Jeff Jones était chargé de superviser l'essentiel des opérations internationales d'Uber et notamment de travailler avec les chauffeurs. À ce titre, il a passé une grande partie du début de son mandat en réunions avec les conducteurs, réunions à l’issue desquelles il a envoyé un courriel aux conducteurs sur ce qu'il a appris et sur ce que l'entreprise a l'intention de faire.
« Il est clair que nous pouvons faire mieux. L'écoute est l'endroit où nous obtenons nos meilleures idées, parce qu'elles viennent de vous, les gens qui utilisent Uber tous les jours », a-t-il estimé.
Cependant, en février dernier, quand il a tenté de refaire cette expérience cela s’est mal passé : son Facebook a été inondé de plaintes de chauffeurs Uber en colère lors d’une séance de questions et réponses.
Jeff Jones
Depuis, la situation de l’entreprise a même empiré. Les scandales et révélations se multiplient. Parmi eux, le scandale lié au logiciel Greyball, qui a permis à Uber d’avoir recours à des techniques de data mining pour duper les forces de l’ordre dans les pays où le service a été banni.
Greyball a fait partie d’un programme appelé “VTOS” (violation of terms of service), un programme lancé par Uber pour éradiquer les personnes utilisant ou ciblant son service de manière inappropriée. Le programme, avec Greyball, avait commencé en 2014 et reçu le feu vert de l’équipe juridique d’Uber. Selon The New York Time, il a été connu d’une cinquantaine de personnes dans l’entreprise et utilisé non seulement aux États-Unis, mais aussi en France et en Inde, pour lutter contre la méfiance des autorités et des chauffeurs de taxi à l'encontre de l’entreprise de VTS.
Pour tracer les membres des forces de l’ordre, Uber a recouru à plusieurs techniques de data mining. Dans chaque ville, Uber a installé un manager en charge. Cette personne avait pour mission d’identifier les officiers de police à l’aide de nombreuses technologies et techniques.
Une technique a impliqué de désigner un périmètre numérique ou une “barrière géographique” autour des bâtiments gouvernementaux. L’entreprise surveillait surtout les utilisateurs qui ouvraient et fermaient l'application de manière intempestive, un processus connu en interne sous le nom eyeballing. Une autre technique a consisté à analyser les données de la carte bancaire d’un client, voire son profil sur les réseaux sociaux.
Les officiers impliqués dans la traque des chauffeurs d’Uber avaient recours à des dizaines de téléphones pour créer différents comptes. Afin de contrecarrer cette tactique, les employés d’Uber allaient même aux magasins d’électroniques pour trouver les numéros de série des terminaux en vente et qui étaient souvent achetés par les officiers de police dans les villes dont le budget est limité.
Si un utilisateur est identifié comme étant associé aux forces de l’ordre, il est immédiatement tagué par avec un code contenant “greyball” suivi d’une série de chiffres. Une fois tagué, l’utilisateur est renvoyé vers une fausse application où les voitures affichées à l’écran n’existent pas. Occasionnellement, si jamais un chauffeur est connecté à un de ces utilisateurs, Uber l’appelle pour l’alerter et lui envoie des consignes pour mettre fin à la course.
Notons aussi que les récentes déclarations d’une ancienne employée sur le sexisme au sein de l’entreprise, mais aussi l’altercation entre Travis Kalanick et un chauffeur qui a été filmée et mise sur Internet, autant d’éléments qui n’ont pas contribué à redorer le blason de l’entreprise. Le chauffeur se plaignait de la baisse de sa rémunération.
Selon une source de Re/Code qui a travaillé avec Jeff Jones à Target, « Jeff n’aime pas les conflits », ce qui laissait supposer que cet enchaînement de scandales liés à Uber ne lui permettait pas de s’épanouir. Ce qui rend sa décision de quitter le navire moins surprenante.
Le fait que Travis Kalanick annonce qu’il est à la recherche d’un directeur des opérations, qui viendra épauler Jeff Jones, n’a pas rendu les choses plus faciles. Le PDG semble en tout cas le réaliser dans son mail envoyé à ses collaborateurs : « après que nous avons annoncé notre intention d'embaucher un directeur des opérations, Jeff est venu à la conclusion difficile qu'il ne voit pas son avenir à Uber. Il est malheureux que cela ait été annoncé par la presse, mais j'ai pensé qu'il était important de vous envoyer à tous un e-mail avant de faire des commentaires publiquement ».
Outre la démission du responsable produit Ed Baker et du chercheur en sécurité Charlie Miller, le directeur technique Amit Singhal a été poussé vers la sortie fin février, après avoir éludé une affaire de harcèlement sexuel chez son ex-employeur Google. Un autre départ est attendu pour fin mars : celui de Brian McClendon, le responsable de l’activité cartographie, qui affirme vouloir « s’impliquer davantage dans la démocratie ».
De son côté, Jeff Jones explique qu'il ne peut pas continuer dans une société avec laquelle il est en désaccord. « J'ai rejoint Uber à cause de sa mission et du défi consistant à construire des compétences mondiales qui auraient aidé la société à mûrir et à se développer sur le long terme », a-t-il avancé. « Il est maintenant clair, toutefois, que les convictions en matière de leadership qui ont guidé ma carrière ne sont pas compatibles avec ce que j'ai vu et vécu chez Uber, et je ne peux plus continuer comme président de la branche du covoiturage ».
Source : Re/Code
Voir aussi :
Greyball : Uber a eu recours à des techniques de data mining pour duper les forces de l'ordre dans les villes où son service a été banni
Uber aurait-il planifié le vol de technologies de voiture autonome de Waymo ? Une analyse indépendante de la question