Il y a cinq ans, Eben Moglen, avocat et professeur de droit à l’université Columbia, mettait en garde sur les dangers du code propriétaire qui contrôle de plus en plus de dispositifs chaque jour. Le scandale le plus récent qui illustrait ses craintes concerne la marque automobile allemande Volkswagen qui a reconnu avoir mis en place un logiciel sur les moteurs diesel d’environ 11 millions de ses voitures, afin de fausser les résultats de tests antipollution. Aussi choquante que puisse être l’affaire Volkswagen, elle n’illustre en réalité qu’une facette de la problématique.
Dans l’Etat de Californie, Martell Chubbs fait actuellement face à une accusation d’homicide suite à une affaire datant de 1977 où la seule preuve contre lui est une correspondance de sa séquence d’ADN qui a été établie par un logiciel propriétaire. Chubbs, qui dirigeait encore une petite entreprise de réparation à domicile au moment de son arrestation, a demandé à inspecter le code source du logiciel afin de contester l’exactitude des résultats.
Son objectif était de déterminer si le code implémentait correctement les procédures scientifiques pour la correspondance des séquences d’ADN et si le logiciel opérait conformément à ce que l’éditeur prétendait. Mais l’éditeur a avancé que l’avocat de la défense pourrait voler ou dupliquer le code et entraîner une perte d’argent pour lui. Aussi, la cour a refusé la demande du défendeur, le laissant libre d’interroger l’expert sans toutefois examiner l’outil sur lequel l’expert s’est basé. Des décisions similaires ont été prises dans des tribunaux en Pennsylvanie, Caroline du Nord mais aussi en Floride.
Il est vrai que nous servir des nouvelles technologies permet de booster les enquêtes en cours en aidant à inculper les coupables et à disculper les innocents. Cependant, les logiciels propriétaires semblent interférer avec cette confiance portée sur les nouvelles technologies dans un nombre croissant d’enquêtes et sur des dispositifs médico-légaux, qu’il s’agisse de tests ADN ou de reconnaissance faciale en passant par des algorithmes prédictifs qui indiquent à la police où mener des investigations pour des crimes futurs.
Il faut noter que l’inspection des logiciels propriétaires pourrait ne pas profiter uniquement aux défendeurs. Par exemple, la divulgation du code propriétaire aux experts de la défense a contribué à la confirmation de la fiabilité scientifique d’un alcootest par la Cour Suprême du New Jersey.
Pour certains experts, la capacité à effectuer une contre-expertise des preuves médico-légales est « le meilleur mécanisme juridique jamais inventé pour la découverte de la vérité ». Ce qui a permis à des études de remettre en cause la validité scientifique de certains procédés de correspondance dans les marques de morsure, les incendies criminels, les fibres et les cheveux, la balistique, etc. L’initiative Innocence Project a pu ainsi démontrer que les mauvais procédés médico-légaux ont conduit à des condamnations injustifiées de 47 pour cent des personnes qui ont été graciées même si, pour la National Academy of Sciences, cette crise est en grande partie due à un manque d’évaluation par les pairs dans les disciplines médico-légales.
Les logiciels ne sont pas épargnés. Les erreurs dans le développement ont altéré le ratio de ressemblance des séquences ADN par un facteur de 10, obligeant les procureurs en Australie à remplacer les déclarations de 24 témoins experts dans des affaires criminelles. Lorsque les experts de la défense ont pu mettre en évidence des bogues dans le logiciel d’alcootest, la Cour Suprême du Minnesota a retiré les tests affectés des preuves pour les futures audiences.
Si une contre-expertise peut aider à se protéger des erreurs (ou même des fraudes) dans les sciences et technologies relatives au domaine médico-légal, il convient de se demander comment un tel système pourrait fonctionner.
Source : LA CBS Local, Court Listener , Cour de Pennsylvanie , Case Text, Court Listener (décision de la Cour d'Appel de Floride), PredPol (Predictive Policy), Case Law, études sur la validité de certains procédés médico-légaux, Innocence Project, National Academy of Sciences, cas de l'Australie, criminal justice
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Le , par Stéphane le calme
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