Elle peut être vue comme le niveau d’énergie que l’électron doit atteindre à partir de son niveau d’énergie fondamental (du réseau cristallin) pour participer au passage du courant dans le cristal, comme c’est le cas des semi-conducteurs. On parle de gap direct lorsque ces deux extremums correspondent au même quasi-moment (quantité de mouvement associée au vecteur d’onde dans la première zone de Brillouin), et de gap indirect lorsque la différence entre les vecteurs d’onde de ces deux extremums est non nulle.
Les propriétés électriques et optiques des semi-conducteurs sont dominées par cette largeur de bande. Les matériaux à gap direct et ceux à gap indirect se comportent très différemment du point de vue optoélectronique, car les porteurs de charge des matériaux à gap direct peuvent passer d’une bande à l’autre en échangeant simplement un photon, dont la quantité de mouvement est négligeable à ces niveaux d’énergie, tandis que les porteurs des matériaux à gap indirect doivent interagir à la fois avec un photon et avec un phonon afin de modifier leur vecteur d’onde, ce qui rend la transition bien moins probable.
Par conséquent, le Band Gap est un facteur majeur déterminant la conductivité électrique d’un matériau. Les matériaux avec un Band Gap élevé sont généralement des isolants, tandis que ceux avec un Band Gap réduit sont des semi-conducteurs. Les conducteurs ont généralement des Band Gap très faibles ou nuls parce que leurs bandes de valence et de conduction se chevauchent.
L’étude proprement dite
Les techniques de conception d’un Band Gap en graphène sont connues depuis des années (le dopage chimique, l’ajout de pores ou la nanostructuration), mais ces approches ont été reconnues comme des solutions imparfaites qui compliquent l’utilisation de ce matériau et compromettent ses propriétés électroniques attrayantes.
Le graphène nanostructurant, par exemple, issu des procédés de fabrication descendants exploités actuellement, aurait du mal à atteindre l’échelle de quelques nanomètres avec une précision atomique, alors que ce niveau de précision est indispensable pour induire une bande interdite suffisamment importante et homogène permettant des applications à température ambiante.
Les chercheurs espagnols ont réussi à concevoir du graphène nanoporeux atomiquement homogène possédant des propriétés électromagnétiques semblables à celles du silicium. Ce graphène nanoporeux dispose de pores dont la taille, la densité et la morphologie étaient suffisants pour créer un Band Gap parfait et envisager l’utilisation de ce matériau en tant que semi-conducteur. Ils ont par la suite conçu un transistor à effet de champ (FET pour Field Effect Transistor), un dispositif semi-conducteur de la famille des transistors qui a la particularité d’utiliser un champ électrique pour contrôler la forme et la conductivité d’un « ;canal ;» dans un matériau semi-conducteur.
Leur solution novatrice et peu coûteuse basée sur une approche de synthèse ascendante permettrait de conférer au graphène un Band Gap semblable à celui du silicium, sans pour autant altérer ses propriétés intrinsèques. Les résultats de cette étude dirigée par l’Institut catalan de Nanoscience et de Nanotechnologie (ICN2) ont été publiés dans la revue Science.
« ;Notre travail a permis de montrer qu’il est possible de fabriquer un matériau “graphènelike” avec une largeur de bande interdite qui est très proche de celle du silicium ;», a déclaré Aitor Mugarza, professeur de recherche et responsable de l'étude à l'ICN2. « ;De plus, en modifiant simplement la largeur des bandes du graphène entre les pores (le nombre d’atomes de carbone), ce bandgap peut être contrôlé. La méthode de fabrication est relativement simple et peut déboucher sur la production à grande échelle de wafer ;», a-t-il ajouté.
« ;L’approche de synthèse ascendante permet la fabrication de nanorubans de graphène unidimensionnels et de structures nanoporeuses avec une précision atomique et des dimensions latérales de l’ordre de 1 nm ;», a confié Mugarza. D’après lui, ce serait « ;l’ingrédient essentiel pour obtenir une bande interdite assez importante et homogène. ;»
Mugarza a expliqué que jusqu'à présent, personne n'avait encore pleinement exploité ces techniques de fabrication ascendantes pour le graphène en raison de la difficulté à concevoir des dispositifs utilisant ces minuscules structures. Mais en raison des dimensions plus grandes du graphène nanoporeux produit par les chercheurs espagnols, il serait devenu possible de fabriquer des dispositifs à haut rendement en utilisant des techniques lithographiques standard.
Le caractère semi-conducteur du matériel que les chercheurs espagnols ont développé serait indirectement lié aux pores. La taille des pores n'affecterait pas directement la bande interdite et l'uniformité des pores serait corrélée avec l'uniformité de la valeur de la bande interdite, mais pas à sa valeur absolue. « ;En d'autres termes, la taille des sections de graphène entre les pores définira la valeur absolue de la bande interdite, et les variations sur cette taille induiront des inhomogénéités dans la valeur de la bande interdite ;», a précisé Mugarza.
Source : Science Mag, Spectrum IEEE
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