La loi Travail, avec les grèves qu’elle a occasionnées, a déjà fait perdre beaucoup d’argent à la France. Le gouvernement français est prêt à négocier pour mettre fin aux remous sociaux, mais ne veut faire aucun compromis quand il s’agit de s’attaquer au mal à la racine. Pourquoi donc un tel attachement à cette loi et son article 2 qui pourtant font l’objet de vives critiques ? La France serait-elle tenue de la respecter ?
D’après un dossier de Mediapart, oui. Le gouvernement français n’a pas le choix. La loi Travail lui aurait en effet été imposée par l’Europe.
Tirant des leçons de la Grèce, le Conseil européen veut imposer un schéma libéral dans tous les pays membres de l’Union européenne. En juillet 2015, après le troisième plan de sauvetage de la Grèce, le Conseil décide de mettre la France sous surveillance budgétaire à cause de ses déficits excessifs. Cela passe donc par de nombreuses recommandations dont certaines portent sur le marché du travail français, qui selon le Conseil n’est pas suffisamment réformé. « Les réformes menées récemment n'ont donné aux employeurs que peu de possibilités pour déroger aux accords de branche par des accords d'entreprise. Cela limite la capacité des entreprises à moduler leurs effectifs en fonction de leurs besoins », souligne le Conseil, qui fait d’ailleurs remarquer que tous les accords passés ne permettent pas de « déroger aux 35 heures » dans de bonnes conditions financières.
Le Conseil recommande donc ce qui est vu comme le géniteur du controversé article 2 de la loi Travail : « Réformer le droit du travail afin d'inciter davantage les employeurs à embaucher en contrats à durée indéterminée ; faciliter, au niveau des entreprises et des branches, les dérogations aux dispositions juridiques générales, notamment en ce qui concerne l'organisation du temps de travail, etc. »
L’article 2 de la loi Travail préconise en effet de favoriser les accords d’entreprise par rapport aux accords de branche. De manière plus précise, il suggère la « primauté de l'accord d'entreprise sur l'accord de branche en matière de durée du travail comme principe de droit commun, notamment en matière de fixation du taux de majoration des heures supplémentaires ». En clair, dans ce domaine, l’accord de l’entreprise peut être moins favorable que celui de la branche, ce qui pourrait donc permettre au gouvernement de contourner les 35 heures de travail. Ce texte est en plus contraire au principe juridique de la « hiérarchie des normes » qui stipule que toute norme inférieure (ici l’accord d’entreprise) doit respecter la norme qui est au-dessus d’elle (ici l’accord de la branche), sauf lorsqu’elle lui est plus favorable.
Le gouvernement français aurait donc la main forcée. D’ailleurs, les responsables européens ne manquent pas de s’inviter dans le débat actuel, comme pour rappeler au gouvernement ses engagements. Au titre de ces personnes, Pierre Moscovici, ancien ministre des finances français et désormais commissaire européen chargé des affaires économiques a déclaré en mai dernier que « renoncer à la loi sur le travail serait une lourde erreur ». Et d’ajouter que : « tous les pays qui ont fait une réforme sur le marché du travail […] sont ceux qui ont réussi à faire baisser le chômage. Ceux qui se sont refusés aux réformes du marché du travail sont ceux qui ont la moins bonne performance. Et quand on regarde la France, on constate qu'elle est 21e sur 28, ça n'est pas quelque chose dont on peut se glorifier ».
Partageant la même position, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a également souligné en fin mai que « le projet de loi tel qu'il est conçu, à condition que l’article 2 arrive à survivre, est une réforme qui va dans le bon sens. » Il estime donc que « ce n'est pas un attentat contre le droit du travail français. C’est le minimum de ce qu’il faut faire ».
Notons encore que la France semble ne pas être le seul pays qui serait en train de subir la pression de l’Europe pour une réforme de son marché de travail. Une autre réforme du travail annoncée en Belgique en début février vise à augmenter le temps de travail jusqu’à 45 heures au lieu de 38 heures actuellement. Comme en France, cela a également déclenché des grèves et manifestations. En mars 2015, sous la pression de la Commission européenne, le Premier ministre italien Matteo Renzi a de son côté adopté le « Jobs Act », une autre réforme du travail.
Alors que ces évènements se déroulent maintenant sous nos yeux, il est également bon de rappeler que l’année dernière, Yanis Varoufakis, l’ancien ministre grec des Finances avait averti les Européens d’un plan caché du ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble. « La Grèce n’est qu’un test. La vraie cible du docteur Schäuble, c’est l’Italie et la France, l’État-providence français, son droit du travail, ses entreprises nationales », avait-il mis en garde.
Source : Mediapart (contenu payant)
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L'Europe aurait-elle imposé la loi Travail à la France ?
Une explication possible de l'intransigeance du gouvernement français
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Le , par Michael Guilloux
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